En ce début d’année 2023, les allergies aux pollens sont particulièrement précoces et virulentes, notamment en Alsace. Le Pr Frédéric de Blay, spécialiste au sein des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, alerte sur les conséquences pour la santé et la très forte augmentation des populations concernées.
Les pollens n’ont pas attendu le printemps pour commencer leurs ravages. 2023 s’inscrit déjà dans les annales en matière de précocité et de forte concentration de ces agents allergènes (lire notre article du 13 janvier). Les personnes sensibles souffrent de symptômes particulièrement virulents. Une hypersensibilité qui est loin d’être anodine pour le Pr Frédéric de Blay, chef du service de pathologie thoracique aux hôpitaux universitaires de Strasbourg. Il alerte sur les conséquences pour la santé et la très forte augmentation des populations concernées. Entretien.
Les allergies, est-ce que c’est grave pour la santé ?
"Oui, elles peuvent s’avérer graves. Avoir une rhinite allergique au pollen, ça empêche de dormir, ça provoque des désagréments toute la journée au point d’avoir des conséquences sur votre activité, votre travail. Cela peut rendre aussi un peu plus dépressif.
Des études ont même prouvé que les allergies peuvent avoir les mêmes retentissements en termes de qualité de vie qu’une insuffisance cardiaque. Sans compter qu’elles peuvent provoquer de l’asthme, ce qui peut être grave."
La très grande quantité de pollens en ce début d’année peut-elle provoquer des allergies chez des personnes qui n’étaient pas sensibles ?
"Oui. Avec les pics très importants de pollens comme ceux des noisetiers en ce moment, des gens qui n’ont d’habitude aucun symptôme peuvent avoir cette année le nez qui coule ou les yeux qui piquent de façon très forte."
Le réchauffement climatique va-t-il aggraver le phénomène ?
"Il va en tout cas y avoir plus de symptômes allergiques. Toute la question est de savoir si le réchauffement climatique et la sécheresse vont provoquer des saisons polliniques plus longues ou s’il y aura davantage de pollens. Mais au cours des vingt dernières années, on a déjà vu des saisons comme celle-ci avec énormément de pollens."
Existe-t-il des solutions thérapeutiques ?
"Il y a les solutions médicamenteuses comme les antihistaminiques ou les solutions corticoïdes intra-nasales et les gouttes pour les yeux. On a aussi développé des biothérapies pour traiter les asthmes sévères et éviter aux patients de prendre de la cortisone. Il y a également de nouvelles générations de médicaments à base d’anticorps.
L’allergie est une maladie environnementale. Le port du masque peut aussi être une solution. Pendant la pandémie, on a vu qu’il avait permis à Strasbourg de diminuer les symptômes d’allergie au pollen de bouleau. Il y a aussi les purificateurs d'air : quand vous ouvrez votre fenêtre en pleine période pollinique, vous aurez des problèmes à l'intérieur de la maison."
Vous alertez sur le fait qu’il y a de plus en plus de personnes allergiques. Comment l’expliquez-vous ?
"Entre 1980 et 2000, la proportion de personnes allergiques a doublé. Actuellement, 30% de la population française née après 1980 est cliniquement allergique – soit aux pollens, soit sous forme d’asthme, soit à certains produits alimentaires. On pense que d’ici 20 à 30 ans, on sera à 50 %. Cela s’explique parce que les maladies allergiques sont souvent génétiques. Si vous avez deux parents sensibles, il y a 80 % de risque que leur descendance soit atteinte.
Le plus inquiétant, c’est de voir de plus en plus de jeunes enfants allergiques – et parfois avec des allergies multiples - alors que cela se déclenchait auparavant à l'adolescence. Cela ne s’observait pas il y a vingt ans."
Face à l’explosion du nombre d’allergiques, les médecins vont-ils pouvoir faire face ?
"Nous sommes en train de réorganiser la prise en charge thérapeutique. La fédération française d'allergologie vient de mettre en place un plan quinquennal de lutte contre les maladies allergiques pour faire face à l’explosion du nombre de malades qui se profile et à l’aggravation des symptômes.
Le premier niveau de consultation doit rester chez les médecins généralistes et les ORL. Le deuxième échelon, ce sont les spécialistes comme les allergologues. Un troisième niveau va être créé via des unités transverses d'allergologie avec un maillage partout en France. Sans quoi, nous aurons des difficultés pour traiter tous les malades à l’avenir."