Saint-Pierre, située au nord-ouest de la Martinique. C’est là qu’en 2012, le Strasbourgeois Philippe Mehn a créé un restaurant-boutique dédié à ses origines. Un petit bout d’Alsace sur les Caraïbes qui prouve que les cultures s’assemblent et se rassemblent. Découverte.
En ce dernier jour de voyage, la torpeur enveloppe Saint-Pierre. Le soleil pesant est rebattu par les pluies tropicales qui vont et viennent. Dans une atmosphère particulière, à la fois calme et agitée, je sillonne, ivre de chaleur, les trottoirs de cette petite ville - moins de 5.000 habitants - située sur la côte nord-ouest de la Martinique, au pied de la célèbre montagne Pelée. En quête d’un souvenir à rapporter, soudain mes yeux s’écarquillent. Je tombe sur L’Alsace a Kay. A quoi ? Comprenez, "L’Alsace, à la maison" en créole.
Dans la vitrine de ce restaurant-boutique, une photo du Racing Club de Strasbourg côtoie un mannele en peluche et une affiche d’alsaciennes lookées à l’antillaise. Tant pis pour le dépaysement, je rentre. Bardé de clichés, l’intérieur vaut l’extérieur. "Ici c’est l’Alsace", lance Philippe Mehn, le patron. Strasbourgeois d’origine, 65 ans, cheveux blancs, l’air débonnaire. Il fait partie des 400 Alsaciens que compte "l'île aux fleurs". Mais lui, que fait-il là ?
"Lorsque la vie vous ferme une porte, il y en a toujours une autre qui s’ouvre. Moi, derrière cette porte, j’ai trouvé la Martinique", raconte-t-il. Cet ancien responsable commercial a quitté la métropole pour "changer de vie", un beau jour de l’année 2012. Un bond de 8.000 km avec dans les bagages, une idée. Créer un endroit dédié à la culture et à la gastronomie alsacienne.
Sur ses rayons, près de 150 références. Vins, bières, vinaigre, moutarde, poteries. Quant à la carte, elle a de quoi faire transpirer, bien plus encore que les 35 degrés affichés au thermomètre. Baeckeoffe, jambonneau, tartes flambées. Du traditionnel, sans piment et sans papaye.
"Je suis resté sur les produits emblématiques. Mon objectif c’est de vendre de la différenciation, ce qu’on ne peut pas trouver ici. J’apporte des saveurs que les gens ne connaissent pas. On les fait voyager".
Tous les 15 jours, ce sont près de 300 kg de denrées qui arrivent par avion. La garantie du made in Alsace pour séduire une clientèle essentiellement locale. "Je me pince tous les jours. Les gens font jusqu’à trois heures de route pour manger de la choucroute", affirme-t-il. "L’Alsace plaît parce qu’il y a plein de points de convergence avec la Martinique. Il y a une forte identité linguistique, et puis au niveau gastronomique, il y a des saveurs que nous partageons comme la noix de coco, la coriandre, la cannelle. Les gens d’ici sont des gros mangeurs, aiment bien la bonne nourriture, notre cuisine leur convient très bien".
Côté savoir-faire, c’est sur Wisny Angeon qu’il faut compter. Ce Martiniquais a appris à travailler les mets alsaciens durant un mois, sans jamais avoir mis un pied à l’Est. "Je ne m’attendais pas à cuisiner ces plats un jour. La première fois j’étais étonné", admet-il.
Etonnée, Joana Dibal l’est aussi. Cette habitante de Saint-pierre a profité de sa pause méridienne pour découvrir la sacro-sainte choucroute. "Nous ici c’est plutôt des légumes, nous consommons le chou surtout en salade, mais comme ça, ça a un très bon goût. Je pense que ce sera un plat à rajouter à ma liste", se satisfait-elle.
Le genre de compliment qu'apprécie Philippe Mehn, à qui rien ne manque, ou presque. "Ça fait trois ans que je tanne le zoo pour faire venir une cigogne", sourit-il. "Il y a 30 ans de ça, je n’aurais jamais pensé m’éloigner de la cathédrale. Aujourd’hui, je ne peux pas avoir le mal de la région, je vis dedans. Il n’y a bien que le grattoir à glace que j’ai conservé dans ma voiture qui ne me sert plus à rien".
Celui à qui les locaux demandent parfois d’organiser des séjours touristiques dans la capitale alsacienne, a le sentiment d’avoir réussi son pari. Unir deux cultures "très proches" et faire flotter les couleurs de l’Alsace au-dessus des Caraïbes.