Si le monde agricole fait entendre sa voix pour s'opposer à l'accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur, ce dernier pourrait permettre aux vins français de pénétrer plus facilement un marché sud-américain encore de niche, notamment au Brésil.
L'accord entre l'UE et le Mercosur, qui rassemble cinq pays sud-américains, est au centre des préoccupations des agriculteurs français en cette fin 2024. Pourtant, en supprimant des droits de douane importants et complexes vers cette zone du globe, plusieurs filières de l'Hexagone pourraient en sortir gagnantes, comme celle du vin.
Certes, le marché sud-américain est loin d'être la principale destination des vins français. En 2023, aucun pays d'Amérique latine ne fait partie des 20 premiers marchés mondiaux, d'après les chiffres de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux de France (FEVS). L'enjeu de cette partie du globe n'est alors pas immense.
Pourtant, l'un de ces pays, à savoir le Brésil, commence à tirer son épingle du jeu. Dans ce pays de plus de 200 millions d'habitants, le premier marché de la zone, les exportations de vins français ont augmenté de 7% en 2023, toujours d'après la FEVS. Dans un récent communiqué, le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) indique que plus de neuf bouteilles de bourgogne sur dix exportées en Amérique du Sud en 2024 prennent la direction du pays.
Vendre du vins aux Argentins, c'est comme demander aux Bordelais d'acheter du Bourgogne
Cyril MeuleyResponsables des exportations vers l'Amérique latine de la maison Boisset
Une montagne par rapport aux autres pays du Mercosur que sont l'Uruguay, le Paraguay, la Colombie et l'Argentine, cinquième producteur de vin au monde. "Aller vendre du vin français aux Argentins, c'est très difficile vu ce qu'ils produisent. C'est comme demander aux Bordelais d'acheter du bourgogne", compare Cyril Meuley, responsable des exportations vers l'Amérique latine du négociant Boisset, à Nuits-Saint-Georges (Côte-d'Or).
Un marché de niche, plus pour très longtemps ?
"Au Brésil, le peuple ne boit pas de vin. C'est réservé aux milliardaires. Et ça se comprend ! Une bouteille européenne coûte trois fois plus cher avec toutes ces taxes. Un grand cru, c'est aussi cher qu'un mois de salaire minimum", complète Jean-Claude Cara, consultant pour plusieurs maisons d'importations au Brésil.
Et si le pays reste un marché confidentiel, le BIVB estimant qu'il pèse moins de 1% des volumes exportés et du chiffre d'affaires fait depuis le début de l'année 2024, le pays attire de plus en plus de vins bourguignons. Entre 2022 et 2023, les exportations vers le Brésil de ces vins ont augmenté de 39% en volume pour atteindre près de 600 000 bouteilles, ce qui représente plus de 7 millions d'euros.
Pendant longtemps, la notion de 'terroir' était inconnue pour les Brésiliens
Jean-Claude CaraConsultant pour des maisons d'importation au Brésil
"Depuis une dizaine d'années, on observe une hausse de la consommation des Brésiliens, tous vins confondus. On doit ça à un taux de change favorable mais aussi à une mécanique classique qui est celle de la hausse du niveau d'éducation. On veut ressembler à 'la vieille Europe' alors on boit du vin, surtout en provenance d'Italie et de France", détaille Cyril Meuley.
"Les choses sont en train d'évoluer. Pendant longtemps, la notion de 'terroir' leur était inconnue mais les Brésiliens s'intéressent de plus en plus au bourgogne après le champagne et le bordeaux. Ça commence à changer, les gens s'ouvrent de plus en plus", abonde Jean-Claude Cara.
"Aussi, les enseignes de grande distribution ont une meilleure connaissance du secteur. Elles vont donc directement acheter chez nous plutôt que passer par un importateur sur place. Ça leur coûte moins cher et on trouve plus de nos bouteilles dans les rayons", poursuit Cyril Meuley.
"On ne ferme pas les yeux sur le reste"
Autant d'arguments qui montrent que les vins bourguignons ont la cote au Brésil (surtout les Chablis et les blancs d'après le BIVB) et qu'une suppression des droits de douane, aujourd'hui autour de 27%, serait une bonne nouvelle. "L'accord entre l'UE et le Mercosur simplifierait énormément la complexité douanière qui existe avec le Brésil", reconnaît Cyril Meuley, qui voit dans cet accord "une opportunité de business immédiate" dans un marché en pleine expansion.
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Mais le spécialiste de la zone ne voit pas que des conséquences positives dans la possible signature de l'accord. "Ce n'est pas pour autant qu'on en serait satisfait. Ça veut aussi dire recevoir des marchandises du Brésil et d'Argentine qui viendraient concurrencer nos vins français. Puis au-delà du vin, on ne ferme pas les yeux sur le reste. On fait partie de toute une économie agroalimentaire."
De l'autre côté de l'Atlantique, Jean-Claude Cara souhaite de tout cœur voir ces droits de douane et ces taxes baisser. "Ici, si on n'est pas riche, on est presque condamné à boire du vin brésilien, qui est très loin d'être exceptionnel. On espère voir des bouteilles françaises avoir des prix compétitifs par rapport à celles qui viennent d'Argentine", insiste Jean-Claude Cara, pour qui "la roue est en train de tourner" dans les mentalités brésiliennes.