Nom : Kjokk. Sous-titre : dictionnaire des bizarreries de la langue française. Cet ouvrage intrigant a été rédigé en quelques mois par un jeune étudiant strasbourgeois, qui a découvert l'existence de milliers de mots incongrus de la langue française par le biais d'un jeu en ligne.
Pouvez-vous expliquer ce que signifie "aa" ? ou "monte-en-l'air" ? Et "noli-me-tangere", ça vous parle ? Non ? Pourtant, il ne s’agit là que d’honnêtes mots de la langue française. Répertoriés et définis dans l’un ou l’autre des dictionnaires officiellement reconnus.
Mais pas d’inquiétude. S’ils vous paraissent inconnus et incongrus, cela ne signifie pas forcément que vous êtes inculte. En effet, ils sont si spécifiques, précis ou désuets qu’on ne les utilise guère. Et donc, à force d’être négligés, ils sont peu à peu oubliés.
Mais pour remédier à ces lacunes, plongez-vous séance tenante dans "Kjokk – le dictionnaire des bizarreries de la langue française". Ce petit livre est né de la ténacité de Mickaël Schauli, un étudiant strasbourgeois de 18 ans. Qui, voici moins d’un an, a découvert l’existence de ces innombrables mots méconnus et a voulu les remettre en lumière.
Du jeu en ligne au dictionnaire
Rien ne prédisposait réellement le jeune homme à suivre ainsi les traces de Diderot, Panckoucke ou Larousse. Certes, il joue du théâtre. Mais il ne s’est pas adonné à des études de lettres, préférant les sciences de l’éducation. Cette passion pour les mots lui est venue un peu par hasard, de manière ludique, grâce à un ancien jeu de société, Bombparty, récemment mis en ligne.
Mickaël y a joué durant le confinement, chez ses parents, à Wolschheim (Bas-Rhin, dans la région de Saverne). Le jeu génère une syllabe, au hasard, "et on doit trouver des mots où cette syllabe figure" explique l’étudiant, admiratif de certains joueurs "qui apprennent des mots par cœur" pour être plus réactifs.
Et un beau jour, il découvre par ce biais le terme bien français de "kjökkenmödding" (du danois kjökken : cuisine, et modding : fumier), qui désigne un ensemble de déchets culinaires et ménagers des populations préhistoriques européennes.
Je me suis dit : c'est intéressant, il y a des mot étranges dans notre langue. Et j'ai commencé à les lister.
Cette rencontre verbale devient fondatrice. Un déclencheur. "Je me suis dit : c’est intéressant, il y a des mots étranges dans notre langue. Et j’ai commencé à les lister." Il débute par les mots intrigants qu’il repère dans le jeu, et en vérifie la validité.
Rapidement, sa nouvelle passion grandit. Il change de méthode en multipliant ses sources : "On passe de : ‘les mots viennent par hasard’ à ‘les mots, on va les chercher’", explique-t-il. En clair, il consacre les 200 euros de son pass culture à s’acheter des dictionnaires. Qu’il "feuillette" avidement. Histoire d'étoffer son cabinet de curiosités, il consulte aussi "d’anciens dictionnaires des siècles derniers, pour trouver des mots vieillis."
En quelques semaines, sa liste à la Prévert commencée en janvier dernier s’allonge. "A partir de cinquante pages, je me suis dit qu’il fallait en faire quelque chose" se souvient-il. En février, il attrape la Covid19. "Je n’avais pas trop de symptômes graves, mais j’étais isolé dans mon bureau." Il en profite pour lancer une campagne participative, en vue d’éditer un dictionnaire à partir de ses trouvailles. Mi-mars, il a récolté vingt-huit précommandes, et s’engage à livrer son ouvrage dès septembre.
Des amis fournissent les mots, lui réécrit chaque définition
"J’avais une date pour sortir le livre, il y avait donc la pression du temps" se souvient Mickaël Schauli. Le délai qu’il s’est fixé est très court, et les choses s’accélèrent. Il cherche des collaborateurs, lance "une plateforme en ligne où des gens peuvent proposer leurs mots." Une vingtaine de personnes s’investit. Trois, particulièrement, également fans du jeu bombparty, lui "ont envoyé des tonnes de mots, au moins 6.000. J’en recevais parfois 300 dans la journée." Il crée l’association des Amis de la Culture et des Mots.
D’ordinaire, ses indics lui signalent la source de chaque terme transmis, mais lui-même veut vérifier si cette source est bien valide. En effet, dans son livre, il ne laissera place qu'aux mots "déjà référencés dans des dictionnaires". Pour lui, c’est un "gage de validité", une preuve que le mot est "employé suffisamment pour exister." Rapidement, il confie cette tâche à un logiciel, qui gère également les doublons.
En revanche, aucun logiciel ne va rédiger les définitions à sa place. Or, dans un nouveau dictionnaire, il n’est pas question de recopier des définitions préexistantes. "Le plagiat n’est pas autorisé." De mars à fin juillet, Mickaël Schauli doit donc tout réécrire. Il "compile les informations importantes" contenues dans les autres dictionnaires, pour refaire ensuite ses propres phrases.
D’ordinaire, ce travail rédactionnel lui prend quelques minutes par mot. Mais parfois, les choses se compliquent. Il arrive que "deux dictionnaires en donnent deux définitions différentes." Et si le mot désigne un animal, l’étudiant prend également le temps de rechercher et visionner en amont - s'ils existent - des documentaires qui lui sont consacrés, afin de mieux comprendre son sujet.
Je préfère que mes lecteurs comprennent tout et apprennent des choses.
Il choisit aussi de ne pas retenir certains termes, "non pas parce qu’ils ne sont pas valides, mais parce qu’ils concernent des concepts compliqués, trop difficiles à définir." Car plutôt que de simplement "recueillir des mots scientifiques que personne ne connaît", il préfère que ses lecteurs "comprennent tout et apprennent des choses."
Une première édition, et la suite ?
"Kjokk – le dictionnaire des bizarreries de la langue française" est donc sorti en septembre dernier. Son titre fait bien sûr écho au mot fondateur du projet. L'ouvrage contient près de 2.000 termes inusités, étranges ou intrigants. Modeste, Mickaël Schauli n’a fait imprimer que quelques dizaines d'exemplaires dans l’immédiat, outre les vingt-huit pré-commandés. "Mais les réimpressions peuvent être réalisées dans la semaine" assure-t-il. Pour toute commande, on peut passer directement par lui.
"Content d’être arrivé au bout", il ne sait pas encore s’il y aura une suite. Certes, "il reste encore plein de mots qui dorment", qui pourraient devenir "matière à une deuxième édition". Mais après le marathon de ces derniers mois, qui lui a pris plus de six cents heures, Mickaël Schauli n’est pas encore prêt à se relancer dans ce type d’aventure.
Chaque mot nouveau est une rencontre inédite. On ne peut donc jamais se lasser.
Pourtant, c’était "une expérience vraiment enrichissante : au début, ça me semblait insurmontable, je me suis lancé sans savoir si ça allait marcher. Et j’ai eu beaucoup de soutien de ma famille et mes amis, ça joue énormément" reconnaît-il.
Et l’émerveillement devant chaque découverte verbale reste un bon moteur. "On n’arrête jamais de s’étonner. Il n’y a pas un moment où on se dit : ‘j’ai tout vu’" avoue-t-il. "Chaque mot nouveau est une rencontre inédite. On ne peut donc jamais se lasser."
Il laisse donc "une porte ouverte" pour la suite. Et en attendant, espère que ses lecteurs ne se contenteront pas d’appréhender Kjokk comme un objet de curiosité. Mais "aient envie de redire" après avoir lu. Pour enrichir leur vocabulaire, et faire vivre certains de ces mots dans leur propre quotidien.