Connaissez-vous l'adressage? Il s’agit de l’obligation pour les communes de référencer l’ensemble de leurs voies et numéros d’habitations. La date limite était fixée au 1er janvier pour les communes de plus de 2000 habitants, au 1er juin pour les plus petites. Mais la plupart des mairies de Champagne-Ardenne ne réussiront pas à respecter ces délais.
C’est une surprise dont les habitants de l’ancienne rue "Neuve" à Vertus (Marne) se seraient bien passés.
"Il y a un mois, mon voisin m’a prévenu que la plaque de la rue était en train d’être changée" explique Philippe. "Nous avons été très surpris car personne ne nous avait avertis".
Depuis mi-avril, cette rue s’appelle donc rue "Blanche de Navarre", comme l’école qui y est installée. "Ce n’est vraiment pas pratique" confie une autre riveraine. "Nous avons dû contacter tous les organismes, la banque, les fournisseurs d’énergie, pour leur dire que notre adresse avait changé. En plus, ce nouveau nom est très long par rapport à l’ancien".
Un artisan installé quelques mètres plus loin ne cache pas sa colère: "J’ai dû faire refaire toutes mes cartes de visite. J’en ai eu pour 500 euros, sans compter le temps passé à tout modifier au niveau administratif".
"Nous avons été contraints par la loi 3Ds de modifier les noms des rues qui étaient identiques"
Pascal Perrot, maire de Blancs-Coteaux
Des grincements de dent qui n'étonnent pas le maire de Blancs-Coteaux, Pascal Perrot. Il assure toutefois ne pas avoir eu le choix.
"La loi 3Ds ,qui est sortie en 2022, impose à toutes les communes de mettre à jour leur base adresse locale" explique-t-il. "Ça veut dire que tous les bâtiments sans exception doivent être numérotés, toutes les rues doivent être nommées". Cette obligation, appelée l'adressage, vise à créer une carte GPS très précise qui permettra notamment aux livreurs et aux secours de ne plus se tromper d'adresse.
Pascal Perrot, comme tous les maires que nous avons contacté, reconnaît l'utilité de cette mesure. Toutefois, la tâche s'est avérée particulièrement complexe pour cette commune qui regroupe depuis 2018 celles de Vertus, Oger, Gionges et Voipreux.
Cette fusion avait engendré des doublons dans les noms de rue. Or l'État ne les accepte pas dans ce recensement.
"Ce système n’est pas prévu pour lire plus de 3 lignes dans une même adresse. Donc forcément, quand on a plusieurs rues de l’église, du cimetière ou de la mairie dans une même commune, ça bloque" a constaté le maire de Blancs-Coteaux.
Au total, 18 noms de rues ont dû être modifiés ou le seront prochainement.
Le choix des nouveaux noms a été plus ou moins évident pour la mairie. "Pour certaines rues, c'était assez simple" reconnaît Pascal Perrot. "Par exemple, nous avions quatre rues de l'église, et nous avons simplement choisi de rajouter le saint qui s'y rapporte. A Vertus, c'est Saint-Martin donc la rue est devenue la rue de l'église Saint-Martin".
D'autres ont posé plus de questions. "Pour la rue de la mairie à Gionges, aucun choix ne s'imposait. Nous avons eu plusieurs discussions avec les élus qui sont allés à la rencontre des habitants. Nous avons finalement choisi de l'appeler la rue du Grand Houx".
Ces modifications ont un coût non négligeable pour la commune. "Cela représente des milliers d'euros. Nous avons dû commander une cinquantaine de nouvelles plaques qui coûtent entre 80 et 150 euros pièce" déplore Pascal Perrot.
Surtout, d'après lui, les services municipaux ont été débordés par les démarches administratives: "Nous devons tout remettre à jour, notamment les cartes d'électeur, le service du cadastre, prévenir tous les organismes avec lesquels on travaille. Nous avons dû y aller étape par étape donc, nous n'avons pas terminé".
En tant que commune de plus de 2000 habitants, Blancs-Coteaux aurait dû rendre sa copie le 1er janvier.
Mais elle est loin d'être la seule en Champagne-Ardenne à ne pas avoir réussi à tenir les délais.
La Champagne-Ardenne, mauvais élève de l'adressage
Seul le département de la Marne (avec 51% de communes à jour) se rapproche de la moyenne nationale (56%). Selon les données du site national de l'adresse, les communes de l'Aube, des Ardennes et de la Haute-Marne sont loin d'en avoir fini avec l'adressage. Moins d'un tiers d'entre elles ont terminé ce recensement.
Les raisons de ces retards sont très variées.
De nombreuses communes rencontrent les mêmes difficultés que Blancs-Coteaux, avec des adresses à modifier, mais aussi des maisons mal numérotées ou des rues à nommer. Un travail de fourmi que beaucoup de mairies choisissent de faire elles-mêmes pour éviter le coût d'un prestataire.
Des rues inexistantes sur la carte
La ville de Bezannes, près de Reims, a commencé à s'y atteler il y a près d'un an et n'a toujours pas terminé. Dans cette commune qui enregistre depuis quelques années 300 à 400 nouveaux logements par an, de nombreuses rues sont trop récentes pour être proposées par l'interface numérique des Bases Adresses Locales.
"Le problème explique Dominique Potar, le maire de la ville, c'est que le plan que nous devons remplir est issu d'une image satellite sur laquelle certaines rues n'existent pas encore. Même si on a vérifié les adresses sur le terrain, on ne peut pas les valider. Nous allons contacter l'organisme chargé de tout ça, mais ça nous complique encore la tâche alors qu'il s'agit déjà d'un travail laborieux".
Toutefois, Olivier Bourreau, chargé de déploiement au Programme Bases Adresses Locales explique que cette problématique a été anticipée: "Les communes peuvent parfaitement placer les points adresse au plus précis dans l'attente de la mise à jour des fonds de carte (et de la photographie aérienne notamment) et revenir ensuite affiner les positions".
Certaines communes n'ont pas encore commencé
L'ampleur de la tâche décourage certaines communes qui n'ont même pas commencé à répertorier leurs adresses. C'est le cas de la commune de Courcy, 1200 habitants. En tant que commune de moins de 2000 habitants, elle a jusqu'au 1er juin pour effectuer son adressage. Mais la maire, Martine Jolly, sait que ce délai sera impossible à respecter.
"Nous ne nous y sommes pas encore mis car c'est un travail colossal. Nous n'avons pas le personnel pour le faire donc nous allons devoir faire appel à un prestataire". Le coût pour la commune, d'après elle, dépassera les 5000 euros.
"On en demande toujours plus aux mairies, c'est vraiment difficile" regrette-t-elle.
Ces communes retardataires peuvent toutefois prendre le temps de se mettre à jour. "La loi parle d'une "première mise à disposition" des données adresse, les communes peuvent prendre le temps d’améliorer et d'enrichir progressivement leur base adresse" affirme Olivier Bourreau. Aucune sanction n'est donc prévu pour ces mairies.