Thierry Pflimlin, directeur marketing de TotalEnergies, ancien étudiant de l'institut d'études politiques de Strasbourg, devait y tenir ce 26 janvier une conférence sur la géopolitique de l'énergie. Face à la contestation d'une partie des étudiants, elle a été annulée.
"Les conditions pour mener un débat serein sur ce thème crucial de l'énergie n'étant pas réunies, Thierry Pflimlin a préféré annuler sa venue, en accord avec la direction de l'école." Jean-Philippe Heurtin, directeur de l'institut d'études politiques de Strasbourg a fini par prendre cette décision à quelques heures de la venue du directeur marketing de TotalEnergies. Un choix d'interlocuteur, pour parler de la "géopolitique de l'énergie", qui a fait bondir un grand nombre d'étudiants de l'école.
"Nous étudiant.e.s conscient.e.s de l’urgence climatique refusons qu’une tribune soit offerte à une entreprise responsable d’une large part des émissions carboniques mondiales, coupable de destructions. Total connaissait les effets de son activité sur le climat et l’environnement depuis des décennies, mais a organisé un déni et des mensonges, qui continuent aujourd’hui sous la forme du greenwashing." Tel est le texte de la pétition lancée pour faire annuler la conférence, portée notamment par les membres de l'association étudiante Alter'Bureau, qui mène des combats écologiques et solidaires.
"Nous avons su très tardivement la tenue de cette conférence, ouverte d'abord aux étudiants en relations internationales, mais aussi aux 1e et 2e années, explique l'une des membres de l'association. Nous avons aussitôt réagi, tant il nous semblait totalement hors de propos d'inviter Total à la tribune, dans une école où nous devons avant tout réfléchir aux enjeux de demain ! La direction ne semblait d'ailleurs pas complètement à l'aise avec cette idée, elle n'a pas communiqué officiellement avant ces derniers jours..."
Une réflexion sur les conditions pour bien débattre
Direction et étudiants conviennent alors de se rencontrer pour évoquer les modalités de la tenue de cette conférence. "Il nous a été garanti de pouvoir interagir, de poser des questions qui dérangent, sur le green washing, sur le projet actuellement mené en Ouganda par Total, la construction d'un immense pipeline dévastateur de 16 aires naturelles protégées... L'un de nos professeurs, responsable des études, devait également servir de médiateur, pour recentrer le débat et pousser le dirigeant de Total à nous réponse clairement..."
Une partie des étudiants semblait être prêt à jouer le jeu, "nous avons beaucoup bossé le fond de ces questions, pour être pertinent sur nos argumentaires", mais d'autres continuaient à plaider le boycott, voire l'interruption du débat. Pancartes, banderoles et slogans étaient d'ailleurs prévus.
La mission de notre école est de donner à débattre tous les points de vue, de favoriser les discussions à caractère contradictoire.
Jean-Philippe Heurtin, directeur de l'institut d'études politiques de Strasbourg
Face au risque de voir le débat déraper, la direction a donc préféré jeter l'éponge. Pour cette fois. "Nous déplorons qu'un débat contradictoire avec le représentant d'une multinationale de l'énergie, n'ait pu avoir lieu. Cette situation inédite vient bafouer les valeurs de notre école qui sont celles de la libre confrontation des points de vue, du débat républicain et de la culture démocratique", martèle Emmanuel Droit, responsable des études, dans un message adressé aux étudiants.
Et Jean-Philippe Heurtin d'expliquer par téléphone: "Nous allons avoir de vraies discussions, en interne, avec les étudiants, pour trouver les bonnes manières de faire perdurer la culture du débat dans notre école. C'est notre mission, estime Jean-Philippe Heurtin. Nul n'est proscrit dans notre établissement, nous devons être ouverts à tous les points de vue, et offrir le cadre pédagogique et civique à la libre confrontation des débats."
Total, donateur de l'université de Strasbourg
Quant à savoir si Thierry Pflimlin, ancien étudiant de l'école, mais également donateur - "un vrai conflit d'intérêt !" s'insurgent les étudiants - sera invité ultérieurement, rien de définitif. "Je veux être très clair là-dessus, affirme Jean-Philippe Heurtin, les donateurs ne servent qu'à soutenir nos étudiants boursiers. Il n'y a aucune ingérence de ce côté-là!"
Le directeur marketing d'un groupe comme Total, avec ses éléments de langage et sa maîtrise de la langue de bois, n'a pas sa place comme interlocuteur sur un thème aussi important que la géopolitique de l'énergie.
Une étudiante de l'IEP, membre de l'association Alter'Bureau
"Au-delà du mécénat de M. Pflimlin comme ancien étudiant, ce que nous dénonçons, c'est surtout le financement de l'université de Strasbourg par des groupes comme Total, déplore cette étudiante, impliquée dans la mobilisation. Il faut avoir une vraie réflexion sur ces partenariats, il faut que ça s'arrête. Sciences Po Paris par exemple y a mis fin l'an dernier..."
Des étudiants qui restent extrêmement vigilants donc, mais satisfaits d'avoir été, pour cette fois, entendus. "Nous avions lancé la pétition pour obtenir l'annulation, nous sommes donc contents. Nous déplorons d'être trop peu souvent écoutés, là, notre mobilisation a payé".