Il aura fallu vingt ans pour qu'une eau-de-vie trouve enfin sa place à la cave des Hospices civils de Strasbourg. Un marc de Gewurztraminer de la maison Lehmann vieillit désormais tranquillement en fût de chêne.
Au sein de la cave historique des Hospices civils de Strasbourg, l'un des fûts contient un breuvage bien particulier. C'est une première: l'eau-de-vie a enfin trouvé sa place dans cet endroit historique. "Le goût n'est vraiment pas agressif, explique Thibaut Baldinger, responsable de la Cave des Hospices Civils de Strasbourg. Parfois, le schnaps, c'est trop fort, mais là, c'est une eau-de-vie tout en élégance et en finesse. Les tanins qui sont apportés par le bois sont très fondus."
Dans cette cave très appréciée des viticulteurs, il a fallu batailler pendant 20 ans pour qu'une eau-de-vie puisse enfin mûrir ici. Longtemps, l'hôpital et le vin n'ont pas fait bon ménage. Le schnaps encore moins. Mais les relations se sont beaucoup adoucies depuis quelques années. La cave est reconnue. Et ses relations avec la direction du Nouvel hôpital civil sont désormais au beau fixe.
Une interaction avec le bois
Ainsi, le marc de Gewurztraminer a pu faire son entrée dans cet endroit prestigieux. Il vient tout droit de la plus ancienne distillerie alsacienne, la distillerie Lehmann, fondée à Obernai en 1850. "Ça n'a rien à voir avec le fait de faire vieillir une eau-de-vie dans des cuves en inox, affirme Florent Lehmann, directeur de la distillerie Lehmann. Ici, avec le fût en chêne, on va avoir une respiration qui va se faire au fur et à mesure des années, et aussi une interaction avec le bois. C'est vraiment quelque chose de tout nouveau pour les eaux-de-vie de fruits. Ce vieillissement est bien connu pour les whiskys et les rhums, mais pas du tout pour les eaux-de-vie de fruits. Et encore moins pour le marc de Gewurztraminer !"
Chez les Lehmann, on distille depuis 1850. Marc de Gewurtz élevé en fût de chêne aux Hospices civils de Strasbourg, whisky alsacien: un positionnement clair sur le marché du haut de gamme. Ici, on produit jusqu'à 30.000 bouteilles d'eau-de-vie par an. L'expansion se poursuit lentement mais sûrement: plus 3% par an.
"50% de notre activité, c'est la production de schnaps, l'autre moitié, c'est le whisky, précise Florent Lehmann. Le whisky, pour nous, c'est très important, puisque quand les gens viennent en chercher, ils découvrent alors nos eaux-de-vie de fruits."
En Alsace, on produit entre 150 et 200.000 litres d'eau-de-vie par an. Le syndicat des distillateurs regroupe 10 exploitants, 4 brasseurs, et 22 producteurs de fruits. Mais il faut évidemment faire connaître la filière, et l'on est loin de la notoriété des vins d'Alsace. Certains restaurants ont malgré tout décidé de miser désormais sur les schnaps régionaux.
"Les eaux- de-vie sont plus consommées par les touristes que par les locaux"
Sonia Benderrestauratrice
C'est le cas du restaurant le Freiberg, à Obernai. Ici, une vingtaine d'eaux-de-vie alsaciennes sont proposées. "Les mentalités ont changé, précise Sonia Bender, restauratrice. Les gens consomment moins d'alcool. Mais les eaux-de-vie restent très appréciées. Elles sont plus consommées par les touristes que par les locaux!"
Pour remettre l'eau de vie au goût du jour, certains producteurs font même appel à des bar tenders spécialisés dans la création de cocktails. Histoire de donner des idées aux distillateurs.
Lucas Gacitua Petit est l'un d'entre eux: "Il y a certainement plein d'Alsaciens qui n'ont jamais goûté d'eau-de-vie du coin, vous vous rendez-compte? Ou bien ils ont eu une expérience en fin de soirée, pas toujours très agréable... On ne se rend pas compte que c'est une expression du fruit qui est extrêmement intense. Qui permet d'obtenir des choses extraordinaires. Et on a la chance d'en avoir dans notre région!"
L'objectif est aujourd'hui de conquérir les jeunes générations, et donc de nouveaux marchés, en Alsace et dans le reste de la France.