Libération de l'Alsace : quels noms de rues sont les plus fréquents parmi les acteurs des combats ?

Entre le nom prestigieux des militaires et ceux des héros ou héroïnes oubliés, la Libération de l'Alsace et de Strasbourg en novembre 1944 a laissé des traces sur les plaques de rues. Leclerc, De Lattre, Malgré-nous: des choix jamais anodins, quand on lit entre les lignes...

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Derrière les petites lettres blanches alignées sur une plaque émaillée bleu océan se cache plus que ce que l’on peut bien lire. S’intéresser à l’odonymie, c’est-à-dire au nom des rues, c’est lire entre les lignes pour décoder les logiques politiques et les mentalités d’une époque donnée.

La Libération de l’Alsace, à l’automne 1944, n’échappe pas à ce constat, et c’est d’autant plus frappant que cet épisode a grandement secoué notre territoire. Les acteurs des combats acteurs ont laissé une marque indélébile dont on peut tenter de mesurer l’ampleur en levant les yeux au coin d’un carrefour ou d'une avenue, que l’on soit à Strasbourg ou en pleine campagne.

Généraux, unités militaires, résistantes ou résistants, Malgré-Nous, quelles traces ont laissé ces héros reconnus ou plus anonymes ? Voici notre enquête, non exhaustive bien entendu et réalisée grâce aux fichiers du FANTOIR (mis à disposition par la Direction générale des finances publiques), qui donne quelques indices sur la manière dont les noms de rue, de boulevards ou encore de places, sont octroyés.

Les combats des chefs militaires : avantage au général Leclerc

La première chose qui saute aux yeux, c’est la part belle accordée aux militaires, ou plutôt à leurs chefs. En Alsace, 105 voies (avenues, boulevards, rues ou impasses) portent le nom Leclerc, général et commandant de la 2e division blindée entrée triomphalement à Strasbourg le 23 novembre 1944. L’auteur du serment de Kouffra est logiquement très présent dans le Bas-Rhin, ses troupes étant arrivées par Saverne. On y dénombre ainsi 88 occurrences, contre "seulement" 17 dans le Haut-Rhin.

67 voies ont été baptisées du nom de l’autre grand personnage de la bataille d’Alsace, le général cinq étoiles Jean de Lattre de Tassigny, stratège de la première armée. Le libérateur de Mulhouse, le 21 novembre, débarqué en Provence en août, apparaît à 34 reprises dans le Haut-Rhin, contre 23 dans le Bas-Rhin. Une victoire pour l’audacieux Leclerc dans la postérité. Un succès pas si anecdotique, quand on sait à quel point les deux officiers rivaux se sont disputé la reconquête de Strasbourg auprès du général de Gaulle. Petite consolation cependant pour de Lattre, sa première armée s'est vu dédier 40 voies en Alsace, dont 30 dans le Haut-Rhin.

Autres grandes figures de la Libération, les résistantes et les résistants, qui ont mené la vie dure aux nazis et préparé la reconquête des territoires occupés grâce à leurs actions de sabotage. Pourtant, leurs noms ne courent pas les rues, et c’est peu de l’écrire. Le jeune Marcel Weinum, exécuté à 18 ans en avril 1942, a donné sa vie à la résistance, mais son nom n’a été donné qu’à deux noms de voies bas-rhinoises, à Brumath, où il est né, et à Strasbourg. Membre actif du réseau de la Main noire, il a pourtant fomenté un attentat contre la voiture de Robert Wagner, en mars 1942. Le gauleiter, dirigeant de la circonscription du IIIe Reich qui regroupait l’Alsace et le pays de Bade, a échappé de peu à la mort ce jour-là.

Femmes, résistance, unités coloniales : les oublié(e)s de la Libération

Autre exemple, le cas de Marcel Kibler, alias le commandant Marceau, chef des Forces françaises de l’intérieur (FFI) en Alsace. Trois rues ont été dédiées à sa mémoire dans le Haut-Rhin, en particulier à Saint-Amarin, dans la vallée de Thann, où il est né. Avec ses hommes, il joua un rôle majeur en janvier 1945 dans la défense de Strasbourg, lors de l’opération Nordwind, une contre-offensive allemande.

À l’image des résistants, les troupes coloniales sont aussi très peu citées. Elles constituaient pourtant la moitié des effectifs de la 1ère Armée à l’automne 1944, soit environ 130 000 soldats. Seules quatre voies, dans le Haut-Rhin, rappellent les sacrifices consentis par le 6e régiment des tirailleurs marocains, qui a participé à notamment la libération de Mulhouse. Appartenant quant à lui au corps expéditionnaire français, le 3e régiment de spahis algériens a contribué à la défense de Strasbourg début 1945. Seules deux rues portent le nom de cette unité, dans la commune du Bonhomme par exemple, un secteur des Vosges où ces cavaliers ont livré bataille.

Sans surprise, elles aussi ont très peu hérité de rues à leurs noms. Les Alsaciennes engagées dans la résistance ne sont sans doute pas honorées à leur juste valeur. On compte malgré tout trois mentions dans le Bas-Rhin pour Laure Diebold-Mutschler, née à Erstein en 1915. Celle qui fut secrétaire de Jean Moulin après s’être enfuie à Lyon, en zone libre, en 1941, a été capturée puis emprisonnée à Mulhouse et Strasbourg au cours de l’année 1944. En France en 2022, 6% des rues ont été baptisées selon des patronymes féminins, d'après France culture

Une statistique pas si étonnante quand on sait que, depuis 1982, le choix des noms de nos boulevards, avenues et autres places relève du maire et des conseils municipaux. Des postes majoritairement occupés (c’était encore plus vrai il y a 40 ans qu’aujourd’hui) par des hommes et des notables.

Des choix figés, faits en majorité par des hommes

Il n’est donc guère surprenant que des noms, jugés plus prestigieux, comme ceux des généraux Leclerc et De Lattre de Tassigny soient surreprésentés au regard des résistantes, des résistants et des unités coloniales. Ces anonymes de l’histoire ne sont pas moins méritants. Cela dit, au vu de la très forte disparité dont il est question, quelques extensions de quartiers ici ou là ne suffiront pas à gommer ces différences. D'autant que les changements sont rares, même si depuis le 1er juin 2024, toutes les communes sont tenues par la loi de référencer l’ensemble de leurs voies et numéros d’habitations, ce qui a occasionné un certain remue-ménage dans les petites municipalités.

Pour être complets, un dernier mot sur les Malgré-Nous. Bien qu'ils ne soient pas directement liés à la libération, difficile de faire l’impasse sur cette singularité alsacienne. Les 130 000 Alsaciens et Mosellans enrôlés de force dans l’armée allemande sont assez peu cités sur nos plaques de rues.

On dénombre ainsi 16 voies pour les Malgré-Nous, dont 12 dans le Haut-Rhin, et 6 pour les incorporés de force, dont quatre dans le Haut-Rhin. Ils payent sans doute le fait que leur destin a constitué un sujet tabou et politique. Un accord signé en mars 1981 entre le chancelier Helmut Schmidt et le président français Valéry Giscard d'Estaing a permis la reconnaissance officielle des Malgré-Nous, qui avaient alors enfin pu bénéficier d'indemnités de guerre. 

Pour conclure sur une note positive, on peut retenir que la rue de la paix remporte la bataille des noms liés à la guerre avec 111 occurrences en Alsace, un peu plus donc que le général Leclerc. Même si l’attribution du mot paix ne concerne pas, là encore, uniquement la libération de l’Alsace, l’anecdote est peut-être porteuse d’espoirs pour le futur.

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