La plupart des marchands de glaces ont repris leur activité depuis la mi-avril à Strasbourg, et proposent de la vente à emporter. Les clients fidèles sont au rendez-vous. Mais pas de quoi sauver le début de saison des glaciers. Leur chiffre d'affaires a plongé.
Les glaciers, comme les restaurateurs, devront encore attendre plusieurs semaines avant de pouvoir asseoir leurs clients sur leurs terrasses ou dans leurs magasins. Mais à Strasbourg, beaucoup d'entre eux ont rouvert leurs portes depuis la mi-avril : ils sont autorisés à effectuer des livraisons et de la vente à emporter.
Un moindre mal pour ces commerçants, qui vivaient mal leur repos forcé alors que la météo est radieuse depuis le début du confinement. Du "jamais-vu" en plusieurs décennies d'expérience pour Rémy Bahloul, le gérant du Petit glacier, situé sur une place très animée de la capitale européenne. Il a décidé de reprendre du service le samedi 18 avril. Son rideau, il tient à le lever sept jours sur sept, mais seulement l'après-midi. En temps normal, à pareille époque, il devrait travailler de 8h30 à minuit.
"J'ai repris parce que, quand on a l'habitude de faire des semaines à 70 heures, ce n'est pas possible de rester chez soi à ne rien faire, confie le glacier. Parfois, je me réveillais la nuit, il m'est arrivé de pleurer. Je travaille depuis mes 16 ans, je n'ai jamais été au chômage, je ne sais pas comment ça fonctionne." Les habitués de son établissement ont rapidement suivi, tout heureux de se voir offrir le droit de céder à une parenthèse rafraîchissante.Parfois, je me réveillais la nuit, il m'est arrivé de pleurer
- Rémy Bahloul, artisan glacier
Les habitués sont de retour
"La glace remonte le moral, ça fait longtemps qu'on attendait de ressortir. Après cette longue période de confinement, elle a un meilleur goût", savoure un jeune couple. Ici, tous ont le même mot à la bouche, ils cherchent un peu de "réconfort", comme le pharmacien de la rue et ses troupes : "En ce moment, ce n'est pas facile avec cette ambiance anxiogène, un peu partout. Les gens ont peur, on vient prendre ici un peu de réconfort en mangeant notre glace quotidienne."Une cure de motivation, et certains font les choses en grand. Une cliente repart avec un bac d'un demi-litre, parfums mangue et fraise : "J'habite au coin de la rue, je viens souvent. En ce moment, j'évite de sortir : là, en faisant mes courses, j'ai vu que c'était ouvert, j'en profite." Des achats en grande quantité, c'est la tendance depuis la réouverture : les Strasbourgeois font leurs provisions pour se faire plaisir et soutenir leur marchand de glaces.
Rémy Bahloul, installé place d'Austerlitz depuis 13 ans, se dit très touché par cet élan de solidarité : "Les habitués ne nous laissent pas tomber, ils viennent et reviennent. Quand on voit les mots gentils des clients, qui en faisant leur promenade achètent des glaces aux enfants, ça motive encore plus à venir. On sent que ça fait un bien fou aux gens de nous voir. Au-delà de la glace, on a l'impression d'apporter de la vie dans le quartier."Les habitués ne nous laissent pas tomber, ils viennent et reviennent. On a l'impression d'apporter de la vie dans le quartier
- Rémy Bahloul, artisan glacier
Un parfum de liberté
De la vie, et même un délicieux parfum de "liberté", comme une revanche sur le destin. Devant le glacier Franchi, en plein centre-ville, Nathalie se régale : "Il y a un autre marchand à l'Orangerie, mais ici, ils ont des parfums qu'ils n'ont pas là-bas, donc on est venus jusqu'ici." Un autre client admet s'être spécialement déplacé pour chercher de la glace à la vanille et au tiramisu, les parfums préférés de ses proches. "La glace, avec ce beau temps, ça donne un côté vacances, ça fait du bien", conclut une habituée.L'entreprise familiale, bien connue des Strasbourgeois depuis 1934, s'est adaptée aux exigences du travail en période de pandémie. Le magasin a rouvert dès le 15 avril, avec à l'intérieur des règles d'hygiène à respecter : distances de sécurité, masques et gants pour le personnel, entre autres. Des conditions inédites, "pour sauver ce qui peut l'être" du mois d'avril.
Sans les touristes, l'activité tourne au ralenti
Car si la famille Franchi est soulagée de pouvoir faire plaisir à ses clients, elle n'est pas dupe. Ce début de saison est à des années-lumières de celui réalisé l'an dernier par exemple : "Ça marche bien, étant donné la situation. Mais ça tourne encore plus bas que le ralenti, on est en marche arrière", explique Valentin Franchi. Les rentrées d'argent sont en chute libre, malgré des livraisons étendues à plusieurs kilomètres de distance.Moins de 20% du chiffre d'affaires habituel, estime pour sa part son collègue artisan Rémy Bahloul, qui lui aussi livre assez loin, à Hoerdt, à Gries, à Plobsheim, sans augmenter les prix car "c'est ça ou rien" : "On a la santé, on va se remonter les manches, non pas pour rattraper ce qu'on a perdu parce que ce n'est pas possible, mais pour continuer à travailler."
Selon lui, la situation de son entreprise est saine et il sera en mesure de faire face, mais d'autres pourraient ne pas résister. Quoi qu'il en soit, il doit revoir certaines ambitions à la baisse : en janvier, il s'était déplacé en Italie pour observer de près le décor mis en place par les glaciers du pays, il comptait s'en inspirer pour refaire son magasin. Les gros travaux prévus dans les mois à venir sont finalement repoussés de trois ans, au moins. Un moindre mal, à condition de pouvoir rouvrir complètement cet été.