Attentat de Strasbourg : "ce procès sera comme un enterrement, mais ce qu'on a vécu fera toujours partie de nous"

À deux jours du procès de l'attentat de Strasbourg devant la cour d'assises spéciale de Paris, les victimes du 11 décembre 2018 se remémorent une soirée d'horreur. Audrey Wagner, originaire de Stiring-Wendel, était sur place ce soir-là. Dans son livre "SURvivante", elle témoigne de sa vie après l'attentat, elle témoignera avec d'autres victimes lorraines au procès.

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Le 11 décembre 2018 à Strasbourg, cinq personnes sont mortes et dix autres ont été blessées par Cherif Chekatt. Le terroriste sera finalement abattu après deux jours de traque dans le quartier du Neudorf.

Il y a aussi ceux qui étaient là, qui ont vu et entendu, qui n'ont certes pas de blessures physiques, mais des blessures psychologiques.

Comme toutes les blessures, ça cicatrise. Cela laisse une trace et cela fait mal quand le temps change. Moi, c’est quand le sapin de Noël apparaît place Kleber.

Audrey Wagner, victime de l'attentat de Strasbourg

Audrey Wagner est de celles-là. Avec ses trois filles (5, 7 et 14 ans) et son compagnon, elle revenait du marché de Noël des étoiles plein les yeux... avant que tout ne bascule et qu'elle n'assiste à la fusillade rue des Grandes Arcades et de se confiner dans une boulangerie avec ses enfants pendant de longues heures.

Cette soirée, elle l'évoque dans son livre SURvivante :

"La magie et les illuminations se mêlent à l'horreur et aux gyrophares des forces de l'ordre et des secouristes. Les rires de mes enfants, leurs yeux illuminés, sont noyés dans la peur et l'incompréhension".

Mais ce sont surtout les jours d'après qu'elle raconte dans son livre. Le déni de ses émotions pour ne pas s'écrouler devant ses filles, l'évidence d'être elle aussi une victime après l'invitation de la mairie de Strasbourg, son questionnement sur sa légitimité : "Vous avez été blessée ? Où ? Rue des Grandes Arcades… Plus précisément, au plus profond de mon être ! Non, ça ne fait pas mal et je n’ai pas de cicatrices. Je ne me sens pas forcément légitime d’écrire tout ça, ni même de me plaindre de certains maux. En même temps, je n’ai pas envie de foutre mes notes sous un matelas et les oublier. Je veux qu'on sache que ces blessures-là aussi font souffrir.

Comme toutes les blessures, ça cicatrise, ça laisse une trace et ça fait mal quand le temps change. Moi, c'est quand le sapin de Noël apparaît place Kleber".

La jeune quadragénaire originaire de Stiring-Wendel vit aujourd'hui en Alsace. Son livre est un journal de bord de l'année qui a suivi l'attentat, une thérapie pleine d'espoir même si au quotidien tout n'est pas simple. Les sorties sont devenues différentes. Au Zénith de Strasbourg, elle regarde partout, cherche les issues de secours pour se rassurer, comme un réflexe. Elle n'est plus la même.

D'autres victimes vivent différemment la venue du procès. Jérémy Raoult en fait partie. Le jeune homme originaire des Vosges a reçu plusieurs éclats de balle à la nuque et à la carotide comme l'expliquait notre article de l'époque. Grièvement blessé au moment des faits, il ne souhaite plus revenir sur l'attentat ni s'exprimer dans les médias. Il ne se rendra pas non plus au procès.  Son père, Paul Raoult, attend d'ailleurs peu à la cour d'assises spéciale : "Pour moi, ce procès n'a pas d'importance. Les gens sur le banc semblent bien loin de l'affaire. Après, je comprends tout à fait que certains aient besoin de se réparer, que ça puisse aider. De notre côté, on n’attend pas d'éclaircissements, on est passé à autre chose. Mais c'est sûr que cet événement et l'émotion qu'il a suscité en France et à l'étranger lui ont donné une couleur particulière".

Paul Raoult est aussi le père de Sébastien Raoult, condamné pour cybercriminalité aux États-Unis. Il se bat depuis des années pour le retour de son fils sur le sol français : "on devient résilient... il faut faire face quand on vit des drames comme ceux-là. Évidemment, chaque année, le 11 décembre, je pense à ce qu'on a vécu, mais ça n'est plus traumatisant".

Un symbole du Grand est attaqué

Maître Xavier Iochum est l'avocat de deux victimes lorraines de l'attentat de Strasbourg. Elles ont fait le choix de rester anonymes. L'une a été blessée physiquement et souffre toujours de séquelles partielles. Les deux présentes des symptômes traumatiques.

"Mes clients ne veulent pas comparaître au procès. Ils ne veulent pas être confrontés de nouveau à ces évènements. Ils tentent d'oublier, mais ils veulent que les choses soient dites et que justice soit faite" explique Maître Iochum.

Cette attaque doit être consacrée comme une attaque grave par l'Etat de droit

Maître Xavier Iochum, avocat de deux victimes de l'attentat de Strasbourg

Pour l'avocat messin, il y a dans ce procès un symbole très fort :

"Le marché de Noël de Strasbourg est un symbole de la culture du Grand Est. Il a été attaqué pour ce qu'il représente. Cette attaque doit être consacrée comme une attaque grave par l'État de droit républicain. Ces procès pour actes terroristes ont deux aspects. Ils interrogent nos sociétés occidentales. Il est intéressant de voir quel est le processus du passage à l'acte de ces fichés S, de voir en arrière-plan le tissu relationnel qui ne l'empêche pas et de percer ce phénomène. C'est tout l'intérêt de ces procès depuis les attentats de Charlie et du vendredi 13 Novembre 1995. L'autre aspect, c'est ce besoin collectif, pour un groupe de personnes, qu'une condamnation intervienne."

Du procès, Audrey Wagner n'attend pas grand-chose non plus. Cinq ans après les faits, elle se rendra pourtant à son ouverture ce jeudi 29 février 2024 et y apportera son témoignage avec d'autres victimes quelques jours plus tard :

"Ce procès va mettre un terme à des années de paperasses et mettre toute cette tragédie derrière nous. Ce sera comme un enterrement... mais ça fera toujours partie de nous".

Pour la première fois cette année, Audrey Wagner est retournée au marché de Noël, mais seulement place Broglie. Pas en plein centre... La rue de l'attentat, elle n'est pas près d'y remettre les pieds : "je peux en faire le tour, rien ne m'oblige à y aller, je préfère ne pas savoir ce que ça me ferait d'y retourner...".

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