Un loup a été pris en photo dans le Kochersberg, vers Zeinheim ( à 26 km à l'ouest de Strasbourg) le 4 avril. Rien d'inquiétant ni d'anormal. C'est l'occasion de poser quelques questions à Thomas Pfeiffer, militant pour une solution de prévention pour éviter de tuer ce grand prédateur, "médecin de la forêt" pour les amérindiens.
C'est l'une des périodes de l'année la plus propice aux clichés pris par des pièges photographiques. Au printemps et en automne, les jeunes loups quittent leur meute et parcourent les forêts et les montagnes à la recherche d'une femelle.
L'un d'eux a été pris en photo dans le Kochersberg le 4 avril 2023, grâce à un piège photographique, a annoncé l'Office français de la biodiversité le 14 avril. Pour l'instant le cliché n'a pas encore été dévoilé et l'ADN n'a pas non plus été prélevé, difficile d'en savoir plus sur son âge et sa provenance.
La dernière photo d'un loup dans le Kochersberg remonte à mars 2021. Il avait été photographié dans un champ, entre Duntzenheim et Saessolsheim.
Il s'agissait d'un jeune loup en transit ou en colonisation. A la recherche d'une femelle pour fonder leur meute, les jeunes de l'année précédentes sont chassés par le couple dominant à la période de reproduction, pour éviter la consanguinité. Ils peuvent parcourir des dizaines, voire des centaines de kilomètres seuls.
"Mais ils sont seulement en transit, entre leur meute de naissance et la meute qu'ils vont fonder", explique Thomas Pfeiffer, président d'honneur de l'association Avenir Loup Lynx Jura et fondateur de la Maison du Loup en Alsace.
Présence du loup dans le massif vosgien
Les loups présents en France viennent presque tous d'Italie, ils sont revenus naturellement par le Mercantour depuis 1992. Ils seraient entre 500 et 800 actuellement dans l'hexagone, dans tous les massifs montagneux (Alpes, Pyrénées, Jura, Massif central et Vosges).
La première trace avérée dans le massif vosgien date de 2011, au col du Bonhomme. Et en 2012, la première femelle a donné pour la première fois naissance à des louveteaux hors des Alpes françaises. La louve a ensuite été tuée par des braconniers.
Depuis, tous les loups découverts étaient des mâles : au Kochersberg, au Champ du feu, dans le massif du Donon et sur les crêtes.
"Le jeune repéré il y a quelques jours est isolé et en transit. Il vient de loin, sans doute du Jura". Thomas Pfeiffer ne pourra en être sûr que quand le cliché sera diffusé. Pour l'instant ce ne sont que des suppositions.
Un exemple en Suisse
Chaque année, environ 20% de la population de loups est tuée en France. Ce chiffre augmente donc d'année en année. 174 loups ont été tués en 2022, la France est un des pays au monde qui tue le plus de loups, après les Etats-Unis et la Suède.
Thomas Pfeiffer demande une prévention plus efficace : "il faudrait créer une véritable formation d'aide-bergers dans les lycées agricoles d'Alsace et du Grand Est.
Il faut en faire un métier en tant que tel et mettre des financements dans la surveillance des troupeaux. Il n'y a que ça qui marche : la dissuasion par la présence humaine.
L'été dernier, à Marchairuz (canton de Vaud, en Suisse), aucun bétail n'a été attaqué par des loups, alors que dans cette partie du Jura Suisse, il y a la plus grosse meute d'Europe.
Des volontaires ont veillés nuit et jour sur les moutons, et les loups n'ont fait aucune attaque. Alors que l'été 2021, sur la même commune, les loups avaient tués 30 à 40 animaux de bétail.
Du coup, en 2022, les loups ont attaqué des cervidés, des chevreuils. Et là, il fait son job.
En plus, quand on tue le couple dominant, ça déstructure la meute, qui attaque encore plus le bétail."
Une filière d'aide-bergers
Thomas Pfeiffer milite pour créer une filière d'aide-bergers, "il faut en faire un vrai métier". Il rencontre la semaine prochaine le ministre de l'agriculture, Marc Fesneau, lors d'une table ronde et il va lui donner sa proposition de formation.
Chaque année, 20 à 30 millions d'euros sont alloués aux éleveurs pour construire des clôtures électriques, acheter des chiens et payer des dédommagements aux éleveurs dont le bétail est tué par un loup.
"Il faut mettre le paquet sur la prévention, pour éviter les attaques, et bien sûr garder des sommes pour dédommager les éleveurs en cas d'attaques. Et puis valoriser l'éco-tourisme pour loger des touristes dans les auberges qui viendraient voir les loups. Ça permet de renouveler l'accès à la montagne avec les hivers sans neige. Si on ne laisse pas aux grands canidés le temps de s'installer, forcément on ne les voit pas."
Thomas Pfeiffer a plein d'idées, et il voudrait mettre tout le monde d'accord, éleveurs, chasseurs, amoureux de la nature et du loup. Il veut un soutien majeur aux éleveurs dans la prévention, pour financer ces aide-bergers. Déjà plusieurs lycées agricoles se disent intéressés par ces formations.
Le loup, prédateur-régulateur
"Le loup est un régulateur sanitaire, les Amérindiens disait que c'était "le médecin de la forêt" : il attaque surtout des animaux malades ou plein de tiques et de parasites, donc le gibier est régulé et il est en meilleure santé. C'est mieux aussi pour les chasseurs : le gibier qu'ils tuent est plus sain.
Désormais partout, il y a une surdensité de grands cervidés. Il est impossible de voir pousser de nouveaux sapins, ils sont tous mangés, donc il faut les engrillager pour les laisser pousser. Et même certains hêtres centenaires meurent parce que les cervidés mangent toutes leurs écorces.
Le loup à un rôle majeur à jouer par rapport au réchauffement climatique : en chassant les grands cervidés, il aide à disperser les herbivores toute l'année. L'impact est alors moins important sur les plans d'arbres. Et cela laisse une chance aux nouvelles espèces d'émerger.
Le loup remet de l'équilibre."
Le loup est un régulateur sanitaire, les Amérindiens disait que c'était "le médecin de la forêt" : il attaque surtout des animaux malades ou plein de tiques et de parasites.
Thomas Pfeiffer, Avenir Loup Lynx Jura
300.000 carcasses d'animaux sont mises de côté chaque année dans les centres d'équarrissages parce qu'elles proviennent d'animaux malades. Ça aide à relativiser les 12.000 moutons tués par les loups actuellement, et les 2.000 à 3.000 bêtes tuées par des chiens divagants (qui sont rarement cités).
"Ça fait 30 ans que le loup est là et que rien n'avance", rappelle Thomas Pfeiffer. "il faut avancer, faire de la prévention et donner de réels moyens aux éleveurs, c'est le bon moment."