Des heures à attendre devant les urgences de Strasbourg, "nos ambulances sont devenues des salles d'attente"

En cette après-midi du 5 juin 2023, près d'une dizaine de véhicules de secours ont attendu longuement devant les urgences de Strasbourg avec des patients à l'intérieur. Une situation qui n'est pas nouvelle et que les secouristes ne supportent plus.

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Dans l'après-midi de ce 5 juin 2023, comme depuis de longs mois, le parking des urgences du Nouvel hôpital civil (NHC) de Strasbourg est plein. Les ambulances et véhicules de pompiers ne bougent pas depuis plusieurs heures, laissant dans l'attente les patients qui doivent être pris en charge. Les secouristes dénoncent une situation qui s'enlise.

L'un à côté de l'autre, les véhicules de secours se côtoient. Avec à l'intérieur le même cas de figure. Un patient, souvent allongé, parfois sous oxygène, patiente. Tout comme le duo de secouristes qui voient la même scène se dérouler tous les jours. "Je suis là depuis une heure, c'est comme si je venais d'arriver", préfère ironiser un secouriste des ambulances de l'Orangerie.

"Là, j'ai un monsieur qui est en insuffisance respiratoire et il est obligé de patienter. Elle est où l'urgence là ? En fait, nos ambulances sont devenues des salles d'attente. Pendant ce temps-là, on ne peut pas aller prendre en charge d'autres personnes qui nous appellent", continue-t-il avant que des violents bruits de toux venus d'une ambulance voisine ne viennent couvrir sa voix.

On grille des feux pour venir en aide à quelqu'un qui en a besoin. Tout ça pour qu'à la fin on doive poireauter pendant des heures ici !

Un ambulancier

Ambulance après ambulance, le même spectacle désolant se répète. "Notre patient a une douleur aux reins. Il pensait être prioritaire en arrivant ici, mais voilà plus de deux heures qu'il est là. Tout est déréglé. À l'hôpital, ils n'ont pas assez de lits alors que tout le monde les envoie ici, donc au final c'est ici que ça bloque", appuie sa collègue Nesrine.

"On prend des risques comme des fous sur la route, on grille des feux pour venir en aide à quelqu'un qui en a besoin. Tout ça pour qu'à la fin on doive poireauter pendant des heures ici ! J'en ai marre, d’autant plus que ce n'est pas nouveau. Ça commençait déjà avant la Covid, et depuis ça ne fait qu'empirer", se désole un ambulancier.

En cette après-midi de début juin, la température reste supportable même s'il fait chaud. Un vent continu vient même rafraîchir tout le monde. "Vous imaginez ce que ça donne quand on sera en plein soleil, sans vent, avec dix degrés de plus ? Cet été, ça va être un carnage", prévient Romain en s'accoudant sur son ambulance.

Au même moment, la personne âgée qui attend dans le véhicule ne se sent pas bien. Sous oxygène, son taux d'hémoglobine est très bas. Le patient demande de l'aide aux secouristes pour qu'ils l'aident à le redresser sur son lit. "C'est déjà arrivé que des gens nous claquent entre les doigts ici. Officiellement, ils sont morts à l'hôpital. Mais ils n'ont même pas passé les portes en réalité", assure un urgentiste qui souhaite conserver l'anonymat.

Presque personne pour venir prendre des nouvelles

Adeline, une collègue, est assise dans une ambulance à quelques mètres de là. Elle est habituée à passer ses journées à attendre. Alors, elle lit tout en s'occupant d'un patient alité, sous oxygène. "Il y a un phénomène à prendre en compte. C'est que beaucoup de gens appellent pour un oui ou pour un non. Alors quand vous avez de 'vrais' patients, voilà ce qui se passe."

"Je viens de voir l'infirmière, on est les quatrièmes sur la liste d'attente", lui informe sa collègue Anna avec un parfum de victoire dans sa voix. "Ah bah ça va, on est large ! Tout à l'heure on était dixièmes !" lui répond Adeline avec la même ironie que son confrère. Les infirmières de l'hôpital, tout aussi débordées, prennent des nouvelles quand elles ont le temps.

Un phénomène loin d'être nouveau et qui s'amplifie

"Personne n'est venu nous voir", témoigne une femme venue par ses propres moyens. À sa gauche, son beau-père de 70 ans, à qui on soupçonne une phlébite, assis sur un fauteuil roulant. "J'ai pensé à prendre de l'eau, j'ai préféré anticiper. Ça devait être un contrôle de routine à 15h. Et puis on est encore là, à attendre. On ne me laisse plus partir."

Les bouteilles d'eau auront d'ailleurs bien fait rire les secouristes et les pompiers quand à 17h30, une cadre de l'hôpital sort leur en offrir. "C'est bien parce que la presse est là. Ça fait cinq, six ans que je viens ici, je n'ai jamais eu d'eau", réagit un urgentiste.

La direction de l'hôpital s'abstient de tout commentaire

Chacun et chacune remontent tous et toutes des histoires de galère, à attendre pendant des heures. "Je suis arrivé un jour à 16h pour qu'on nous dise à minuit qu'il faut aller à Haguenau", se souvient un tel. Un autre raconte qu'il lui arrive de se faire livrer à manger directement sur le parking des urgences. Sa collègue relate cette journée où un patient a fait un arrêt cardiaque dans l'ambulance. Tout le monde se dit "dégoûté du métier".

De son côté, la direction des Hôpitaux universitaires de Strasbourg n'a pas voulu faire de commentaire. Elle indique qu'elle "n'a pas la visibilité sur les lits aval des services d'urgence" et qu'elle est en train d'enquêter pour trouver la source de cet engorgement des services d'urgence.

D'après nos informations, la situation s'est aggravée dans la soirée au point que les syndicats ont voulu faire valoir un droit d'alerte. À 20h45, les urgences de Strasbourg comptaient 65 patients avec encore dix ambulances sur le parking. Selon un soignant, d'autres véhicules devaient encore arriver tandis qu'aucun lit d'hospitalisation n'était encore disponible aux HUS.

Dans le Complément d'enquête du 1er juin 2023, l'urgentiste strasbourgeois Sébastien Harscoat dénonce les conditions d'accueil des patients ainsi que les conditions de travail du personnel soignant des Hôpitaux de Strasbourg. Un extrait que vous pouvez retrouver sur le site de Franceinfo.

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