Vendredi 8 novembre 2024, le tribunal de commerce de Bar-le-Duc a prononcé la liquidation judiciaire de la papeterie Stenpa de Stenay. Six jours après, la colère ne cesse de grandir chez les salariés. Ils sont persuadés d'avoir été sacrifiés par les deux derniers propriétaires et réclament des comptes.
Vendredi 8 novembre 2024, faute de repreneur, le tribunal de commerce de Bar-le-Duc (Meuse) a prononcé la liquidation judiciaire de la papeterie Stenpa (Stenay papers SA) de Stenay. La fermeture de l'usine est devenue effective ce mercredi 13 novembre. Les 124 salariés ne fêteront pas, en 2025, le centenaire de leur usine.
Depuis le 1ᵉʳ octobre, elle était réduite au silence. La production était stoppée dans l'attente de la chute du couperet, mais les clients étaient livrés. Six jours après l'annonce fatale, la papeterie est désertée, à l'exception d'une équipe de sécurité. Les salariés restent chez eux dans l'attente de leurs lettres de licenciement.
Pour Alain Magisson, la période est pesante. Le secrétaire du CSE, nous parle du contrecoup psychologique de l'annonce, des collègues qu'il faut soutenir : "avant l'audience, c'était moyen au niveau du moral, mais après, certains ont craqué. Notre rôle, c'est de les aider. Ce n'est pas notre métier, mais on les épaule au maximum. Je les appelle régulièrement, je me déplace aussi chez certains. Tu gères ta propre situation et en même temps, tu gères la situation des plus fragiles. On essaie de les rassurer et de répondre à leurs questions".
C'est un peu facile de reprendre une usine, de promettre des choses, de ne pas mettre 1 € puis de dire : je ne peux rien faire. Il faut qu'ils soient condamnés ces gens-là.
Amail Magisson, représentant de l'intersyndicale CGT-FO Stenpa
Alain Magisson ne décolère pas. Ces cibles : le géant papetier finlandais Ahlstrom qui les a lâchés et le fonds de retournement allemand Accursia Capital à qui ils ont été vendus. Des 4,5 millions d'euros d'investissements promis par le repreneur pour la modernisation de la maintenance et de l'outil de production, les salariés de Stenpa n'en verront jamais la couleur : "moi, j'appelle ça une liquidation organisée. Il y a un cédant qui s'arrange avec un repreneur bidon et puis derrière, on casse l'outil de production, on met des gens au chômage. Accursia Capital a mis zéro euro, ils ont pris l'argent, ils ont pris l'usine avec de l'argent du compte. Quand nous sommes allés les voir au siège à Munich avec le directeur du site Matej Kurent, ils nous ont répondu qu'ils ne pouvaient rien faire, qu'ils n'avaient pas d'argent".
Les petits dessins
Le secrétaire du CSE garde en mémoire l'attitude désinvolte du PDG d'Accursia Capital : "il faisait des petits dessins pendant l'entretien, c'est un manque de respect total !". Il est persuadé qu'Ahlstrom a organisé la mort de l'usine de Stenay via le fonds de retournement bavarois. Il existe une surcapacité de papier couché, la spécialité de la papeterie meusienne, de 100.000 tonnes en Europe. Stenpa en produisait 30.000 tonnes. Réduire les capacités de production aurait permis de maintenir les prix sur le marché.
Une version de l'histoire qui, pour les salariés, génère de la colère, voire de la haine. La liquidation n'est pas la fin de l'histoire. Le CSE a saisi le procureur de Bar-le-Duc (Meuse) le 18 août pour non-respect du contrat par Ahlstrom et Accurcia Capital : "notre avocat travaille là-dessus et celui de la liquidatrice judiciaire aussi. On va continuer à se battre, mais on sait que ça va être super long".
Contacté, Ahlstrom avait rejeté toute responsabilité le 11 juillet 2024 via un court communiqué de presse : "le groupe rappelle que la vente de l’usine de Stenay à Accursia Capital a suivi le processus réglementé habituel pour ce type de transactions".
Revoir la loi Florange
Pour Alain Magisson, la loi Florange qui oblige un cédant à rechercher un repreneur lorsqu'il veut fermer une usine, porte un vice caché qu'il faut à tout prix corriger : "la loi n'oblige pas à s'assurer du sérieux du repreneur, c'est ce qui s'est passé pour nous. Le vendeur trouve un pigeon ou un acquéreur de paille. Ahlstrom au lieu de 32 millions, cela leur a coûté la moitié. La loi Florange en l'état n'est ni bonne pour l'économie française, ni bonne pour les salariés".
Les salariés l'ont d'autant plus mauvaise que si Ahlstrom avait fermé purement et simplement le site sans chercher de repreneur, ils auraient pu bénéficier de congés de reclassement, de création d'entreprise et négocier des primes supralégales. Aujourd'hui, ils ne peuvent espérer qu'une indemnisation à minima via les AGS, le régime de garantie des salaires.
Reste au final pour Alain Magisson le sentiment d'un énorme gâchis : "c'est dommage parce qu'on a développé un papier que personne ne fait d'ailleurs. Il avait été validé, on avait des clients qui voulaient même nous payer par avance sur commande ! Des clients qui voulaient qu'on s'en sorte voulait qu'on s'en sorte parce qu'ils étaient satisfaits du papier qu'on leur fournissait".
Stenpa était le plus gros employeur du canton de Stenay. La papeterie faisait 500 familles du nord meusien.