Game of Thrones - Cersei Lannister jugée à Strasbourg: "Un Lannister paye toujours ses dettes; qu'elle paye la sienne!"

L'École des jeunes orateurs de l'institut d'études politiques de Strasbourg a mené le procès de Cersei Lannister, reine de la série Game of Thrones. Les plaidoiries ont été livrées à la chambre de commerce et d'industrie, le 24 avril. Chronique de ce procès hors-normes. (spoilers: saison 6 de 2016)

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

C'est un procès pas comme les autres, qui se joue ce mercredi 24 avril 2019. Sous les lustres dorés et les plafonds à caissons de la salle principale de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Strasbourg, un tribunal pour le moins singulier a pris place.

Les magistrats et la procédure diffèrent sensiblement de ce qui se fait normalement au palais de justice, quai Finkmatt. La raison: on juge aujourd'hui un personnage emblématique de la série télévisée Game of Thrones, la redoutable reine Cersei Lannister.
 


Récit de ce procès qui mêle réalité et fiction, rhétorique et éloquence. (la vidéo du procès, sans le début et la fin, se trouve en bas de l'article)
 

Voilà la reine Cersei Lannister (Camille Franquet) qui passe les deux grands battants de la double-porte donnant accès à la salle, sous les applaudissements du public. La salle est pleine à craquer: les billets pour avoir une place, limitées, se sont envolés. Les avocats et témoins de l'accusation, puis de la défense, ont précédé la reine et ont également récolté leur part d'applaudissements.
 

Le procès "d'une femme de pouvoir et de complot"

Raphaël Comte, le président de l'École des jeunes orateurs (EJO) de l'institut d'études politiques (IEP) de Strasbourg, est affublé en "Grand moineau" (le chef religieux à l'origine du procès contre Cersei): il prend la parole en tant que procureur
 
Pour le procureur, Cersei est "une femme de pouvoir et de complot", jugée après sa "tentative présumée de détruire une partie de la capitale du royaume avec du feu grégeois: il faut faire cesser ces innombrables attaques contre le peuple!"

Le feu grégeois, c'est un liquide vert hautement inflammable et explosif qui a la propriété de se maintenir sur l'eau: Louis XV en a volontairement fait disparaître la formule tant il s'agissait d'une arme terrible. Aujourd'hui encore, les scientifiques ne parviennent pas à en reproduire la composition.
 

Dans Game of Thrones, le feu grégeois a été utilisé pour repousser une attaque navale.

Or, Cersei disposait de tonneaux de feu grégeois, dissimulés sous le bâtiment où devait se tenir son précédent procès, et où tous ses opposantes et opposants se trouvaient (c'est ce qui se passe dans la série: Cersei fait tout exploser, ce qu'on voit dans la vidéo ci-dessous).

Mais dans le procès qui se tient à la CCI, cette horrible machination a été déjouée: ce procès se tient dans une "réalité parallèle". On imagine que toutes les personnes à l'intérieur ont donc été sauvées. Cersei a alors été mise aux arrêts, et menée à un second procès qu'elle ne pourra plus menacer, si ce n'est empêcher.
 
Pour l'heure, Cersei est dignement assise sur sa chaise dorée tendue d'un élégant tissu vert. Elle porte une longue robe cintrée noire rehaussée d'une fine broderie argentée tissée autour du cou et à la naissance des épaules.

À son cou pend le médaillon ancestral de sa famille, les Lannister. Lourd et doré, il symbolise la puissance et la richesse de cette famille. Un lion, symbole des Lannister, y est gravé.

"La peine de mort est demandée."
Le Grand moineau, procureur du procès -

"Un lion ne se soucie pas des moutons", avait un jour dit la reine au faîte de sa puissance. Mais les moutons se sont rassemblés et mettent aujourd'hui la lionne en danger.

"Le chemin de Cersei Lannister est jonché de honte et de cadavres. Pour inceste, tentative de meurtre avec préméditation, trahison de l'intérêt du royaume, et crimes de guerre, la mort est demandée!" Le procureur est implacable. Hélas pour Cersei, la Constitution française prohibant la peine de mort ne s'applique pas dans le royaume de Westeros... 
 

Après le tirage au sort des sept jurés au sein de l'audience, la cour se lève et doit prêter serment: "Moi, membre de la cour ou du jury, je jure du meilleur de mes connaissances d'assurer un jugement égal devant les Hommes et les Dieux."

Par "égal", on entend que ce procès n'est pas une chasse aux sorcières: Cersei a droit à une défense exemplaire, avec du temps de parole. "Nous allons respecter la procédure accusatoire", scande le juge Gabriel Eckert (président de l'IEP de Strasbourg).
 

L'accusation appelle donc ses témoins, puis c'est au tour de la défense. Chacune bénéficie à peu près du même temps de parole. L'assesseuse à gauche du juge, Frédérique Berrod, prend une montagne de notes pendant les dépositions.
 

Les témoins de l'accusation à la barre: "Pour Cersei, la fin justifie les moyens"

Le premier témoin de l'accusation est Lancel Lannister (Léo Perron), le cousin de Cersei. Son intervention est fondamentale car il s'agit de celui qui a empêché Cersei de faire exploser le bâtiment où ses ennemi(e)s devaient précédemment la juger.

De plus, Cersei est accusée d'inceste avec lui. Lancel a rejoint l'ordre religieux qui traduit aujourd'hui la reine en justice: "Cersei est une pécheresse. Je ne nie pas l'avoir été, mais j'ai fait pénitence. Pas elle."
 

Margaery Tyrell (Jade Schulz), belle-fille de Cersei par son mariage avec son fils le roi Tommen Lannister, libère sa conscience après avoir, au départ, tenté d'être conciliante: "J'ai pris conscience du mal régnant dans cette famille. Cersei ne pense pas aux intérêts du royaume: quelle reine préfère nourrir ses chiens que son peuple? Pour elle, la fin justifie les moyens, elle n'a aucun remords."

"Cersei n'a aucun remords."
Margaery Tyrell, épouse du roi Tommen (le fils de Cersei) -

"Laisseriez-vous en liberté une telle abomination?!" Les mots de Petyr Baelish (Pierre-Jean Renaud), ancien ministre des Finances du royaume, sont durs. Il accuse les enfants de Cersei (Joffrey, Myrcella, et Tommen) d'être non pas les enfants du défunt roi Robert Baratheon, mais d'être issus d'une relation incestueuse entre Cersei et son frère jumeau Jaime Lannister.  

Baelish blâme la reine pour la mort des deux précédents Premiers ministres (Jon Arryn et Eddard Stark) qui l'avaient découvert et s'apprêtaient à révéler la vérité. Prenant à témoin l'orage qui avait éclaté au dehors juste avant l'ouverture du procès, il lance, théâtral: "La colère des dieux a grondé; donc elle est coupable!" Pas impressionnée, Cersei se recoiffe.

"Laisseriez-vous en liberté une telle abomination?!"
- Petyr Baelish, ancien ministre des Finances -

Tyrion Lannister (Nguyen Anza) n'est pas moins tendre avec sa grande soeur: "Cette femme est-elle digne de régner?!" Il rapporte avoir subi de la part de Cersei des menaces. Elle aurait aussi menacé la femme dont il était amoureux. Il accuse également Cersei d'accusations mensongères (elle avait accusé Tyrion d'avoir empoisonné son fils le roi Joffrey), et même d'avoir contribué à la mort "accidentelle" de son époux, le défunt roi Robert Baratheon. 
 

Sansa Stark (Olivia Martins de Melo) livre le témoignage le plus fort: "J'ai été brisée, manipulée, persécutée, torturée. Cersei a profité de mon jeune âge. J'ai été naïve de croire qu'elle était capable de compassion: elle en est incapable!"

Citant son père Eddard Stark, mort pour avoir tenté de révéler l'inceste auquel s'était livré Cersei, Sansa rappelle: "Tous ceux qui ont été contre elle sont maintenant six pieds sous terre!" Avant de conclure, glaciale: "La devise des Lannister est qu'ils payent toujours leurs dettes. Il est temps pour Cersei de s'acquitter de la sienne!"
 


La parole à la défense "d'une dame honteusement accusée à tort"

Changement radical de ton avec les témoins de la défense. La première (Clara Blottas), la nourrice de Cersei, est très émue. Elle tresse les louanges de la reine, "la femme la plus capable que je connaisse, qui a appris dans la difficulté". À ces mots, Cersei ne dissimule pas un petit sourire.

Rappelant que Cersei a eu une enfance difficile, entre la mort en couches de sa mère et un père glacial, la nourrice ajoute que la reine a beaucoup souffert dans un monde dominé par les hommes. Elle s'emporte à la fin de son témoignage: "Allez trouver vos coupables chez les hommes qui ont bafoué notre reine!"
 

Une garde, Lyle Crakehall (Océane Champion), épée à la ceinture, décrète pompeusement qu'elle n'a jamais "douté de l'honorabilité de notre reine, cette dame honteusement accusée à tort". Elle explique que Cersei est forcément innocente, puisqu'elle n'a jamais rien entendu de suspect dans sa chambre, devant laquelle elle montait la garde chaque jour. 
 

Le guérisseur de Cersei, Qyburn (Franck Mbargua Nguele), affirme qu'on cherche à "discréditer la reine: sa place n'est pas dans ce procès. Elle a toujours protégé les siens contre ses ennemis." Cersei baisse la tête puis la redresse. 

Qyburn raconte que la reine lui a tendu la main lorsqu'il n'était plus rien: "J'étais comme un légume séché. La reine n'a pas fait que m'arroser avec quelques gouttes. Elle m'a irrigué comme un fleuve. Elle m'a permis de soigner et de guérir des blessés de guerre." Une preuve pour lui que Cersei est "soucieuse du bien-être de son prochain".

"Notre reine est soucieuse du bien-être de son prochain."
- Qyburn, guérisseur de la cour -

Jaime Lannister (Lucas Jacquot) tente une défense quelque peu étonnante. Le frère jumeau de la reine, qu'on soupçonne avec elle d'inceste (consenti) et de la potentielle paternité des enfants du couple royal... reconnaît d'une voix douce être "le seul coupable pour avoir blessé la reine"

Jaime ajoute: "J'ai abusé de tes faiblesses, Cersei: je suis désolé de t'avoir violée sur la sépulture de ton premier enfant..." À ces mots, Maria Kordeva, l'assesseuse assise à droite du juge, écarquille les yeux.
 

L'accusée prend la parole: "J'ai fait des choix pour protéger ce royaume"

La reine peut finalement se défendre en personne. Elle tente, avec un certain talent, d'apitoyer la salle en rappelant qu'une voyante lui avait prédit de grands malheurs: "La fatalité est à l'oeuvre: j'ai perdu deux enfants, me voilà aujourd'hui jugée... Ma défunte mère m'avait dit que mes seules armes en tant que femme seraient mes larmes." 
 

Cersei prétend avoir eu à coeur l'intérêt du royaume en acceptant d'épouser le roi Robert Barathéon, qu'elle est tombée amoureuse de lui malgré "son mépris, sa violence, l'alcool dont il s'abreuvait". Et rappelle que lors de leur nuit de noces, il a prononcé le prénom d'une autre femme à laquelle il pensait.

Rappelant qu'elle est devenue régente "pour protéger ses enfants et donc l'intérêt du royaume", Cersei dénonce ensuite les "extrémistes religieux" qui ont fomenté ce procès et l'ont humiliée. Prennent également pour leur grade son petit frère Tyrion qui a assassiné leur père, ou la reine illégitime Daenerys Targaryen qui a fait crucifier des propriétaires d'esclaves.

"En protégeant mes enfants, j'ai protégé l'intérêt du royaume."
- Cersei Lannister, reine-régente -

Elle conclut fièrement: "Pourquoi suis-je jugée aujourd'hui et pas eux? Car moi, j'ai fait des choix pour protéger ce royaume."
 


L'heure des plaidoiries: "La reine est témoin, complice, et commanditaire"

Les avocates et avocats entament la dernière partie du procès. Leurs plaidoiries sont longues et acérées (voir vidéo tout en bas), et discréditent souvent les témoins comme les chefs d'accusation. Si on n'en retenait qu'un bref extrait pour chacune et chacun des protagonistes de ces plaidoiries, ce serait ceux-ci.
 
  • Marianne Lamérand et Thomas Collange, à l'accusation, admonestent la reine:
"La reine ne s'est limitée à aucune bassesse pour refermer ses griffes sur le trône. Derrière ses titres et ses honneurs se cache une meurtrière!"

"Où s'arrête l'infamie? La reine en est témoin, complice, et commanditaire! Ne fermez plus les yeux: il est temps d'appliquer la peine capitale."
 
  • Balthazar Gisbert et Sahra Thiriet, à la défense, discréditent les témoins:
"Margaery, la reine Cersei aurait tué son époux le roi? Rappelez-moi combien de rois VOUS avez épousé avant qu'ils meurent? Trois, je crois?"

"Lancel, vous prétendez avoir TOUT vu... Je croyais que seuls les dieux étaient omniscients?"

"Baelish, vos vérités et vos loyautés sont aussi NOMBREUSES que les catins que vous hébergez dans les bordels de cette ville!"

 

 
  • Le professeur Guillermo Arenas, à l'accusation, se montre philosophe:
"Elle pensait être au-dessus des lois. Elle disait à ses ennemis qu'au jeu du pouvoir, on gagne ou on meurt. Dura lex, sed lex ["la loi est dure mais c'est la loi" en latin; ndlr]: il faut appliquer à l'accusée les règles de son propre jeu."
 
  • Le professeur Olivier Fuchs, à la défense, détruit la légitimité-même du procès:
"Rien. Contre l'accusée, vous n'avez rien. Ce procès est creux et stérile. Que n'a-t-on entendu! [...] Aucune preuve n'est régulière: les traitements humiliants subis par la reine invalident tout."
 

Après ces déclamations de haute volée, Cersei n'a rien à ajouter. La cour et le jury se retirent pour délibérer. Cersei Lannister gardera-t-elle sa couronne... ou tout au moins sa tête?
 

Le juge rend sa décision: "L'accusée est reconnue..."

La cour a retenu trois incriminations. Pour "inceste", Cersei est déclarée non-coupable. Pour "crimes de guerre contre le peuple", la reine est également innocentée. Mais en revanche, elle est reconnue coupable de "trahison"

Pour avoir pensé à son intérêt personnel au détriment de l'intérêt du royaume, le juge condamne Cersei... à passer le concours de l'École nationale d'administration! "Elle y apprendra à défendre l'intérêt général", précise le facétieux juge. Une bien bonne idée, mais encore faut-il que l'ENA demeure... ouverte.
 

Livret du procès de Cersei Lannister à Strasbourg by Vincent Ballester on Scribd

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité