Les anciennes fortifications prussiennes du XIXᵉ siècle à Strasbourg semblent abandonnées. Et pourtant derrière de lourdes portes d'époque, en fer, à l'abri du son et des regards, se cache l'un des plus illustres studios d'enregistrement : le Downtown studios.
Ne cherchez pas, il n’y a pas d’adresse ni de boites aux lettres. De l'extérieur, le site a l’air abandonné à la végétation. Ce sont les grandes fortifications prussiennes qui entourent Strasbourg (Bas-Rhin). Une végétation dense a poussé sur leurs terrasses, des grands lierres tombent parfois jusqu'en bas.
Les piétons, automobilistes ou cyclistes passent devant sans y faire attention : elles font partie du paysage de l’ancienne ceinture de la ville. Leurs grandes portes en fer pour y accéder semblent grippées et scellées, fermées depuis bien longtemps.
Derrière l'une d’elles se trouve, à plusieurs mètres de profondeur, les studios d'enregistrement Downtown "centre-ville" de Didier Houbre, son directeur. À l'abri du son et des regards, ce studio est l'une des meilleures références de la musique dans l'est de la France. Le pianiste de jazz Ahmad Jamal y a enregistré un disque, la Fanfare en pétard également et bien sûr Inhumate, l'un des plus célèbres groupes français de grincore et death metal, originaire de Brumath en Alsace. Les artistes s’échangent donc ce bon plan de bouche-à-oreille.
On ne nous entend pas de l’extérieur et nous on n’entend rien à l’intérieur.
Didier HoubreDirecteur du studio Downtown
"Toutes les formes de musique ont leur place chez Downtown : classique, metal, jazz, rock, pop". Les artistes qui y sont passés ont gravé dans la pierre leur signature sur le chambranle de la porte d’entrée du grand studio. Émotions assurées en voyant toutes ces dédicaces dont celles de Magalie Sarah Loeffler, siffleuse, chanteuse, héritière d'une longue lignée d'artistes de jazz manouche.
Des studios high techs
Les studios high techs sont répartis sur deux sites à proximité l'un de l’autre. Le tout sur une surface d’environ 300 m². "150 m² pour le grand studio d’enregistrement ; 150 m², à côté, dans un autre bâtiment, avec un plus petit studio et deux régies de mixage".
La passion de la musique a poussé Didier Houbre à collectionner une série impressionnante de guitares électriques, de claviers rares, et d’amplis anciens. "Ici, les artistes ont tout à leur disposition pour faire de la bonne musique et de bons arrangements".
Avec son look hardos, devant sa console, qui pourrait imaginer qu’avant de devenir le maître de cette structure associative, Didier Houbre, cet homme réservé, fut docteur en biophysique. "J’ai tout laissé pour faire du son et de la musique. Avant 2004, j’avais installé un studio dans les anciennes usines Knorr. Mais elles ont été détruites. Alors Robert Grossmann, l’ancien président de la Communauté urbaine de Strasbourg et Anne Schumann, son adjointe à la culture, m’ont proposé ce lieu insolite. Ils défendaient les artistes et la musique. Je leur suis redevable, c'était le lieu idéal pour des studios d'enregistrement".
À l’époque, l’ancienne poudrière prussienne est à l’abandon. Elle avait servi à la ville de lieu de stockage ou d’abris pour les SDF. "L’ancienne poudrière intégrée à l'enceinte fortifiée de Strasbourg date de 1877, c’est indiqué juste au-dessus de la porte", nous montre Didier Houbre. "J'ai tout refait à l’intérieur pour y intégrer un véritable studio d’enregistrement : séparations des pièces, parquet, salles de mixages, salles de répétition, cabines… et bien sûr, traitements acoustiques".
Dans les profondeurs des fortifications, les voisins ne sont absolument pas dérangés par la musique forte. "On ne nous entend pas de l’extérieur et nous, on n’entend rien à l’intérieur". Le seul problème, c'est que le téléphone portable ne passe pas. "C’est ça qui est bien !", s’amuse Didier. "Les musiciens restent concentrés". Quant aux retardataires, ils en sont quittes pour faire le pied de grue devant les portes avant que quelqu’un vienne les chercher, car elles restent fermées.
Des fortifications prussiennes dans Strasbourg
L’enceinte urbaine prussienne a été construite à Strasbourg à partir de 1877 et jusqu’en 1918. Elle englobe la ville sur près de neuf kilomètres et visait à appuyer militairement les forts qui se trouvent toujours à la périphérie de la ville. Les garnisons qui y siégeaient, principalement des cavaliers, devaient pouvoir souffrir un bombardement ennemi tout en continuant à produire des projectiles. L’enceinte est constituée, selon les endroits, d’un parapet en terre haut de 6 à 12 mètres, avec des bastions et des courtines également terrassés.
Si le studio d’enregistrement Downtown ne se visite pas, certaines parties du tronçon des fortifications de Strasbourg sont accessibles, notamment lors des Journées du patrimoine, grâce au Cercle d’études et de sauvegarde des fortifications de Strasbourg (CESFS).
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