C’est l’un des patrimoines les plus remarquables de Strasbourg (Bas-Rhin) : des fresques médiévales datant de 1450, intactes. Elles n’ont subi aucune rénovation. Les couleurs sont incroyablement toujours aussi lumineuses qu’à l’époque. Toute une salle d’apparat peinte ainsi que des plafonds ornementés de fleurs bleu et rouge. Un véritable trésor pictural qui garde tous ces mystères et qui n’est toujours pas accessible au grand public.
C'est l'Alsace insolite ! Nous sommes en mars 1987, en plein cœur de Strasbourg, au 15 rue des Juifs. Un chantier de rénovation et de transformation de l’hôtel de Joham de Mundolsheim du XIIe siècle a lieu. Des ouvriers arrachent des cloisons, des faux plafonds et cassent des vieux plâtres.
"Ces fresques ont été découvertes par hasard en mars 1987"
Robert BetschaHistorien et professeur d'histoire
Tout d’un coup, derrière un mur de refend le visage d’une belle dame entourée de grenades apparait : une fresque intacte cachée depuis 500 ans. A l’aide de scalpels, les spécialistes vont alors gratter minutieusement tout le badigeon du mur et découvrir une étonnante série de peintures, sur plusieurs étages, derniers vestiges de peintures civiles qui servaient de décoration dans les maisons du Moyen-Âge. Un témoignage rare et exceptionnel du passé. Ces peintures représentent des scènes courtoises, des loisirs, et peut-être même une disputation autour de la religion.
La plus vieille maison de Strasbourg
Pourtant, depuis la rue du centre-ville de Strasbourg rien ne laissait présager la découverte d’un tel trésor : l’immeuble ne paie pas de mine. Pas de colombages traditionnels ni d’ornements ostentatoires. L'entrée du bâtiment a l'air moderne. Construit en 1290, cet ancien hôtel particulier est pourtant "la plus vieille maison de Strasbourg" assure Robert Betscha, historien et défenseur du patrimoine alsacien.
Saisie par les notables de Strasbourg au lendemain du Judenbrand (bûcher aux juifs) du 14 février 1349, la bâtisse avait toujours appartenu à des familles juives alsaciennes. Elle va ensuite passer de mains en mains, jusqu’à parvenir à l’une des familles les plus puissantes de la noblesse alsacienne vers 1450, les Boeckin de Boecklinsau. C’est cette famille qui va transformer la maison pour lui donner son aspect intérieur actuel. Pourquoi en est-t-on si certain ? "Sur un des murs, les armoiries de Jean Boecklin, Stettmeister (premier magistrat de la ville libre de Strasbourg) durant trente ans, ne laisse planer aucun doute" explique celui qui est aussi professeur de collège.
Douze mètres traversant de plafonds peints
Les plafonds peints sont le clou du spectacle de la visite : douze mètres traversant de fleurs et de roses rouge et bleu symbolisant le mariage. Il aura fallu certainement plusieurs années de travail et une somme astronomique d’argent pour réaliser une telle prouesse artistique.
Des représentations mystérieuses
Les représentations sur les murs sont plus énigmatiques mais tout aussi belles. Au fond, près de l’ancienne cheminée, une ville et ses tours. Elle n’a toujours pas pu être identifiée. Un homme tient (ce qui semble être) une fronde. Il vise un colosse devant lui : une scène de David et Goliath ? A droite, des muses jouant de la musique. Un peu plus loin, un vieux précepteur sermonne un jeun insouciant. Au coin de la salle, deux grands personnages semblent se disputer. L’un deux a un grand nez, la figuration d’un antisémitisme notoire, présent depuis l’Antiquité.
Au milieu de la salle, la majestueuse "dame aux grenades". Elle a l'air si jeune, si rayonnante sur ses coussins, assise sur un trône. Les grenades qui l’entourent, fruit méditerranéen, ne poussent évidemment pas en Alsace. "Ils symbolisent ici la fécondité" expliquent Robert Betscha. Il s’agit peut-être de l’épouse ou de la fille du maitre des lieux.
L’objectif de ces fresques est en revanche bien clair : "épater la galerie". Sans les cloisons qui sont venues la ceindre au cours des années postérieures, c’est une grande salle de réception qui apparait. Ces fresques murales avaient évidemment une fonction décorative mais elle témoignait surtout de la richesse et de la notabilité des propriétaires. Il faut bien comprendre que pour les visiteurs de l’époque pouvoir contempler de telles peintures s’apparentait à un véritable spectacle.
Après les Boecklin, l’hôtel particulier appartiendra ensuite à Joham de Mundolsheim. C’est ce nom qui restera attaché à la maison. Passées de mode, les fresques seront peu à peu recouvertes par des badigeons, plâtres, et faux plafonds. La salle de réception sera cloisonnée en plusieurs appartement. Et les peintures tomberont dans l’oubli.
Aujourd’hui la demeure est propriété de la ville de Strasbourg à la suite d’une donation de la Caisse des Dépôts qui l’a restaurée. Elle est devenue le siège d’associations à vocation de défense du patrimoine ainsi que l’Institut du droit local (IDL).
Pour des raisons de préservation de ce patrimoine exceptionnel, le grand public et les Strasbourgeois n’ont pas accès à ces fresques, ou exceptionnellement sur inscription restreinte lors des Journées du Patrimoine. Car les spécialistes et les historiens sont inquiets de la dégradation des peintures dues en grande partie à la pollution extérieure. Libérée de leur sarcophage de plâtre, les peintures médiévales des Boecklin ne sont plus vraiment protégées.
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