Dominique Mastelli est responsable des cellules d'urgence médico-psychologiques du Bas-Rhin. Quelques heures après l'explosion de Beyrouth, le 4 août, il s'envolait avec d'autres médecins et infirmiers pour soutenir, aider et soigner les ressortissants français du Liban. Entretien.
Les psychiatres alsaciens sont partis au Liban le soir même de l'explosion de Beyrouth, le 4 août. A la demande du ministère des Affaires étrangères, des moyens sanitaires ont été mis à la disposition du Liban par le ministère de la santé, et la France a envoyé différents professionnels de santé.
Les cellules d’urgences médico-psychologiques (CUMP) ont pu apporter leur expertise en gestion de crise, avec des volontaires présents partout en France.
Dans le Bas-Rhin, Dominique Mastelli est le seul à faire partie de la délégation envoyée sur place. "Les CUMP sont constituées de médecins psychiatres, de psychologues et d’infirmiers formés à la prise en charge des troubles de stress post-traumatique pour l’accompagnement immédiat et post-immédiat des personnes victimes afin de prévenir ou traiter le psycho-traumatisme", précise le site internet des CUMP 67.
Dominique Mastelli est responsable des CUMP du Bas-Rhin. Nous l'avons joint par visio vendredi 14 août. Cela fait dix jours qu'il est sur place pour soigner, écouter et soutenir les habitants traumatisés. Il nous raconte son travail.
Comment avez-vous travaillé au Liban depuis le 4 août ?
Nous avons été mandatés pour intervenir auprès des 25.000 ressortissants français recensés au Liban, ils habitent presque tous à Beyrouth ou pas très loin de la capitale libanaise. Nous sommes présents depuis l'explosion au sein du consulat de France et de l'ambassade de France. Pour aider, soutenir et soigner les français, leurs proches et éventuellement les personnels d'aide français sur place.La particularité aussi c'est que le Liban est un pays extrêmement proche de la France. Nos liens sont très importants et la population francophone est très importante. Donc nous pouvons travailler avec eux, nous sommes accueillis et nous pouvons sentir l'attachement des libanais à la France et l'immense espoir qui a été amorcé par la visite du président Macron.
Le travail des CUMP est surtout préventif. Face à une population qui a vécu un choc, potentiellement traumatique, il s'agit de les prendre en charge maintenant pour qu'elles ne développent pas des pathologies plus tard.
Comment vont les habitants ?
Tous ceux qui ont été témoins directs de cet événement sont fortement impactés. Il n'y a pas une personne dans le quartier de Gemmayzé [ravagé par l'explosion, ndlr] et des quartiers autours qui n'ait pas vécu très fortement cet événement. Il y a des pertes humaines et matérielles importantes, et d'innombrables blessés. Nous rencontrons des personnes frappées, choquées, blessées, angoissées, dont le sommeil est extrêmement perturbé.Beaucoup ont des reviviscences : ils revivent sans cesse l'explosion, les sons, les images. Certains décrivent le souffle qui les a propulsés à plusieurs mètres. Certains ont des traumatismes anciens, ils ont vécu les guerres [la guerre civile au Liban a duré de 1975 à 1990 et a fait plus de 130.000 victimes civiles, ndlr], les attentats et la menace permanente qui n'est pas protectrice.
Il y a quelque chose d'inédit d'intervenir auprès d'une population d'un pays qui a beaucoup souffert, pour qui c'est le coup de plus. Et que se trouve encore plus fragilisée.
Toutes les personnes que j'ai rencontrées étaient persuadées que c'était leur immeuble qui était en train d'exploser. "On était certain que c'était nous la cible", m'ont dit certains habitants. C'est ce qu'ils ont pensé pendant quelques instants, tous, à des endroits différents. Puis ils ont fini par comprendre que c'était un événement collectif qui impactait toute la ville. Le bruit a été entendu à plusieurs km de Beyrouth.
Est-ce que les offres de soin sont diminuées ?
Nous allons au-devant des habitants pour les orienter vers les centres de soin. Certains hôpitaux ont été ravagés par l'explosion. Les moyens sont fortement diminués, le système de soins est de fait désorganisé.Là nous sommes dans une deuxième phase, les choses se remettent en place. L'assistance d'organisation d'urgence va pouvoir se retirer, pour faire place à une aide plus pérenne et plus longue. Au bout de dix jours, il y a un semblant de retour à la normale.
Le 14 août, la mission des CUMP s'est terminée. Le Consulat français au Liban a expliqué dans ce tweet en date du 14 août qu'il ferme l'accueil d'urgence mis en place le 4 août dans ses locaux :
? L' espace d’accueil ouvert au Consulat Général suite à l’explosion au port de Beyrouth sera fermé ce soir. Environ 700 français ont pu avoir accès aux consultations médicales, soutien psychologique et urgences consulaires.@CdCMAE @MarinsPompiers
— ConsulatFRLIBAN (@ConsulatFRLiban) August 14, 2020
Dominique Mastelli et tous les volontaires des CUMP de France ont repris l'avion dimanche 15 août 2020.