Ils vivent à Shanghai et Ningbo, respectivement à 700 et 800 kilomètres de Wuhan, la ville d'où est partie l'épidémie du coronavirus en décembre dernier. Sans céder à la panique, ces trois Alsaciens vivent au ralenti, restent chez eux et attendent que la situation évolue. Témoignages.
Hugo Seilly, d'Obernai, vit à Shanghai
Originaire d'Obernai, Hugo Seilly travaille dans l'export du vin. Pour l'instant, il est en congés, car suite à la crise, le gouvernement chinois a prolongé jusqu'au 10 février les vacances du Nouvel an chinois qui devaient s'achever ce dimanche. Ceci afin de d'éviter que les millions de citadins retournés dans leurs familles pour les fêtes ne se déplacent tous ensembles pour rentrer chez eux.
Même sans obligation de confinement, Hugo Seilly reste principalement chez lui, et prend son mal en patience. "J'attends que ça passe, j'essaie de limiter les sorties. Je lis beaucoup, je m'occupe." Avec un collègue et ami, il passe de longues heures à regarder les retransmissions de l'Open d'Australie. Il lui arrive de sortir : "Je fais des courses, je ne manque de rien." Mais il évite les transports en commun, respectant en cela les indications des autorités locales chinoises, relayées par le consulat qui envoie presque tous les jours un mail aux ressortissants français. Les autorités sanitaires de Shanghai envoient des messages "jusqu'à deux fois par jour" sur les téléphones portables."Ne pas prendre trop d'initiatives personnelles pour ne pas se mettre en danger"
Ce 31 janvier, les autorités chinoises conseillaient à chaque habitant "de prendre des nouvelles de la famille, et de sortir faire quelques activités physiques" pour ne pas rester totalement cloîtré. Elles demandent aussi aux entreprises de s'arranger pour qu'un maximum de salariés puissent "travailler chez eux pour éviter les déplacements."
Dans l'immédiat, Hugo Seilly est assez isolé dans son appartement, car plusieurs colocataires ne sont pas encore revenus. L'un d'eux, "parti aux Philippines, y reste pour l'instant." Un autre, originaire de Wuhan, était rentré chez lui. "Mais dès les premiers cas de coronavirus avérés, vers le 31 décembre, toute la famille a migré chez le grand-père, qui vit en-dehors de cette province.""Pour l'instant je ne me fais pas trop de soucis. J'attends que la situation évolue."
Laurent Brender, de Mulhouse, vit à Shanghai
Laurent Brender préside l'amicale des Alsaciens de Shanghai. A titre professionnel, il s'occupe du marché chinois pour une entreprise française de production de gaz médicaux et industriels. Comme la plupart des habitants de Shanghai, il reste chez lui le plus possible. En effet, les recommandations du gouvernement, qui demande d'éviter "les regroupements nombreux" et "les trajets inutiles" lui semblent "juste du bon sens."
Il constate aussi que la vie à Shanghai "tourne au ralenti", en partie à cause de la prolongation des vacances. Mais on est loin d'une ville morte : "les transports circulent, les supermarchés et les restaurants dans les centres commerciaux sont ouverts" et il n'y a "pas de pénurie pour s'approvisionner."
Edouard Juskowiak, de Colmar, vit à Ningbo
Edouard Juskowiak vit à Ningbo, une grande ville à deux heures de train au sud de Shanghai, et à plus de 800 kilomètres de Wuhan, épicentre de l'épidémie. Il travaille pour une société française, et gère la partie de sa production basée en Chine. Depuis quelques jours, il reste cloîtré chez lui avec sa femme, Chinoise, leur petite Raphaëlle, ainsi que ses beaux-parents qui les ont rejoints pour le Nouvel an.
"Une situation cocasse : on pourrait faire un film sur notre huis clos"
La famille ne veut pas prendre le risque de sortir "pas même une petite heure dans le parc d'à côté", principalement pour protéger leur enfant. Ils passent donc les journées à l'intérieur : "On joue au Monopoly, on chante, on fait des activités ensemble." Ils ne vont plus faire leurs courses, préférant se faire livrer, car "les services de livraison fonctionnent toujours, même pour les légumes." La ville semble bloquée, avec des commerces tournant au ralenti. Edouard Juskowiak n'a pas vraiment eu l'occasion de le vérifier, mais selon le réseau social Wechat (équivalent chinois de Whatsapp) "de nombreux restaurants et supermarchés sont fermés."
Ce vendredi 31 janvier au matin, Edouard est juste "sorti une vingtaine de minutes, pour voir un copain." Une expérience assez particulière : "On a pu échanger, mais avec des lunettes et un masque sur le nez, on perd un peu en humanité."
Pour rester informé sur l'évolution de l'épidémie et les consignes de sécurité, il se réfère, comme ses compatriotes de Shanghai, "aux sources sûres" : le consulat de Shanghai et l'ambassade de France qui "font du bon travail" avec l'envoi de recommandations quasi-quotidiennes. "Mais ce sont simplement des recommandations. On n'est pas encore dans les restrictions, ni les obligations."
Tout tourne "complètement au ralenti"
En repos forcé jusqu'au 10 février, date de la fin des vacances de Nouvel an, Edouard Juskowiak travaille pour l'instant depuis chez lui. Mais les usines "sont bloquées", et il craint que cette situation se prolonge "bien au-delà du 10 février." Selon lui, si le risque sanitaire n'est pas écarté, cette date de la fin des congés pourrait encore être décalée.
Dans le meilleur des cas (s'il n'y a pas de propagation de l'épidémie) il s'attend plutôt à un retour à la normale "autour du 20 février". D'autant plus que, dans de nombreuses entreprises, bon nombre de salariés viennent de loin. Des retards de production seraient donc être à prévoir "jusqu'à fin février".
"Une situation bien compliquée"
Pour Edouard Juskowiak, "cette crise va provoquer un grand retard dans les usines, tant pour le marché intérieur que pour le marché international. Avec ces congés prolongés, le marché intérieur de la Chine va tourner au ralenti", mais également l'export, alors que tous les pays d'Europe achètent des produits chinois. Le pays risque donc de "perdre énormément d'argent."
Mais Edouard est persuadé que le gouvernement chinois va "trouver une solution rapide." Pour des raisons économiques, mais également parce qu'il a tiré des leçons de la crise de l'épidémie du SRAS (syndrome respiratoire aigû sévère) en 2003. C'est pourquoi il se dit "confiant dans le travail du gouvernement chinois pour stopper l'épidémie."
Vu ses responsabilités professionnelles, Edouard Juskowiak ne "peut pas se permettre de rentrer en France." Ce qui est difficile à gérer, "c'est la relation avec ma famille en France", reconnaît-il. Car sa famille, bien sûr, s'inquiète pour lui : "Tous les jours, j'ai mes parents au téléphone, mais je les rassure."Le retour en Alsace n'est pas prévu