Nos déchets alimentaires sont bourrés d’énergie : pourquoi il est important de les trier

Depuis le 1ᵉʳ janvier 2024, la loi impose le tri obligatoire des biodéchets pour tous. À cette fin, les collectivités comme l’Eurométropole de Strasbourg déploient bornes de collecte et distribution de bio seaux pour les déchets alimentaires des particuliers. Mais que deviennent nos restes alimentaires ainsi collectés ? À quoi servent-ils ? Nous avons suivi leur trace.

Voilà quelques semaines que des agents de l’Eurométropole de Strasbourg (Bas-Rhin) sont venus sonner à ma porte, pour me distribuer un bio seau et me montrer où se trouvent les bornes de collecte récemment installées autour de chez moi. Depuis, toute la famille a vite pris le pli. Nos épluchures de légumes et autres restes végétaux continuent d’aller dans le bac à compost que nous avions déjà. Mais désormais, le reste du fond de nos assiettes, nos peaux d’orange, les os de viande et nos sachets de thé ont trouvé leur nouvelle destination : les sachets kraft biodégradables remis avec notre bio seau.

Ces déchets non compostables, nous les jetions auparavant dans notre poubelle bleue. Depuis que nous les trions, celle-ci a vu son volume baisser d’un tiers. En la matière, l’Eurométropole s’est fixé un objectif dans son plan climat 2030 : parvenant d’ici là à réduire de moitié son volume.

Pour éveiller leur conscience environnementale, ce sont nos enfants qui, tous les deux jours, déposent nos sachets biodégradables dans la borne installée en face de leur école. On en compte déjà environ près de 1000 installées sur tout le territoire de l’Eurométropole. D'ici à la fin du déploiement du dispositif annoncé pour fin 2025, il devrait y en avoir 1 800. "L’idée est d’en avoir une pour 300 habitants et de les installer tous les 250 mètres environ, pour permettre à tout le monde d’avoir une solution près de chez soi. D’autant qu’il faut régulièrement jeter ses restes alimentaires. Il faut donc que ce soit pratique", développe Ariane Bussard, cheffe de projet du déploiement de la collecte des déchets ménagers à l’Eurométropole de Strasbourg.

Ces installations qui fleurissent dans nos rues trouvent vite leur public. Les habitant.e.s de l’Eurométropole de Strasbourg répondent bien à ce nouveau geste de tri : "sur la base de ce qu’on avait observé sur d’autres communes, on estimait qu’on allait récolter une moyenne de 12 kilos de biodéchets par an et par habitant. Mais finalement on est plutôt sur 15 kilos par an et par habitant. C’est un projet qui fonctionne bien", se réjouit Ariane Bussard.

Ces bornes sont collectées tous les deux jours, "par des camions-bennes électriques", précise fièrement Laurent Lorich, directeur de l’agence recyclage et valorisation Suez Alsace, qui a acheté cinq véhicules dédiés à ce service dont l’entreprise est en charge.

Pour le camion électrique et son chargement, direction, le Port du Rhin et le site de traitement des déchets Valorest. Les déchets y sont déchargés dans une fosse. Observer cet amas de restes de nourriture est moins rebutant que l’on pourrait penser et il n’y a presque pas d’odeur. Il faut dire que les déchets sont frais. Et plutôt bien triés. "On va éventuellement retrouver un pot de yaourt ou un film plastique, mais cela représente moins de 3% du volume de déchets traités, c’est un tri de très bonne qualité", se félicite Laurent Lorich.

Les erreurs des particuliers ne représentent que 3% du volume total des déchets récoltés. C'est un tri de très bonne qualité

Laurent Lorich

Directeur de l’agence recyclage et valorisation Suez-Alsace

Démarre alors pour les déchets un long processus à travers tamis, tuyaux, machines, cylindres et citernes pour extraire toute la richesse insoupçonnée de nos peaux d’orange et autres os de poulet. Les résidus sont d’abord acheminés dans un mélangeur, puis dans un broyeur-séparateur. Une petite machine cylindrique dans laquelle il se passe beaucoup de choses : les déchets y sont déchiquetés et, par ajout d’eau, s’opère un tri entre la matière organique et les reliquats (comme le plastique) non désirés. Ces derniers s’échappent par un tuyau et seront brûlés dans l’incinérateur. Nos restes alimentaires ont eux été malaxés et transformés en soupe.

Soyons honnête, on n’a pas vraiment envie de la goûter, cette soupe. Mais on est curieux de connaître la suite du procédé. Pour cela, on remplit un camion-citerne de ce potage compact, et on le suit à quelques kilomètres de là, à Oberschaeffolsheim, sur le gigantesque site de Lingelheld. C’est là que se trouve "Methamusau", une unité industrielle de méthanisation, où la recette finale va être élaborée pour extraire la substantifique moëlle de notre purée de déchets.

Une recette complexe, au cours de laquelle notre soupe est à nouveau mélangée avec d’autres déchets organiques, sous forme liquide ou sèche, provenant de l’agriculture ou de l’industrie agro-alimentaire. Chaque ingrédient est savamment choisi et dosé par un ingénieur biologiste, pour arriver à la composition idéale. 

Une fois prête, cette mixture est réservée dans un digesteur : une sorte d’énorme estomac qui fonctionne un peu comme celui de la vache, installé dans un grand cube, qui va digérer et valoriser la matière organique. Aucune combustion n’intervient dans le processus. C’est la fermentation qui agit dans ce méthaniseur high-tech. "On provoque la fermentation dans un environnement anaérobie, c’est-à-dire sans oxygène, explique le directeur de la structure, Benoït Wernette. Les matières organiques vont y rester 20 jours au chaud, dans une température de 55°c". Les conditions nécessaires pour que notre concoction de biodéchets produise la saveur recherchée : du biogaz fait maison, composé pour moitié de méthane et pour moitié de gaz carbonique. "On ne fait que reproduire de manière industrielle et optimisée ce qui se passe à l’état naturel, vulgarise Benoît Wernette. Si vous laissez des déchets organiques dans une poubelle hermétique et dans un environnement chaud pendant plusieurs jours, il se produira le même phénomène."

Nos peaux d’orange et os de poulet ont donc produit du gaz, directement envoyé depuis le site d’Oberschaeffolsheim dans les réseaux de distribution de gaz existants. Prêt à l’emploi pour nos radiateurs, nos chauffe-eaux ou nos véhicules consommant du GPL. "D’ici à la fin de l’année 2024, nous estimons que 10% du gaz qui circule dans les tuyaux sera produit grâce aux biodéchets et aux méthaniseurs", annonce Jean-Edouard Sixt, directeur du développement commercial de R-GDS, le distributeur de gaz de l’Eurométropole.

10% : cela reste une petite part de la totalité du gaz consommé sur le territoire. Mais une proportion à laquelle tient malgré tout la collectivité. "Ce biogaz permet de remplacer une part du gaz fossile que l’on achète. Or, on a vu l’hiver dernier sur nos factures combien son prix pouvait être fluctuant et très cher, explique Marc Hoffsess, adjoint à la maire de Strasbourg en charge de la transformation écologique du territoire. Alors que ce biogaz, on en maîtrise la production, c’est nous qui en fixons le prix qui reste stable parce qu’on maîtrise le processus. C’est une forme d’autonomie et d’indépendance énergétique qui est intéressante", ajoute l’élu écologiste.

Et comme désormais plus rien ne se perd, le reste de nos assiettes n’a pas produit que du biogaz. Il a aussi généré de l'engrais, sous forme liquide ou solide, très riche en phosphore et en azote : un fertilisant idéal pour les agriculteurs, qui viennent régulièrement s’approvisionner après avoir déposé leurs déchets organiques qui, à leur tour, donneront biogaz et engrais. La boucle ainsi se boucle : ce qui était issu de la terre retourne à la terre.

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