Pour aider les réfugiés à tisser des liens et apprendre le français, pour découvrir la région aussi, l'association strasbourgeoise Respir organise des randonnées dans le massif vosgien. Des moments de partage précieux pour ceux qui vivent loin de chez eux.
Sur la terrasse du chalet du Haut-Mahrel, à Urbès (Haut-Rhin), les rires, accompagnés de quelques notes de musique, s'élèvent dans la nuit. C'est l'heure de l'apéritif, et dans ce coin du fond de la vallée de Thann, à 650 mètres d'altitude, la douceur de ce mois d'octobre permet encore de profiter du grand air sans frissonner.
La nature, et un peu de légèreté, c'est cela que sont venus chercher Abbas, Alma, Mohamadullah, Irina et tous les autres. Ils sont 39 à avoir ce matin-là pris le train depuis Strasbourg, direction Fellering : deux heures sur les rails, puis 1h30 de marche en pente douce les ont menés vers ce chalet loué aux amis de la nature d'Illzach.
Ils sont afghans, syriens, ukrainiens, réfugiés d'Afrique de l'Est ou du Caucase. Étudiants ou demandeurs d'asile, tout juste arrivés en Alsace, ou installés depuis plusieurs années. Leur quotidien est fait de tracas administratifs, d'attente et de système D. L'association Respir leur propose chaque semaine une bouffée d'oxygène en montagne.
"Je suis quelqu'un de très timide, je ne vais pas facilement vers les autres", avance Ibrahima Bah. Il a 27 ans et est arrivé de Guinée-Conakry, seul, il y a un an. C'est la première fois qu'il passe tout un week-end avec l'association.
C'est le meilleur moment que je vis depuis que je suis en France. J'ai pu me lâcher, et ça fait du bien ! Ça permet de se détacher de ce qu'on vit au quotidien...
Ibrahima Bah, réfugié de Guinée-Conakry
Au menu de la soirée, repas iranien, dessert bosniaque et cours de salsa. "La soirée se construit très spontanément, explique Brigitte Vialatte, qui encadre le groupe et gère la logistique et l'organisation. Chacun apporte une idée, un instrument, une envie, sa richesse culturelle. Et on partage un moment collectif, de vie ensemble, qui va créer de la cohésion."
Des randonnées sportives pour favoriser l'activité physique
La nuit a été courte, mais au matin, tout le monde est au rendez-vous. 9h30, l'heure de démarrer l'ascension vers le Drumont, sommet entre Haut-Rhin et Vosges, à 1.200 mètres d'altitude. C'est parti pour 8 kilomètres de marche, 600 mètres de dénivelé. Certains chantent, beaucoup discutent.
"La marche, c'est très fédérateur. On entre facilement en conversation en marchant. Et puis c'est accessible à beaucoup de monde..." Voilà pourquoi Brigitte Vialatte, éducatrice spécialisée de métier et adepte de la randonnée en famille et entre amis, a eu cette idée il y a quatre ans : proposer des randonnées à ceux qui ont besoin de créer des liens et envie de s'intégrer.
Son association permet aujourd'hui à 350 personnes de participer à des sorties à la journée, organisées chaque semaine en train au départ de Strasbourg, et régulièrement à des week-ends entiers dans des chalets du massif. "Ce que j'ai constaté, explique la coprésidente de l'association, c'est que beaucoup de réfugiés ont le temps long. Ils sont dans l'attente et ont peu accès à des activités.
On leur offre cette possibilité de rencontrer des gens, se faire des contacts, tout en ayant une activité saine et sportive.
Brigitte Vialatte, fondatrice de l'association Respir
"C'est la première activité à laquelle j'ai participé lorsque je suis arrivé, se souvient Edgar Petrosyan, Arménien réfugié en Alsace depuis six ans. Les belles vues, les gens, on communique, on crée des liens amicaux, j'aime beaucoup. Du coup, quand j'ai démarré mes études à l'université, je connaissais plein de monde déjà, plus même que ceux qui étaient en deuxième année ! Ça m'a beaucoup aidé pour l'intégration..."
Cours de français en plein air
" Moi, j'ai besoin de progresser en français, et là, on parle ensemble, c'est bien", estime Abbas Enayati, venu d'Afghanistan. Les langues, la richesse dont vient aussi se nourrir lors de ces sorties David Cupina. Lui est Alsacien, travaille au conseil de l'Europe, et est heureux de venir pratiquer les langues qu'il connaît, comme le géorgien, qu'il parlait avec sa famille originaire de ce pays du Caucase. Heureux aussi d'enseigner le français de façon informelle, le long des sentiers.
Aux réfugiés se mêlent donc aussi des Strasbourgeois. Pour ce week-end, chacun a participé à hauteur d'un à vingt euros, selon ses revenus. Le reste du financement se partage entre le CROUS, la ville de Strasbourg, la CEA et l'Etat, dans le cadre de sa politique de la Ville.
Une sortie chaque semaine
À l'approche du sommet, la pente se fait raide, le souffle court, mais les sourires larges. La vue sur la vallée de Thann d'un côté, Bussang de l'autre, s'offre aux regards et aux appareils photos. "Je viens de Mongolie, nous glisse Baasandulam. La nature est pour nous très importante, et à chaque fois que je suis dans la nature, j'ai un peu l'impression d'être dans mon pays, ça me fait tellement de bien. J'apprécie l'Alsace pour cela, après des années à Paris, que je n'ai pas aimées du tout. J'adore cette région, vraiment."
Abbas lui aussi retrouve dans ce paysage un peu de ses montagnes d'Afghanistan. Tout à sa contemplation, le groupe se pose dans l'herbe pour pique-niquer. Les cloches des vaches vosgiennes offrent un joyeux fond sonore.
Bientôt, il sera l'heure de redescendre, pour faire le ménage dans le chalet et reprendre le train vers Strasbourg. Retour au quotidien, le corps fatigué, mais l'esprit reposé. Et tourné déjà vers le week-end suivant : ceux qui goûtent à ces randonnées en général reviennent.