C'est un stéréotype qui a la vie dure : les femmes seraient nulles en mathématiques. La scientifique Véronique Slovacek-Chauveau dénonce un ensemble de stéréotypes qui persuade les filles qu'elles sont moins bonnes en maths que les garçons dès l'enfance.
C'est une analyse chiffrée comme il en existe régulièrement sur le sujet. Le rectorat de Strasbourg (Bas-Rhin) a publié une étude sur les différences entre les filles et les garçons, du CP à l'enseignement supérieur, en mars 2024.
Les résultats ne sont pas révolutionnaires, mais étonnent. Les filles sont meilleures, du CP au baccalauréat, dans presque toutes les matières sauf en maths, où les différences sont grandes et perdurent pendant toute leur scolarité. Elles sont plus nombreuses dans le supérieur. Mais s'insèrent moins bien dans le monde du travail que leurs homologues masculins.
Que penser de cette étude et de cet écart de niveau en mathématiques si flagrant ? Nous avons posé la question à Véronique Slovacek-Chauveau, ancienne professeure de mathématiques au lycée et présidente d'honneur de l'association "Femmes et mathématiques".
Pour elle, l'explication est assez simple, "la société est persuadée que les filles ne sont pas bonnes en maths, et à force de l'entendre toute leur vie, la prophétie s'autoréalise. Elles ne sont pas bonnes en maths."
Un stéréotype présent dans toutes les strates de la société
"Récemment, l'une de nous a encore découvert un encadré dans le magazine pour enfants J'aime Lire [janvier 2023, ndlr]. Le chiffre du mois disait en gras : « 6 ans, c'est l'âge auquel les garçons deviennent meilleurs que les filles en maths ». Imaginez une petite fille qui découvre cette histoire, qui s'intéresse à tout autour d'elle et qui lit ce chiffre, implacable et définitif. Toujours les filles sont moins bonnes en maths que les garçons. Ça s'imprime en elle, en nous toutes, dès l'enfance."
Alors qu'avant le CP, les filles sont meilleures dans toutes les matières, y compris en mathématiques.
L'étude montre qu'en six mois d'école, la tendance s'inverse. Les filles sont après moins bonnes en maths que les garçons, et cette tendance reste la même pour toute leur scolarité.
"Ce qu'il est important de dire, c'est que ce n'est pas génétique, il se joue quelque-chose qui n'est pas mesurable actuellement. C'est d'ailleurs l'objet de recherche de l'Ined [Institut national d'études démographiques], avec une cohorte de 18 000 enfants. La première partie de cette étude a conclu que cette différence n'est pas génétique (donc pas liée au sexe). Ça peut être étonnant pour beaucoup de gens. Mais l'inverse est vrai aussi. Il existe beaucoup de personnes, beaucoup de parents qui pensent que c'est génétique."
La deuxième partie de l'étude de l'Ined aura pour mission de définir les origines des mauvaises performances des filles en maths. Pour agir ?
Beaucoup moins de filles continuent les maths en filière générale, c'est catastrophique
Véronique Slovacek-Chauveau
La mathématicienne n'est pas sûre qu'il y ait une réelle volonté des hommes politiques ou des entreprises de vouloir changer les choses. La réforme du lycée à la rentrée 2019 en est un exemple : "cette réforme a fait reculer de 25 ans en arrière la place des filles dans les cours de maths. Avant la réforme, il y avait 50 % de filles en S, parce que la section permettait de continuer toutes les matières jusqu'au bac et de retarder le choix de continuer ou d'arrêter les maths. Là, le choix se fait plus tôt, les élèves sont plus jeunes, ce qui veut dire que ce choix se fait à un moment où on sait les jeunes gens plus sensibles aux stéréotypes. Beaucoup moins de filles continuent les maths en filière générale, c'est catastrophique."
Les filles sont meilleures dans pratiquement toutes les filières, mais leur taux d'emploi est inférieur à celui des hommes. "En ne choisissant pas les maths, elles se dirigent vers des filières plus concurrentielles et qui rémunèrent moins bien".
Des solutions pour casser les stéréotypes
Pour tenter de libérer les jeunes filles de ce stéréotype, l'association Femmes et mathématiques organise des journées de sensibilisation, avec l'aide de deux autres association, FETM et Animath. D'une part des présentations de différents métiers devant des jeunes filles et jeunes garçons, pour sensibiliser les deux sexes aux stéréotypes de genre. L'objectif est de leur donner un plus vaste choix, de leur dire de choisir leur voie en accord avec leurs désirs et leurs compétences, sans se limiter à des "métiers de femmes" ou des "métiers d'hommes".
Pour les filles, l'association organise aussi des journées spécifiques intitulées "filles, maths, informatique : une équation lumineuse". Des chercheuses, scientifiques ou informaticiennes leur parlent de leurs parcours et métiers, les jeunes filles participent ensuite à des ateliers sur les stéréotypes. La journée se termine par des speed-meeting et une pièce de théâtre sur les stéréotypes pour les questionner. "Au milieu de ces journées, il y a un repas. Pour bien recevoir ces jeunes filles et leur dire et leur répéter qu'elles sont attendues et légitimes. C'est très important.", conclut Véronique Slovacek-Chauveau.
L'association met en place aussi du tutorat de jeunes filles par des scientifiques au moment de leur orientation professionnelle. Et elle a créé un document gratuit en ligne à destination des parents qui se posent des questions sur le sujet.
Selon les Nations unies, "aujourd’hui, les femmes représentent moins d’un tiers des personnes travaillant dans le domaine des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques. [...] Ces dix dernières années, l’exclusion des femmes du monde du numérique a représenté un manque à gagner d’environ 1 000 milliards de dollars pour le PIB des pays à revenu faible ou intermédiaire – perte qui, si rien n’est fait, pourrait atteindre 1 500 milliards de dollars d’ici à 2025."
Intéresser les filles aux maths, permettre aux femmes d'accéder aux sciences et d'y travailler, casser les stéréotypes de genre est un enjeu sociétal, mais aussi économique.