Alors que le jeu de société se démocratise dans les foyers français, les amateurs sont de plus en plus nombreux à se lancer dans leur conception. En Alsace, les propositions sont particulièrement innovantes. Rencontre avec ces auteurs et éditeurs locaux.
Vous en avez peut-être reçu ou offert à Noël. Cette année, les jeux de société étaient nombreux sous le sapin. Depuis 2023, il s'en vend 90 000 boîtes par jour en France, selon le Groupement Interprofessionnel du Jeu de Société. Un chiffre qui témoigne, s'il le fallait, de l'essor que connaît ce domaine depuis plusieurs années.
Entamée dans les années 2010 avec la parution des jeux de société "modernes" et confortée par les confinements successifs liés au Covid, cette croissance exceptionnelle pousse de plus en plus d'amateurs à se lancer dans la conception de jeux de société.
C'est le cas de Flavie Avril, étudiante en marketing qui a imaginé, dessiné puis édité son propre jeu de cartes dans son temps libre. Originaire de Haguenau (Bas-Rhin), c'est sa famille qui l'a initiée aux jeux de société et qui l'a aidée dans son projet. "J’ai de la chance, j'ai une famille de joueurs. On a réfléchi ensemble à des mécanismes pour le jeu, voir ce qui marchait et ce qui ne marchait pas."
La jeune femme a vendu près d'une centaine d'exemplaires de la première version et plus de cinquante de la seconde. Un succès encore modeste mais qui lui suffit : "On ne fait pas de l'autoédition pour générer beaucoup de chiffres. Derrière, on est surtout des passionnés. Et pour en vivre, ce serait compliqué."
Un secteur compétitif
Compliqué d'en vivre, Bruno de Combles de Nayves en sait quelque chose. Avec son ex-femme et sa petite sœur, ce Strasbourgeois fonde en 2020 Le lapin Sigma, une entreprise de création et d'édition de jeux de société.
Leur collection de jeux du Petit bac a été un succès, avec plus de 20 000 exemplaires vendus en France, mais aussi en Belgique et en Suisse. Pourtant, les trois créateurs ne peuvent toujours pas en vivre. "Beaucoup de gens se lancent dans la création et perdent de l'argent. Nous, on a de la chance, on vend un peu plus chaque année. Mais à trois, on n'en vit pas. À côté, je garde mon travail dans les biotechnologies," confie-t-il.
En cause, le nombre de nouveaux jeux édités chaque année. À Mutzig (Bas-Rhin), où l'association Ruedesjeux organise depuis plus de dix ans le festival Ludi'Bruche, les demandes d'exposition de créateurs de jeux locaux explosent. "Il y a dix ans, on essayait de démarcher deux ou trois auteurs alsaciens pour venir présenter leur jeu au festival. Mais aujourd'hui, ils nous contactent directement. Cette année, on en aura une petite vingtaine et on a dû limiter les demandes," constate son président, Maxime Vaucoulon.
La création de jeu, un univers à explorer
Une émulation qui permet de redéfinir les règles du jeu de société, en dehors des sentiers battus par les grands éditeurs, comme Ravensburger ou Asmodee.
Pour Cyril WaDri, créateur d'un jeu de plateau et figure emblématique de la communauté ludique de Strasbourg : "La création aujourd'hui n'est plus juste soumise à l'édition [par des grandes marques]. Nous les auteurs et les autrices, on ne se voit plus comme des auxiliaires industriels qui doivent rédiger des feuillets de règles. On se voit vraiment comme des créateurs. On a un univers très vaste à explorer et on aimerait voir se développer une vraie scène indépendante et expérimentale."
Expérimenter et détourner les concepts du jeu traditionnel, c'est justement le cheval de bataille de la jeune maison d'édition strasbourgeoise Disto studio. "Notre ADN, c'est des jeux forts, marqués, modernes et distordus," revendiquent Luc Anuszewski et Maria Paloma Sanchez, les cofondateurs.
En 2019, ce couple de Strasbourgeois publiait Strascendance, un jeu inspiré de l'épidémie de danse de 1518. Puis Ephios, un jeu de plateau de science-fiction à la sauce steampunk (un genre artistique rétrofuturiste inspiré de l'époque victorienne) et conçu de A à Z par une équipe alsacienne.
Et ce genre de concept rencontre son public, jusqu'au-delà des frontières alsaciennes. Selon un sondage réalisé par l'enseigne de jeux Philibert sur leur chaîne Twitch, la prochaine sortie de Disto studio s'est classée dans le top 10 des jeux les plus attendus de 2025.
L'avenir du jeu de société sera peut-être alsacien.