Depuis juillet 2022, l'ancien arbitre Frank Schneider porte les couleurs du Racing Club de Strasbourg en tant que consultant en arbitrage. Deux mois après sa prise de poste, il livre un premier bilan de cette reconversion unique dans le monde du football.
À l'issue de la saison 2021-2022, l'arbitre Frank Schneider a raccroché le sifflet après plus de 300 matches dirigés en Ligue 1, en Ligue 2, et même au niveau international. Quelques semaines plus tard, il reprenait du service, cette fois-ci auprès d'un club, le Racing Club de Strasbourg.
Contacté par le président Marc Keller juste après le dernier match de la saison du Racing, Frank Schneider a accepté de rejoindre Strasbourg, sa ville natale. Maillot du club sur les épaules, l'ancien arbitre de 43 ans est revenu pour France 3 Alsace sur la mission que le Racing lui a confiée, lui qui expérimente ce poste dans le football.
France 3 Alsace : Pour quelles raisons avez-vous accepté ce challenge ?
Frank Schneider : "Je me suis toujours demandé comment les joueurs peuvent être dans les meilleures conditions dans un match s'ils ne connaissent pas les lois du jeu, la psychologie de l'arbitre, son environnement, mais aussi s'il ne savent pas comment interagir avec lui, ou comment profiter des lois du jeu. On est quand même pas mal de collègues à se poser cette question, et l'opportunité s'est présentée à moi, tout simplement."
L'idée, c'est d'apporter cette compréhension de l'arbitrage pour que les joueurs soient vraiment concentrés sur le jeu.
Frank Schneider
Quels sont vos principaux axes de travail ?
"Il y a d'abord les axes techniques, c'est-à-dire la connaissance des lois du jeu : quand est-ce qu'il y a une main, un hors-jeu ? Est-ce qu'on peut jouer une touche ou un coup franc rapidement ? Des fois, il y a des petites subtilités qu'on ne connaît pas. Ça paraît simple, mais quand on creuse un peu, ça peut nous apporter un avantage.
Sur les axes comportementaux, on se demande ce qu'on peut dire à un arbitre ou pas, et au contraire, ce qu'on peut lui demander, comment on peut interagir avec lui. Avec le coach, on est très porté sur le comportement. L'idée, c'est d'apporter cette compréhension de l'arbitrage pour que les joueurs soient vraiment concentrés sur le jeu."
Est-ce qu'il y avait un besoin de compréhension de la part des joueurs ?
"Je ne sais pas s'il y avait un besoin. En tout cas, il y a eu un accueil très favorable ! Les joueurs me sollicitent à l'issue des entraînements, des matchs et même à l'issue de certains matchs qui se passent en semaine en Coupe d'Europe ou en Ligue 2. Ils ont envie de comprendre si tel carton rouge était justifié ou non par exemple. J'ai reçu même des appels tard le soir et des messages WhatsApp. C'est marrant de voir cette soif qu'ils ont, parce qu'ils ont enfin une ouverture le monde de l'arbitrage."
Le Racing n'a pas encore écopé de carton rouge (l'interview a été réalisée le 1er septembre, avant le match contre Brest) mais ils ont reçu quatre cartons jaunes contre Nice. Est-ce que c'est votre rôle de recadrer les joueurs là-dessus ?
"Ça, c'est le rôle du coach de décréter concrètement ce qu'il a envie d'aborder comme thème technique. Moi ce que je fais, c'est qu'après chaque journée, je débriefe l'arbitrage au coach pour qu'il comprenne certains avertissements. Parce qu'on a tendance à voir les matchs de manière séquentielle, mais un match, c'est une histoire pour un arbitre. Pourquoi tel joueur a reçu un carton jaune ? Ça s'explique par l'histoire du match. Le coach, lui, il n'a pas ce prisme. Il a celui du technicien, de l'expert. Mois, je viens avec l'arbitrage. Il y a des situations sur lesquelles on ne partage pas la décision finale. Pour autant, il est très ouvert en disant 'Ok, maintenant je comprends comment l'arbitre raisonne'."
J'ai voulu revoir toutes les équipes de l'Académie pour qu'ils aient cette sensibilité arbitrale.
Frank Schneider
En plus de l'équipe première, vous intervenez aussi avec les jeunes et les féminines...
"C'est une approche globale avec l'Académie (le centre de formation du Racing, ndlr). Je fais aussi intervenir des jeunes arbitres pour arbitrer les oppositions en semaine entre les U19 ou la N3, et de la D2 féminine aussi. J'intègre des arbitres qui eux aussi ont des conditions d'entraînement optimales. C'est parfait pour l'Académie, parce que ça les soulage de la tâche d'arbitrage.
J'ai voulu revoir toutes les équipes pour qu'ils aient cette sensibilité arbitrale. On a revu les basiques sur les mains, les hors-jeu, les cartons jaunes, les cartons rouges... pour qu'ils aient au moins ce socle-là, et on va le renforcer au fur et à mesure de la saison."
Vous apprenez beaucoup aux joueurs, mais qu'est-ce que vous apprenez d'eux ?
"Je pense que c'est moi qui en a appris le plus jusqu'à présent. J'ai changé de monde, j'ai changé de rôle. J'ai aussi redécouvert les émotions. Parce que quand on est arbitre, on ne les a pas ; en tout cas il faut les cacher. Là, j'ai appris à ne plus être sur le terrain, mais être au service de ceux qui sont sur le terrain, et c'est passionnant. Je n'ai qu'une infime contribution à l'ensemble du groupe, mais c'est un apprentissage très intéressant."
Vous êtes le seul arbitre à travailler dans un club de football, chose qui existe dans le monde du rugby. Comment vos anciens collègues perçoivent votre nouveau métier ?
"Il y a ceux qui sont très favorables, parce qu'ils y voient enfin une ouverture et voient le changement dans les comportements. Et puis il y a ceux qui se disent 'Mince, ça va nous mettre en difficulté'. Pourquoi ? Il faudrait leur demander. En tout cas ce qui est sûr, c'est que tous ceux qui sont venus à Strasbourg aujourd'hui l'ont vu d'un très bon œil en se disant que c'est top. Ils ont senti que c'était plus simple de communiquer, que c'était une ouverture et ils voient des perspectives pour eux aussi. Les arbitres de manière générale demandent cette ouverture, cette communication, ces échanges avec les clubs. Donc c'est un premier pas."
Justement, trouvez-vous que les arbitres sont plus valorisés qu'il y a quelques années, au début de votre carrière ?
"Je ne sais pas s'il y a une différence de valorisation. Il y a une différence de positionnement, de communication, c'est sûr. À l'époque, il y avait des (Tony) Chapron, des (Stéphane) Lannoy, des (Saïd) Ennjimi qui prenaient la parole librement et qui s'exprimaient avec tout le monde. Aujourd'hui, les arbitres ont une place plus en retrait. Voilà, c'est un fait. Pour moi, c'est ni bon, ni mauvais. C'est juste un changement de relation."
Un changement de relation que Frank Schneider opère avec ce poste nouveau, qui suscite donc de l'intérêt et de la curiosité, à la fois des joueurs, mais aussi de ses anciens collègues. Mais la mission de Frank Schneider doit se concrétiser dans le temps. Si Strasbourg n'avait encore pas pris de carton rouge avant cette interview, le match nul à Brest trois jours plus tard aura été marqué par les exclusions du milieu Sanjin Prcić... et du coach Julien Stéphan pour ses protestations envers l'arbitre.