Le mentorat, un échange gagnant-gagnant pour "construire des ponts entre étudiants et enfants des quartiers populaires"

Vous ne le saviez sans doute pas : le mois de janvier est consacré au mentorat. À l'heure où il est beaucoup question de "réarmement civique", nous nous sommes intéressés à l'association Afev qui depuis trente ans met en relation étudiants bénévoles et enfants en difficulté. Comme Hugo et Adam, binôme strasbourgeois.

Tous deux forment un drôle de binôme. À ma droite, enfoncé dans sa chaise, Adam 9 ans, cheveux en brosse, joues rebondies et lunettes dorées. À ma gauche, Hugo, 19 ans, cheveux longs et petites moustaches soignées très XIXe.

Hugo et Adam se connaissent depuis presque deux ans. Leurs sourires complices témoignent plus que d'une confiance, d'une tendresse. Chaque mercredi, Hugo, étudiant à Sciences Po Strasbourg, se rend au Neuhof, chez Adam, pour du mentorat. "Après le café hein" rit sa maman Houria. "Surtout pour les calculs à retenue, les soustractions, ça c'est très difficile" précise le petit garçon.

Un besoin éducatif

Houria est agent d'entretien, son mari travaille dans une "usine de palettes". Tous deux n'ont pas forcément le temps d'aider leur cadet dans ses devoirs. Grâce à l'Afev et son système de mentorat, Adam peut donc bénéficier, gratuitement, chaque semaine, d'un suivi de sa scolarité, d'une aide aux devoirs et d'une oreille attentive.

L'idée du mentorat, c'est se dire qu'on veut être utile dans la société et agir sur le parcours d'un jeune. L'accompagner dans son parcours éducatif

Fanny Sarron, Afev Strasbourg

"L'idée du mentorat, c'est se dire qu'on veut être utile dans la société et agir sur le parcours d'un jeune. L'accompagner dans son parcours éducatif. Il ne s'agit pas seulement de l'aide aux devoirs. Nous travaillons plus globalement en fonction des besoins identifiés par le corps enseignant : la confiance en soi, l'autonomie, la lecture, l'oralité ou l'orientation" détaille Fanny Sarron, déléguée territoriale métropolitaine à l'Afev Strasbourg.

"Ces enfants ne sont pas forcément en difficultés scolaires, mais il s'agit plutôt de les ouvrir culturellement parlant. On a souvent des enfants qui sont en France depuis deux ou trois ans et qui restent en vase clos dans leur quartier. Là, ils ont l'occasion de discuter avec quelqu'un d'autre que leurs parents, de sortir de leur timidité. On a aussi des enfants issus de fratries nombreuses qui ont besoin qu'on leur consacre un temps à eux… Plus qu'un besoin scolaire, ces enfants ont un besoin éducatif."

L'Afev travaille en partenariat avec le corps enseignant qui identifie les enfants qui ont ce besoin, comme Adam en CM1 à l'école Ziegelwasser. "On est connu maintenant, on n’a pas moins de 1000 demandes par an. C'est énorme et il y a peu d'autres structures qui proposent ça. Il y a un vrai besoin social " L'année dernière, l'association a accompagné 606 enfants et jeunes de la maternelle au collège, tous issus des quartiers prioritaires de Strasbourg.

Un pont

Hugo, lui, est étudiant à Sciences Po et fait partie des 600 mentors bénévoles de l'Afev. Une question d'engagement, de reconnaissance aussi. "Je faisais déjà ça avant de venir à Strasbourg, j'avais du temps libre, j'avais envie de faire de l'aide au devoir. Quand j'étais petit, mes parents n'avaient pas non plus, comme Adam, le temps de m'aider. Mon père travaillait aux mines, ma mère était téléconseillère, on habitait nous aussi dans une cité près de Forbach (Moselle). Ce système m'a tellement apporté que j'ai eu envie de rendre la pareille en quelque sorte."

Ça lui fait du bien, il a de meilleures notes, il est plus à l'aise en classe

Houria, maman d'un mentoré

Adam se tourne vers Hugo. "C'est mon meilleur ami" souffle le petit garçon. "Non, je suis ton prof… Et ton ami." Houria, assise non loin, soupire d'aise. " Il est bien avec Hugo, il est gentil à l'école, ça va mieux, ça lui fait du bien, il a de meilleures notes, il est plus à l'aise en classe. Quand Hugo est parti en vacances en juillet dernier, Adam, il a pleuré, il fait un peu partie de la famille vous savez."

" Pendant deux ans, c'est deux heures par semaine sauf pendant les vacances scolaires. La question du domicile est primordiale, sauf si les parents vivent dans leurs voitures, on en a, ou s'il n'y a pas de lieu calme chez eux. Il faut aussi impliquer les parents qui se sentent souvent illégitimes parce que par exemple, chez nous, ils ne parlent pas français pour presque la moitié d’entre eux. Souvent même, ça déborde, le bénévole peut lire le courrier et aider les parents aussi, même si ce n'est pas demandé" explique Fanny Sarron.

"L'idée primordiale de cette démarche, c'est de faire se rencontrer deux jeunesses qui ne se seraient jamais rencontrées sinon. La jeunesse étudiante et la jeunesse des quartiers. Moi, le sujet de la relégation de cette population me semble crucial dans la société et s'engager quand on est jeune, c'est construire les liens de demain. Si tu veux, ça aide les tuteurs à se déplacer dans ces quartiers et à faire tomber les a priori sur ces derniers, les barrières mentales de chaque côté. L'enfant dira moi aussi, je peux. Le tuteur, lui, s'enrichira de nouvelles expériences, d'une ouverture d'esprit. Nous sommes un pont." 

Si Hugo n'avait aucun a priori sur les cités, un pont entre eux s'est construit. Un trait d'union entre deux cultures aussi."La prochaine fois, on amène Hugo au Maroc, il connaît déjà des mots en arabe" s'amuse Houria.

Un dispositif encourageant

Difficile d'évaluer précisément les retombées du mentorat sur la scolarité et le bien-être des enfants accompagnés. Fanny ne peut compter que sur les retours des parents et de ses bénévoles. Adam admet "avoir fait des progrès en calculs et en lecture aussi". Houria opine de la tête, sourire aux lèvres.

"C'est assez révélateur de ce que l'on peut entendre. Les parents sont ravis. Nos bénévoles, eux, acquièrent de réelles compétences. Les étudiants sont suivis, nous faisons un point tous les deux mois, ils sont évalués. Notre combat, c'est maintenant la reconnaissance de ces compétences comme crédit ECTS par la fac."

L'engagement citoyen devrait être reconnu et valorisé par la société. Concrètement

Fanny Sarron, Afev 67

Les crédits ECTS sont un système permettant de faciliter la reconnaissance académique des savoirs et compétences acquis par les étudiants pendant leurs études. Grâce à ce système, ces savoirs sont reconnus dans les pays de l’Union Européenne. "L'engagement citoyen devrait être reconnu et valorisé par la société. Concrètement. Quand on est mentor, on donne de son temps, de ses connaissances, de soi. On apprend aussi beaucoup sur la relation aux autres, on apprend beaucoup sur soi. On agit contre les inégalités sociales et éducatives." 

L'Afev est déjà reconnue d'utilité publique, par les financements qu'elle reçoit. 700 000 euros de subventions pour le pôle de Strasbourg issues de l'Etat via le dispositif lancé en 2020 "1jeune, 1solution", des collectivités locales et de l'Université de Strasbourg.  "Je dirige une petite PME maintenant. Quand j'ai ouvert l'association à Strasbourg en janvier 2016, j'étais toute seule avec une trentaine de bénévoles à peine. Aujourd'hui, nous sommes onze salariés et 600 bénévoles mentors. Quand je regarde dans le rétro, je suis assez fière, oui"

L'Afev compte une soixantaine d'antennes en France et a accompagné, en trente ans d'existence, près de 300 000 enfants. Adam aimerait bien être kiné "parce que j'aime bien faire des massages à ma maman". Hugo, lui, "peut-être prof du coup, je ne sais pas encore." En attendant, en mai, l'étudiant partira à Rome en Erasmus. Adam pleurera sûrement un peu. 

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