Portrait - Philippe Matter, l'homme derrière Mini-Loup, compagnon des enfants depuis trente ans

Le héros tout fou et tout poilu Mini-Loup fête ses trente ans. Pas vraiment l'âge de raison. Et c'est tant mieux. Pour l'occasion, son papa de plume, Philippe Matter, sort de sa tanière. Deux ans que j'attends ce coup de fil. Un vrai miracle. "Je vous préviens je déteste ça." Bon préambule.

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Cela fait maintenant quoi, deux ans, que je lui cours après. J’ai même écrit un article sur son fiston culotté sans lui. Contestable sur le point journalistique je vous l’accorde, mais on fait ce qu’on peut. 

Philippe Matter, un des auteurs jeunesse les plus vendus en France, est un homme discret. C'est un euphémisme. Il fuit les médias, n’aime pas montrer sa gueule. Soit. Pour un papa loup rien d’étonnant à vivre dans une tanière. Je lâche l’affaire. Chapitre suivant. Jusqu’à ces quelques lignes laissées sur ma messagerie en octobre dernier : “J’ai adoré votre article, ok pour une interview au téléphone.” Je tombe de ma chaise et fais péter le stylo. C’est parti. 

 

Mini-Loup ou l’enfance rêvée 

Nous avons donc convenu d’un rendez-vous téléphonique. Aujourd’hui. Promis je ne filmerai pas le combiné. Philippe rit, il se détend. Il me faut l’apprivoiser. “Je vous le dis tout de suite, j’aime pas ça, vraiment pas ça. Ce n’est pas que je suis stressé c’est juste que je n’aime pas être tout devant. Tout devant les égos ressortent et c’est moche.”  Pourtant, Philippe Matter pourrait avoir le melon. Un bon gros melon de 6 millions d’albums vendus dont 4 millions de Mini-Loup. Mini-Loup. Sa création, sa créature. Et je l’apprendrai plus tard : sa planche … de salut. 

“J’ai toujours aimé dessiner. Mais dans une famille protestante-protestante, le dessin, la musique, tout ça n’était pas vu d’un très bon œil. J’ai grandi à Wissembourg, un vrai cancre à l’école. Mon grand-père qui était correspondant local des DNA s’est dit que, vu mes résultats, un métier de typographe serait parfait pour moi.“ Le jeune Philippe se retrouve donc à Strasbourg à apprendre un métier qui n’existe déjà plus. “C’est un de mes profs de dessin qui m’a poussé à passer le concours des arts déco.” 

En 1977, voilà donc Philippe enfin dans son élément. La vie dessine parfois des drôles de trucs. Et pour un cancre, il s’en sort plutôt bien. “J’ai passé deux diplômes en 5 ans. Pub et illustration.”  

Philippe vit dès lors de ses dessins. “Je pensais que je serai illustrateur toute ma vie. Pas auteur. Je n’osais pas écrire. Je fais des fautes tous les trois mots. Gros complexe là. Et puis un jour je suis tombé sur un livre d’enfant dont je tairais le nom et dont le texte était archi-nul, ça m’a décomplexé je me suis lancé.”  

Je n’osais pas écrire. Je fais des fautes tous les trois mots.

Philippe Matter

C’était il y a 30 ans. Pile poil. Mini-Loup naît d’une volonté farouche de réhabiliter les loups trop longtemps malmenés dans la littérature jeunesse. Il panse aussi et surtout une injustice plus profonde. Narcissique. Celle d’un enfant brisé. “Je ne veux pas m’étendre sur le sujet mais j’ai eu une enfance difficile, très très difficile. Mini-Loup a été pour moi toute la jeunesse fantasmée et que je n’ai pas pu avoir. Une projection. Une planche de salut.” Tout comme le métier de correcteur.  

 

Une création au poil 

Sous les doigts de Philippe, Mini-Loup prend vie. Une vie chahuteuse, insouciante, belle et bête. Une vie d’enfant. “ Je suis comme obsédé par l’enfance quand je travaille. Je fais des livres pour enfants pour les enfants. Je m’adresse à eux, à leur imaginaire. Il y a trop de beaux livres jeunesse qui sont pour les adultes. C’est pas moi ça.”  

Je suis comme obsédé par l’enfance. Je fais des livres pour enfants pour les enfants.

Philippe Matter

Ainsi donc, Philippe démarche les maisons d’édition, ses planches sous le bras. “Personne n’en voulait, je ne voulais même plus les montrer. Mon dernier rendez-vous chez Hachette, j’y suis allé, j’ai même pas sorti le projet. La nana m’a dit c’est quoi ce dessin qui dépasse du carton là ? Voilà c’était parti. Encore un miracle, encore un hasard.”   

Le premier album “Mini-Loup, le petit loup tout fou” rencontre un succès certain. 3000 exemplaires. Rare pour la littérature jeunesse. Tout s’enchaîne à la cadence de deux albums par an en moyenne : “Ils marchaient tous correctement alors j’ai continué.” Aujourd’hui Mini-Loup a vécu 30 ans sans jamais grandir ni s’assagir d’un poil.  

 

Trente ans de cohabitation

Trente ans de cohabitation, 34 albums et pas l’ombre d’un nuage. “Je ne me lasse pas non. Moi qui suis un grand laborieux, déjà c’est un socle. Pour une double-page de Mini-Loup je mets une semaine. Et quand je fais autre chose, j’ai essayé, je me fais chier. Mini-Loup c’est mon espace de liberté. Je fais ce que je veux, Hachette me laisse carte blanche parce que ça marche alors pourquoi changer ? Je fais des voyages sur la Lune, je vois des dinos, des super-héros, des cow-boys. Je ne m’ennuie jamais.” Philippe mène une vie de fou. De tout fou. 

Nuit et jour. “Quand ma fille me ramenait des Mini-Loup de l’école alors qu’on en avait plein les armoires, je devais lui lire le soir après en avoir dessiné toute la journée. Ça a bien duré cinq ans cette histoire. Pas de repos. Je voyais tout ce j’aurais pu changer ou améliorer. C’est dur d’être papa.” 

Moi qui trouve que je ne sais ni dessiner ni écrire j’ai été exaucé au-delà de mes espérances.  

Philippe Matter

Alors bien sûr Mini-Loup fait souvent suer Philippe sur sa table à dessins et au-delà. Il l’empêche même parfois de dormir. Mais le petit loup est aussi un formidable Doudou. Un remède à la mélancolie, aux doutes. “Moi qui trouve que je ne sais ni dessiner ni écrire j’ai été exaucé au-delà de mes espérances. Chaque année, chaque album, je n’y crois pas. Ce succès. Mon dessin est ringard, c’est vrai quoi. Mon éditrice me dit que de toute façon, je n’ai jamais été à la mode.” Philippe rit. D’un rire de gosse qui vient de faire une belle connerie. “Je n’ai pas d’égo c’est chiant quand même.”  

Philippe, derrière son loup, se révèle peu à peu. C’est fou oui ce qu’un dessin peut cacher d’un homme. Et Philippe est un grand dissimulateur. Une petite souris, devenue à son tour mascotte, cachée dans chaque page, cauchemar des parents impatients. “C’est incroyable, j’ai une tonne de courriers quand je l’oublie” Une famille d’escargots. “Des poussins jaunes et des canards noirs sur un rond-point dans Mini-Loup policier, clin d’œil à l’actualité gilets jaunes, des trucs comme ça.”  

 

Alain Decaux VS Mini-Loup 

 

Pour fêter leur 30 ans, Philippe Matter vient de publier “Mini-Loup raconte l’histoire de France aux enfants.” Sans Alain Decaux et avec la petite souris. 

Les aventures de notre petit loup couvrent cette fois-ci 45.000 ans d’histoire. De Cro-Magnon à Thomas Pesquet. Sacrée odyssée. “J’ai mis dix mois, 7j/7j pour terminer dans les temps. Ma femme est partie seule en vacances en août, elle m’a fait la gueule. C’était un cauchemar. On était hors délais, fallait qu’il sorte avant fin d’octobre pour les commandes de Noël.” 

Pour Philippe cette traversée des âges est loin d’être un cadeau. “Je ne savais pas dans quoi je me lançais. Non mais franchement. Chaque détail est vrai ou vraisemblable. Chaque décor, chaque costume. Pour trouver les chaussures de Jean Calvin j’ai galéré comme un putois. Sur Google images ils me mettaient des photos de jeans Calvin Klein ...” Et que dire du sacre de Joséphine, cette double page librement inspirée du tableau de David. : “J’ai mis 15 jours à les faire, j’en pouvais plus.”  

A force, Philippe s’y est cassé les crocs. Il l’admet volontiers. “Augustus Romulus a régné quatre mois c’est tout. Je me suis planté. J’ai dessiné un adulte alors qu’il avait 12 ans. Ce sera corrigé à la prochaine réimpression”. On lui pardonnera cet écart. “Franchement avec le recul c’était un vrai défi, pire que le Cherche et Trouve.” 

L’histoire, la nôtre, se termine ici. Philippe raccroche. Il doit prendre un train puis un autre à la rencontre de son public. Des enfants, leurs parents qui l'ont été avant eux. Il y a trente ans. Moi, ben, je vais aller acheter ce dernier album pour compléter la collection de Lulu et réviser mon histoire. Histoire avec un grand H ou un petit que je connaîtrai par cœur dans six mois c'est certain. Merci Philippe. Dur dur d'être maman... aussi.

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