L'église Saint-Pierre-le-Jeune à Strasbourg a été littéralement coupée en deux entre 1681 et 1898. Aux protestants, la nef ; aux catholiques, le chœur. Elle conserve encore aujourd'hui les vestiges de cette division. Joyau méconnu de l'architecture chrétienne, l'église abrite également le plus ancien cloître du nord et de l'est de la France.
C'est en plein cœur de Strasbourg (Bas-Rhin), à quelques encablures de la cathédrale où tous les touristes se pressent, que se trouve une église qui de l’extérieur ne paie pas de mine : l'église protestante Saint-Pierre-le-Jeune. Les Alsaciens la confondent souvent avec son acolyte catholique Saint-Pierre-le-Jeune qui se trouve de l’autre côté de l'Ill. "Comment confondre ?, estime un brin espiègle le pasteur Philippe Eber. Mon église est la plus belle de Strasbourg !"
C’est sur l'emplacement d'une ancienne chapelle en bois datant du VIIIᵉ siècle et dont la crypte tombale garde le vestige qu'est construite l'église romane au XIᵉ siècle. Elle est consacrée par le Pape Léon IX, le seul pape alsacien, vers 1049. C'est pour cette raison qu’elle porte le nom de Saint-Pierre, le premier pape.
Mais, comme il y avait déjà une église Saint-Pierre à Strasbourg, elle va prendre le nom de Saint-Pierre-le-Jeune, l'autre, la plus ancienne (VIIᵉ siècle) de Saint-Pierre-le-Vieux.
Vous avez bien compté : il y a donc trois églises Saint-Pierre à Strasbourg : un Vieux et deux Jeune. Rassurez-vous, les autochtones s’y perdent aussi.
Ne pas se fier à l'extérieur du bâtiment
Pour découvrir, l'histoire incroyable de l'église protestante Saint-Pierre-le-Jeune et son cloître, il suffit de passer le grand portail d'entrée. Des bénévoles, amoureux du site, vont vous accueillir. Immédiatement, le visiteur est saisi par l’ambiance : une saine énergie, indescriptible. Une belle surprise impossible à imaginer de dehors.
Sur les murs, des fresques monumentales médiévales dont les plus anciennes remontent au XIVᵉ siècle. "Regardez La Navicelle ! C’est l’une des plus anciennes copies de Giotto di Bondone à Saint-Pierre-de-Rome. Ce n’est quand même pas rien."
Mon église est la plus belle de Strasbourg !
Philippe Eber
Et puis, séparant le chœur liturgique de la nef, un splendide jubé du XIIIᵉ siècle fait face. "Il s’agit d’un des rares jubés de France encore en fonction, rappelle le pasteur. Il est surmonté d’un orgue Silbermann de 1780. Derrière ce jubé, il y avait un grand mur, car l’église a été séparée en deux jusqu’en 1898, s’amuse Philippe Eber. Vous vouliez de l’insolite, vous en avez !"
Car la particularité de l’église Saint-Pierre-le-Jeune, c’est qu’elle fut partagée entre les protestants et les catholiques durant plus de 200 ans. En 1524, Strasbourg est une ville libre. Les édiles et les anciens ecclésiastes passent à la Réforme, le protestantisme. En 1681, Louis XIV conquiert l’Alsace et restaure le culte catholique dans l’église. Il est alors décidé de couper l’église en deux. Aux protestants, la nef ; aux catholiques, le chœur. Il faudra attendre 1898, et la construction d’une nouvelle église uniquement pour les catholiques (qui gardera le nom de Saint-Pierre le Jeune, catholique), pour que l’ancienne collégiale soit rendue entièrement aux protestants.
Mais les deux autels et les décors si différents qui subsistent dans chacune des deux parties distinctes sont étonnants à découvrir. Une particularité quasi unique en France.
1 000 ans d'histoire vous contemplent
Le cloître se cache derrière une porte en bois souvent fermée, mais pas à clef. Il suffit de l’ouvrir. Petite appréhension d’un endroit secret et caché. Un coup d’œil à droite, à gauche, ai-je le droit d’entrer ?
Le lieu est magique, hors du temps. D’ici, c'est 1 000 ans d’histoire qui vous contemplent. Le cloître date du XIᵉ siècle. "Vous imaginez les chanoines qui étudiaient et vivaient ici ? Aujourd’hui, des Strasbourgeois viennent de la même manière qu’eux, pour s’y reposer, pour lire, pour se retirer du monde." La promenade dispose de trois galeries romanes et d’une galerie gothique du XIVᵉ siècle.
Au sol, 34 vieilles tombes de chanoines qui ont œuvré dans le chapitre. Sur les murs, des épitaphes saisissantes. La plus ancienne date de 1455. Sur certaines colonnettes, des sculptures en forme de tête d’homme (XIIᵉ siècle) et un majestueux puits au centre du petit jardin (XIXᵉ siècle).
C’est ici, dans ce lieu mythique, protégé par des grands murs, à l’abri total du bruit de la ville, que viennent se réfugier des artistes. Car le cloître sert désormais de cercle musical ou poétique. "Ce qui surprend le plus ici, c’est le silence total. Aucun bruit de la ville ne pénètre. Il invite au recueillement, à la prière et à la méditation. Et pourtant nous sommes au cœur de la capitale de l’Europe," conclut Philippe Eber.
L’église Saint-Pierre-le-Jeune (protestant) est ouverte tous les jours de 10 heures à 18 heures. En automne et en hiver, les horaires peuvent varier. Lors du temps de l’Avent et du marché de Noël de Strasbourg, elle reste ouverte jusqu’à 20 heures. L’entrée est libre.
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