Coronavirus : à Kehl, la ville allemande la plus proche de Strasbourg, "les patients ne meurent pas seuls"

Entre la France et l'Allemagne, la façon de soigner les patients atteints de covid19 n'est pas très éloignée. Quelques différences existent malgré tout. Exemples dans un hôpital de Kehl et une clinique française.

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L'hôpital de Kehl (Ortenau Klinikum) en Allemagne ne traite plus que les pathologies liées au covid19. En France, chaque hôpital, chaque clinique a mis en place un parcours différencié pour les patients covid. Si la façon d'accueillir et de soigner tous ces patients ne diffère pas vraiment d'un pays à l'autre, quelques différences existent malgré tout. En voici quelques unes.
 

 

"Chez nous, ça va un peu mieux"

"Ça va mieux depuis trois ou quatre jours". C'est la première chose que Joëlle Suss souhaite dire au téléphone. "Je n'ai pas les chiffres globaux, et les transferts ont lieu aussi vers d'autres hôpitaux. Mais chez nous ça va un peu mieux", explique cette infirmière française, qui travaille depuis 25 ans à l'hôpital de Kehl au service de réanimation.

Son service est passé de huit à douze lits pour les patients covid. Dans le même temps, de nombreux soignants sont en arrêt depuis le début de cette crise sanitaire. Les infirmières, en charge de deux patients, doivent désormais s'occuper de quatre personnes. "La charge de travail est énorme, on passe notre temps à courir. Il faut changer les produits de perfusion, puis s'arrêter d'un coup pour prendre en charge un nouveau patient qui arrive et va très mal."

Chaque établissement de santé, en Alsace ou dans l'Ortenau, gère cette crise comme il peut, avec les personnels et le matériel disponibles. A la clinique strasbourgeoise de l'Orangerie, membre du groupe Elsan, le constat est différent. Elsan a racheté récemment la clinique Sainte Odile. "Des salariés de Sainte Odile, tout le personnel du bloc et de la salle de réveil sont désormais détachés au 4e étage de la clinique de l'Orangerie, l'étage réservé au covid. Tous les autres services tournent au ralenti, ça nous permet d'avoir encore un rythme de travail proche de celui qu'on avait avant", explique Séverine Morscher, infirmière de médecine et de chirurgie interne, détachée à l'étage covid en ce moment.
 

"Nous voudrions aider plus la France"

"Sur les 12 lits disponibles en réanimation, six sont occupés par les cas les plus graves, et nous avons 30 autres patients covid. Ce sont les mêmes chiffres depuis quatre jours, alors l'espoir est permis", explique Rolf Ermerling, anesthésiste à la clinique de l'Ortenau de Kehl. "Nous voudrions aider plus la France et prendre plus de patients, mais ce n'est pas nous qui gérons l'attribution des lits en réanimation, c'est Stuttgart qui fait ce travail-là". Le médecin regrette que la coopération, qui existe bel et bien entre hôpitaux français et allemands, ne puisse pas avoir lieu de la même façon avec la crise.

Les pompiers de Kehl ont prêté des masques aux soignants de l'hôpital, et Joëlle Suss leur en est reconnaissante. "On peut les désinfecter et les réutiliser. Il faut juste changer une cartouche tous les 15 jours. On peut travailler avec, ils sont presque confortables. Du coup, j'en ai parlé au maire de Brumath, où j'habite, et à des collègues en France, pour qu'ils demandent aux pompiers de faire le même geste. Ce serait tellement bien de généraliser ces prêts." 
 

 

"Les infirmières ou les médecins appellent les familles"

A Kehl comme à Strasbourg, impossible de répondre aux coups de fil des familles, très inquiètes.Toutes les visites sont interdites, alors il ne reste pour beaucoup que le téléphone. Joëlle Suss explique que l'hôpital de Kehl a mis en place un système : "ce sont les infirmières ou les médecins qui appellent les familles, pour donner des nouvelles des patients".

Dans le service de Séverine Morscher, à la clinique de l'Orangerie à Strasbourg, l'anesthésiste appelle les familles deux fois par jour. "C'est impossible autrement de répondre au téléphone, nous sommes trop occupés. Le covid est une pathologie lourde, il y a beaucoup de médicaments à administrer au cours de la journée."
 

"Nous faisons le travail du croque-mort"

C'est un choc pour les infirmières des deux côtés du Rhin. Avant, quand un patient decédait, il était conduit à la morgue et pris en charge par des spécialistes. Désormais, à cause du fort risque de contagion des malades, y compris après leur mort, les infirmières sont obligées de faire des gestes qu'elles n'avaient jamais faits avant cette pandémie.

A Kehl "nous avons essayé de nous battre pour ne pas faire le travail du croque-mort, mais nous n'avons pas eu le choix. C'est nous qui devons placer le patient dans le sac mortuaire, avant de le conduire à la morgue, et ça psychologiquement c'est très dur", admet Joëlle Suss. Mêmes gestes pour Séverine Morscher en France, "avant on les descendait dans des draps à la morgue, maintenant on ajoute en plus un sac plastique, puis les croque-morts rajoutent encore un deuxième sac. Et nous ne pouvons plus faire de toilette mortuaire. On fait le minimum, le visage un petit peu. C’est perturbant."
 


"C'était un très bon chef et un médecin engagé"

Joëlle a appris ce mercredi 8 avril la disparition de son ancien directeur, mort du covid dans son hôpital. Âgé de 83 ans, Claus-Dieter Seufert continuait d'exercer la médecine bénévolement dans un centre d'aide pour les drogués. Roland Ries, actuel président de l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau a réagi mercredi à sa disparition dans un communiqué. "Européen convaincu, Dr. Seufert œuvrait inlassablement à faire avancer la coopération franco-allemande dans le domaine de la santé et notamment le travail de prévention médicale transfrontalière. C’est grâce à son soutien et à sa forte volonté d’imaginer des solutions novatrices que deux projets pilotes franco-allemands dans le domaine de la santé ont pu être réalisés dans notre Eurodistrict – le cabinet médical transfrontalier de substitution en 2013 à Kehl et la salle de consommation à moindres risques en 2016 à Strasbourg.", écrit-il dans son communiqué.
  

"Les patients ne meurent pas seuls"

C'est une dérogation prévue par le service de santé local de l'Ortenau (Gesundheitsamt von dem Ortenaukreis) : une personne est autorisée à rendre visite à un patient mourant à l'hôpital. "C'est la base de l'éthique, une touche humaine très importante ici. Les patients ne meurent pas seuls", précise l'infirmière, également membre du comité d'éthique de l'hôpital. "Elle s'habille en isolement et peut se rendre au chevet de son proche. C'est émotionnellement compliqué pour ces personnes qui n'ont pas vu le patient depuis plusieurs jours et n'ont pas vu son état se dégrader. Comme nous mettons souvent les gens sur le ventre, le patient a souvent des esquarres au menton, sur le front ou la poitrine, c'est difficile."

Cette dérogation n'existe pas en France. "Nous essayons d’être présents le plus possible, quitte à se relayer. C'est dur pour les proches. Et c'est dur pour nous aussi d'avoir autant de décès dans le service", reconnaît Séverine Morscher. 

Bilan


L'arrondissement de l'Ortenau fait état de 655 patients infectés par le covid-19, soit 15 de plus que la veille (bilan du 7 avril 2020 à 14h). Au niveau du Bade-Wurtemberg, 464 personnes sont mortes du covid19, contre 1674 dans le Grand Est. C'est une différence très importante, sachant que la population de ce land allemand est deux fois plus élevée que la région française.
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