Le Team Strasbourg, c'est une équipe de water-polo, double championne de France. Mais aussi une importante école de natation avec 1.000 licenciés, 20 salariés. Une structure dont l'avenir sportif, et surtout financier, est en suspens en raison du confinement et de l'arrêt de toute activité sportive.
L'intervention d'Emmanuel Macron ce lundi 13 avril, si elle a donné un cap clair et précis aux écoliers, collégiens et lycéens, pour une reprise progressive des cours à partir du 11 mai, n'a pas dégagé l'horizon des clubs sportifs : quand les enfants reprendront-ils le chemin des bassins, des terrains de football, de basket, de tennis? Pas de réponse pour l'instant. Toute l'activité est à l'arrêt depuis le début du confinement, entraînements et compétitions suspendues, et c'est tout l'équilibre de ce monde associatif qui tangue.
"Si nous ne reprenons pas du tout l'école de natation avant l'été, ça va être très compliqué de redémarrer normalement à la rentrée prochaine, soupire Stéphane Metzger, directeur sportif du Team Strasbourg, une super-structure qui réunit 1.000 licenciés, en natation et en water-polo. Car les adhérents seront en droit de nous demander un remboursement du troisième trimestre. Ça représente 100.000 euros. Les cotisations, c'est 20% de notre budget."
Et les chiffres s'alignent dans la tête de celui qui gère 20 salariés, au chômage technique depuis plus de trois semaines. "Ces dispositifs d'aide nous soulagent bien sûr. Mais nous n'avons aucune visibilité sur la suite, notamment sur les contrats avec nos partenaires privés."
Et c'est le deuxième volet important du budget du club qui vascille : le soutien des sponsors privés représente lui aussi 20% du budget. "Nous avons une quarantaine d'entreprises privées qui travaillent avec nous, dont certaines sont comme nous : à l'arrêt. A la reprise, il ne faut pas se leurrer, leur priorité ne sera pas de soutenir les associations, mais déjà de réussir elles-même à se relever."
Quels partenaires privés l'an prochain?
C'est presqu'une décennie de travail de structuration du club qui pourrait être remis en cause. S'il dépasse aujourd'hui le million d'euros de budget, c'est parce que le Team Strasbourg a réussi à attirer partenaires et collectivités autour de son projet : à la base, l'apprentissage de la natation, la formation des jeunes, notamment la future élite du water-polo français, réunie dans un centre d'accès au haut-niveau, avec les Jeux olympiques de Paris 2024 en ligne de mire. Et au sommet, l'équipe élite, double championne de France en titre, qui essaye de se faire sa place dans le gratin européen de la Ligue des champions.
Vers une crise du water-polo mondial ?
L'équipe première, l'élite du water-polo français, c'est elle qui attire les partenaires. Les soirées VIP en marge des matchs font carton plein, le Team Strasbourg est devenu une marque qui jusque-là se vendait plutôt bien. Mais de matchs, il n'y en a plus pour le moment. Le championnat de Pro A est à l'arrêt, aux portes des playoffs, que Strasbourg, qui pointe à la 5e place du classement provisoire, devrait disputer. "Aucune décision n'a été prise pour la fin du championnat. Ce que l'on sait, c'est que la fédération a suspendu toutes compétitions au moins jusqu'à mi-juin, explique Stéphane Metzger. Le calendrier va devenir vite impossible à établir si on veut boucler le championnat, car il y aussi les échéances internationales, les JO l'été prochain..."Un circuit international qui lui aussi semble sur le point de basculer. "Là, par exemple, on vient d'apprendre que le club de Budapest, un gros d'Europe, qui devait jouer la finale de la Ligue des champions, lâche l'affaire. Tous les joueurs et le staff sont libérés. Leur sponsor principal et les collectivités les lâchent. Et ça va arriver ailleurs, en Italie, en Espagne par exemple, où tout ou presque repose sur des sponsors privés."
Construire une équipe sans visibilité
La conséquence la plus visible dans l'immédiat, c'est un réservoir important de joueurs à disposition. "Nous sommes en plein mercato, et les clubs vont être en position de force, car le marché va être très fourni en joueurs. Et eux s'inquiètent. Et nous, on ne peut pas recruter sereinement, on ne peut pas rencontrer les joueurs pour leur parler de notre projet... Et puis, allons-nous disputer une coupe d'Europe? Laquelle? Nous bâtissons la saison prochaine avec zéro visibilité, c'est très compliqué."Les questions sont multiples en coulisses, mais le sportif doit compter aussi. Le staff estime qu'il faudra au minimum cinq semaines, après une remise à l'eau, pour que les joueurs soient suffisamment compétitifs pour rejouer des matchs en toute sécurité. Car pour l'instant, ils sont au sec. Et doivent se contenter de séances de maintien en forme hors de l'eau, que leur envoie à chacun le coach, semaine après semaine.
Un mois sans piscine, cinq semaines pour redevenir compétitifs
"Il manque l'eau bien sûr! Les appuis, le cardio en piscine... ça va pas être facile à la reprise!", soupire Hugo Fontani. Le gardien du Team Strasbourg et de l'équipe de France profite de la cour de son immeuble pour enchaîner gainage, abdos, corde à sauter. "D'habitude, on s'entraîne deux fois par jour, des séances de 2h30 à 3h, dans l'eau. Là, c'est 40 minutes par jour, ça n'a rien à voir..."Le seul objectif d'Igor Racunica, l'entraîneur croate de l'équipe, c'est que ses joueurs ne prennent pas de poids. Et restent en activité. "Ils n'ont pas tous la même situation. entre ceux qui ont des enfants à gérer et qui ne voient pas les jours passés, et ceux qui sont seuls et ont tout le temps pour se poser des questions..." Alors il les appelle régulièrement, pour prendre aussi des nouvelles de leur moral.
Et pour garder un semblant de collectif, l'essence même de ces sports co, les messages circulent sur les réseaux sociaux. "Je ne me fais pas de souci pour la reprise du groupe, affirme Igor Racunica. Ce sont des professionnels, les sportifs savent d'adapter."
Retour dans l'eau début mai?
Les pros pourraient reprendre le chemin de la piscine bien avant les enfants, on parle de début mai. "Et là, quoiqu'il arrive, nous aurons un bloc de deux mois d'entraînement, pour redevenir compétitifs, expose Stéphane Metzger. Même si le championnat ne reprend pas.""C'est un peu mon inquiétude, avoue Hugo Fontani. S'entraîner sans perspective de compétition, c'est très dur pour les sportifs de haut-niveau. Maintenant, c'est comme ça, il faut se maintenir au niveau, et nous le savons bien, en ce moment, l'essentiel, c'est la santé de tous", reprend celui qui espère aussi être présent aux Jeux olympiques de Tokyo, reportés à l'été 2021, avec l'équipe de France. Le tournoi de qualification olympique est lui aussi repoussé pour le moment.
Plus d'apprentissage de la nage, attention aux noyades
La reprise de l'entraînement de l'équipe élite n'est finalement pas ce qui préoccupe le plus le directeur sportif. "Quand les petits pourront-ils revenir dans l'eau, reprendre leur apprentisage?", se demande avec inquiétude Stéphane Metzger. "Les opérations "j'apprends à nager", qui font toujours le plein aux vacances de Pâques, avant l'été, ont été annulées... Nous sommes là pour ça, aussi : assurer l'apprentissage de la nage, avant que les enfants se précipitent dans les plans d'eau, les piscines extérieures, la mer... Il y a chaque année 1000 noyades en France, et là, en sortie de déconfinement, quand tout le monde voudra profiter..."
Alors certes, la réouverture des piscines n'est pas une priorité du déconfinement qui s'annonce. Mais priver d'eau les apprentis nageurs, comme les champions, ne sera pas sans conséquences, y compris à long terme, si les clubs n'ont plus les moyens de se remettre en ordre de marche d'ici la rentrée, pour continuer d'assurer leurs missions.