Les écoles et les crèches du Bade-Wurtemberg ont fermé leurs portes ce mercredi 16 décembre, à l'exception d'un accueil d'urgence pour les parents obligés de travailler et sans autre mode de garde. Une décision rapide, intervenue dimanche, et qui laisse beaucoup de parents dans l'embarras.
Claudia n'est pas tranquille. Depuis dimanche, "je ne dors pas bien, je passe mes soirées à organiser la garde de ma fille, au jour le jour. Aujourd'hui, j'ai eu le droit de la déposer à l'école 5 minutes avant l'heure. Mais demain, je commence très tôt, alors, je ne sais pas encore comment je vais faire".
L'Allemagne a décrété dimanche 13 décembre la fermeture de ses écoles, trois jours seulement avant leur fermeture effective, ce mercredi 16 décembre. Un stress immense pour beaucoup de familles n'ayant pas de mode de garde alternative ou de grands-parents à proximité. Les vacances du Land sont maintenues à partir du 23 décembre, ce qui veut dire cinq jours complexes à gérer pour les parents ayant une activité professionnelle.
Accueil d'urgence
Dans toutes les écoles, jusqu'à la 7e (équivalent de la 4e en France), les professeurs sont déchargés de cours, mais ils doivent à la place s'occuper de garder les élèves dont les parents travaillent, ce qui s'appelle le "Notbetreuung", l'accueil d'urgence. Y peuvent prétendre, comme en avril, les enfants dont les deux parents travaillent. Mais il y a une amélioration depuis le premier confinement, cette fois-ci, même quand les deux parents sont en télétravail, l'accueil d'urgence reste possible.
Par contre, aucun formulaire officiel. Chaque employé doit demander une lettre à son employeur expliquant qu'il est "indispensable à son poste" ce que de nombreux employeurs rechignent à écrire noir sur blanc. Certaines entreprises voulant à la fois que leurs salariés continuent de travailler, mais respectent aussi les préconisations gouvernementales, en évitant d'envoyer leurs enfants à l'école la semaine avant Noël. Une situation ubuesque, dramatique pour certains. Sans cette lettre, pas d'accueil d'urgence pour les enfants. Et les parents, comme en avril, se voient obligés de poser des jours de congés (quand ils le peuvent) ou de travailler à domicile tout en gardant leurs enfants.
Pour Claudia, médecin à la clinique de l'Ortenau, la lettre de l'employeur a bien sûr été acceptée, par l'école et par la crèche, pour ses deux enfants. Mais les horaires du périscolaire ayant été réduits le matin, Claudia et d'autres parents se sont retrouvés sans solution. L'accueil d'urgence s'arrête le 22 décembre au soir, au moment où commencent les vacances scolaires du Bade-Wurtemberg (du 23 décembre au 10 janvier). Mais d'habitude, un programme est proposé pendant les vacances, sauf les jours fériés. Cette fois-ci, à cause de la fermeture des écoles, l'offre des vacances est supprimée elle aussi. Sachant que dans son hôpital, le manque de personnel est très important, et que de toutes façons il est impossible de prendre des jours de congés en fin d'année sans les prévoir plusieurs mois à l'avance.
On nous oblige à faire un choix éthique, entre nos patients et nos enfants !
"Il ne me reste plus qu'à demander aux amis, une matinée chez A, l'après-midi chez B, le lendemain chez C... Ce n'est pas non plus une solution satisfaisante pour les enfants, ni d'ailleurs une chose à faire en pleine période de pandémie. Et en tant que parents, on se sent complètement dépassé", souffle Christiane.
Pas assez d'anticipation
"On nous oblige à faire un choix éthique, entre nos patients et nos enfants ! Ce n'est pas à nous de choisir, c'est aux politiques d'organiser le système pour qu'il marche pour tout le monde. Nous sommes déjà trop peu nombreux dans les hôpitaux, il manque du personnel, et c'est nous qui devons en plus faire ce choix ? Je suis très frustrée par cette situation. Depuis le mois de mars, il y aurait eu le temps d'envisager sereinement un deuxième confinement", explique cette maman en colère.
David Gümbel est lui aussi très énervé par la situation. Il reconnaît que d'avoir élargi l'accueil d'urgence aux parents en télétravail est une avancée. "Mais demander une lettre de l'employeur, du jour pour le lendemain, avec un tampon de l'entreprise, alors que justement tout le monde est en télétravail, c'est absurde", explique cet entrepreneur en informatique, "C'est incroyable de ne même pas arriver à fournir un document numérique !"
Ce père de deux enfants trouve aussi que ce deuxième confinement a été mal anticipé. "Lors du premier confinement, en Allemagne, les hôpitaux étaient presque vides, et les médecins, policiers et quantités de métiers indispensables étaient prioritaires pour un accueil d'urgence de leurs enfants. Là c'est un deuxième confinement, les hôpitaux sont pleins et il n'y a plus rien de tout cela. Je trouve que toutes ces mesures sont hostiles aux familles, elles sont prises par des politiques très éloignés de notre réalité."
Pas de lobby des parents et des enfants
David trouve que "l'Allemagne a trop tôt dit que "les enfants sont des vecteurs du coronavirus", et ça c'est une idée qui est restée dans les têtes. Avec son corollaire : "il faut vite fermer les écoles", sans penser à ce que cela signifie pour les parents qui travaillent". Et pour les enfants privés d'éducation.
"Ma femme a été en arrêt maladie pendant 6 semaines à la suite du premier confinement, moi-même j'ai eu un gros contre-coup et je n'arrivais plus à me concentrer plus d'une demi-journée chaque jour. Et nous connaissons plusieurs personnes qui ont quitté leur emploi ou été en burn-out cette année. C'est un poids incroyable qu'on a mis sur nos épaules, de gérer la garde de nos enfants en plus de notre travail", raconte David Gümbel.
C'est ce que ne veulent plus jamais vivre des milliers de parents en Allemagne, fédérés au sein d'une initiative citoyenne "Eltern in der Krise" (Parents en crise). Elle existe depuis le premier confinement avec ce constat à l'époque : "il n'y avait pas de lobby des parents et des enfants", du coup, leur voix ne comptait pas.
Une voix qui compte désormais
Sarah Wehrs, l'une des fondatrices de l'initiative citoyenne "Eltern in der Krise" (Parents en crise) est maintenant sûre que cela a changé. "Avec 15.000 membres dans notre groupe Facebook, nous avons maintenant une voix qu'on entend, nous avons pu rencontrer des politiques au niveau fédéral et régional. Et nous sommes arrivés à leur faire prendre conscience que les enfants ne peuvent pas payer le prix de la crise actuelle", explique cette salariée, mère de trois enfants et habitante de Francfort-sur-le-Main (Hesse).
"Lors des échanges, sur notre page Facebook, le sentiment partagé par la plupart des parents depuis mars, c'est que nous sommes laissés seuls avec notre réalité, et nous ne voulons plus revivre ça", explique-t-elle.
"Lors de l'annonce de la fermeture des écoles et des crèches dimanche dernier, nous avons été nombreux à dire : "ok, la situation sanitaire est vraiment mauvaise, nous comprenons". Par contre, dès aujourd'hui nous avons expliqué clairement qu'il nous faut d'ici début janvier plusieurs scénarios possibles. Qu'on ne nous dise pas le 11 janvier, que les écoles restent fermées pour une durée indéterminée, ça ce n'est plus possible."
Nous avons besoin de perspectives, et de prise en compte de tous les parents qui travaillent, quel que soit le secteur d'activité et même si on est en télétravail. Garder ses enfants et travailler chez soi, ce n'est pas faisable.
Entre temps, l'organisation caritative en charge du périscolaire de la fille de Christiane a fait une lettre à tous les parents ce mercredi après-midi : "après discussion avec la ville de Kehl, nous sommes en mesure de proposer un accueil le matin dès 7h15 et jusqu'au 22 décembre." Au moins, Claudia ira travailler demain sereinement dans sa clinique.