C'est l'un des secteurs les plus touchés par la crise du coronavirus : les restaurateurs restent dans l'incertitude quant à une réouverture de leurs établissements. Alors ils sont de plus en plus nombreux à trouver des idées pour se remettre aux fourneaux tout en respectant les règles sanitaires.
"Cuisiner, c'est être parmi les vivants!" Ce cri du coeur, c'est Roger Sengel qui le lance. Le président de l'Union des métiers et industries de l'hôtellerie du Bas-Rhin, qui regroupe 1.200 professionnels, dont 850 restaurateurs dans le département, le voit bien : passé le choc de l'annonce de la fermeture de tous les établissements, le 14 mars dernier, et une longue période de doutes et d'incertitudes sur ce que les restaurateurs étaient en droit de proposer comme alternatives, ses collègues remettent la main à la pâte. Beaucoup l'ont fait très vite, par élan de solidarité avec les soignants, en proposant de livrer hôpitaux ou Ehpad. Les opérations se sont multipliées dans la région.Aujourd'hui, les restaurateurs retrouvent peu à peu leurs clients aussi. En mode livraison ou vente à emporter, ils mettent en place la bonne organisation pour proposer une activité adaptée à la crise du covid19.
Question de survie économique. Et morale. "Ne parlons même pas de rentabilité, expose Roger Sengel. Il faudra un an, dix-huit mois, un cycle entier de retour à la vie normale, pour chiffrer les vraies conséquences de la crise sur notre secteur d'activités. Là, dans l'immédiat, ce qui compte pour beaucoup, c'est le plaisir de se remettre au travail, ne plus être à ruminer sur son canapé... exister!"
Bons petits plats en barquette ou kits à pizzas
"Plaisir", il est vrai que ce mot revient à la bouche de ceux qui ont peu à peu retrouvé une clientèle. "Nous avons beaucoup de fidèles, explique Sébastien Sutter, qui tient, en famille, un restaurant de village, à Plobsheim, au sud de Strasbourg. Alors, maintenant, à nous aussi de leur être fidèles... Psychologiquement, on ne pouvait pas arrêter, il fallait qu'on se batte!" Alors, ils emballent désormais leurs plats mijotés avec passion, transmise de père en fils, dans des barquettes, que les clients viennent chercher sur le pas de la porte de l'établissement. Respect des gestes barrières, bien sûr."Plaisir" encore, de Lucile et Gent Ymeraga. Leur pizzeria, installée à Schiltigheim depuis quatre ans, est elle aussi un repère de fidèles. Cinq semaines de fermeture, "pour voir comment gérer cette crise, prendre le temps de s'organiser", et depuis ce lundi 20 avril, la bonne formule, pour proposer trois offres à leurs clients : des pizzas traditionnelles, à venir chercher sur le créneau du déjeuner, une version pré-cuites pour ceux qui voudraient en profiter plutôt à l'heure du dîner, et enfin, plus original encore, un kit de produits, pâte, sauce tomate, fromage, pour devenir soi-même pizzaïolo!
Les clients attendaient notre retour, ils sont contents, ils nous font plein de compliments et ça fait plaisir!
- Lucile Ymeraga, propriétaire d'une pizzeria à Schiltigheim
Pour leur première journée, le couple a vendu une cinquantaine de pizzas, ce qui les satisfait. "Il faut voir sur le long terme, là il y a eu l'effet "retour"... Notre but, c'est de pouvoir assumer les frais fixes, explique la jeune femme. Nous, nous travaillons en famille, donc il faut bien vivre... On pense à la suite, bien sûr, on ne peut pas vivre sur nos économies éternellement, et pour survivre, après, on aimerait éviter de devoir emprunter..."
40 tartes flambées par jour pour assumer 30 à 40% des frais fixes
Pour survivre, ce restaurant strasbourgeois a décidé lui de resserrer toute sa carte en un seul produit, à livrer 7 jours sur 7 : la tarte flambée, symbole des soirées d'été festives en Alsace. "On en vend une quarantaine par jour, estime le patron, Jacques Zimmermann, qui est de retour en cuisine, seul. Ça représente 30 à 40% des frais fixes du restaurant. L'idée, c'est de tenir le plus longtemps possible, en attendant la réouverture." Et d'avouer qu'il pourrait tenir encore un mois et demi ainsi. Pas plus.
Le premier drive gastronomique à Kaysersberg
La problématique n'est pas vraiment la même pour le chef étoilé Olivier Nasti, qui fait vibrer les papilles des clients du Chambard, à Kaysersberg dans le Haut-Rhin. Mais le confinement et la fermeture de son établissement ont tout de même poussé le chef à se réinventer. Il propose depuis ce lundi 20 avril un drive gastronomique : les clients peuvent venir chercher en voiture leurs menus haut-de-gamme, "élaborés avec produits exclusivement locavores, cultivés ou élevés dans un rayon de 100 kilomètres", promet Olivier Nasti. Les plats sont déposés directement dans le coffre des véhicules, sans même que les clients n'aient besoin d'en descendre, pour éviter tout contact. L'établissement propose également des livraisons, dans la limite de 20 kms autour du restaurant.Une formule inédite dans le milieu de la haute-gastronomie, mais que le chef entend pérenniser. "L’Alsace a été particulièrement bousculée dans cette crise sanitaire, et c’est riche d’enseignements que j’ai souhaité créer ce premier drive de plateaux repas gastronomiques, explique-t-il. Il nous faut surtout continuer à créer des émotions. Lorsque j’ai dessiné les contours de cette nouvelle offre, j’ai volontairement souhaité travailler sur une expérience pérenne, et non sur un service temporaire dont le seul objectif serait de nous permettre de redémarrer notre activité tout en respectant les gestes barrières. Nous avons donc réfléchi à des plats que l’on aime savourer en famille, ou que nous pouvons déguster dans une salle de réunion entre collègues."
Un an à 18 mois pour évaluer les dégâts sur le secteur
Tout un secteur s'adapte, des plus petits aux plus grands, pour faire face à une réalité économique particulièrement violente, alors qu'approche la période primordiale de l'été. "Il fait tellement beau, c'est un crève-coeur de penser à toutes ces terrasses qui n'ouvrent pas, soupire Roger Sengel. Il y a des établissements qui ne pourront pas rouvrir après le confinement, nous le savons. Ce sera la première vague de conséquences de la crise. Et ensuite, il faudra se laisser plusieurs mois pour voir qui arrivera à se remettre, et qui ne survivra pas... Il faut pas se leurrer, 0 euro de recette, c'est 0 euro ! Il y aura des dégâts."
Ouvrir avant l'été
Mais le président de l'UMIH de tempérer : "l'Alsace, heureusement, est bien portante, avec des établissements solides. Il n'y a pas encore de panique généralisée dans le secteur. L'Etat nous aide, les banques suivent globalement... Et nous avons l'espoir de rouvrir dans la foulée du 11 mai... D'ici juin, ce serait bien! Bien sûr, s'il faut passer l'été sans ouvrir, ce serait une autre affaire..."Un été qu'il faut aussi espérer touristique dans la région. Les restaurateurs comptent déjà sur le travail des instances comme Alsace Destination Tourisme et tous les offices en charge de la promotion de la région. "Notre image de "cluster" du virus, de région sinistrée par la maladie, en a pâti, estime Roger Sengel. il va falloir redorer notre image". Et pour cela, l'Alsace pourra compter sur ses restaurateurs, garants de cette gastronomie qui en fait sa réputation en France et dans le monde.