Après une semaine d’audience dans le procès de l’attentat du marché de Noël de Strasbourg, le père du terroriste Chérif Chekatt a été entendu par la cour d’assises spéciale de Paris. Flou au sujet de la radicalisation de son fils, le retraité a répété ce jeudi 7 mars qu’il n’était pas au courant que son fils comptait commettre ce massacre.
Ange Chekatt apparaît sur l’écran de la salle d’audience du palais de justice de l’Ile de la Cité, à Paris, ce jeudi 7 mars. Il porte un masque chirurgical sous le visage. Un visage qui n’est pas inconnu, lui qui avait témoigné sur France 2 dans les jours qui ont suivi l’attentat de Strasbourg, commis par son fils Chérif.
Tout le monde s’attend à retrouver l’immense barbe rousse d’Ange Chekatt. Il n’en est rien. À la place, l’homme, qui veut maintenant se faire appeler « Abdelkrim », apparaît vieilli, des lunettes sur le bout du nez, et surtout rasé de près. Plus tôt, il avait indiqué à la cour "ne pas avoir le temps" de témoigner. Puis quand il a appris que la police pouvait intervenir chez lui pour le faire venir, le retraité a finalement accepté de se rendre au tribunal de Strasbourg, d’où il fait sa visio.
Ange Chekatt change de nom et d’apparence
"C’est malheureux pour les innocentes victimes. Je transmets mes condoléances à leurs familles, c’est malheureux ce qu’il s’est passé. Je suis contre ça, contre la violence, les meurtres. C’est horrible d’ôter une vie à quelqu’un", débute l’homme de 76 ans.
Plusieurs fois pendant son audition, Abdelkrim Chekatt répète qu’il n’aurait jamais pensé que son fils puisse commettre un attentat, lui qui était « gentil et poli ». "Je suis attristé, des deux côtés : les victimes et mon fils. Je suis triste qu’il soit mort, mais c’est lui qui a voulu ça", continue celui qui indique ne pas avoir eu de contact avec ses sept fils entre 2002 et 2010. "Je ne sais plus comment était la jeunesse de Chérif", argue-t-il.
Je suis triste qu’il soit mort, mais c’est lui qui a voulu ça
Ange Chekatt, père de Chérif Chekatt
Comme le frère de Chérif, Malek, entendu plus tôt dans la journée, Abdelkrim Chekatt réfute tout ce qu’on a pu dire à son égard pendant l’enquête. Des violences commises sur ses enfants ? Une scène où il prend des coups de couteau par eux ? Comme quoi, il apprenait à ses fils à tirer avec des armes dans la forêt ? "Mensonges, calomnies", répond l’homme.
Des propos misogynes
Comme durant l’instruction, le Strasbourgeois confirme que son fils Chérif n’écoutait pas de musique et ne parlait pas aux femmes. Sur ce dernier point, il ajoute : "Une femme mariée ne doit regarder que son homme et ne pas proposer à un autre homme d’aller boire un coup. Travailler à l’usine, parler à son chef, d’accord. Ma femme, ce n’est pas une pute. Pourquoi elle irait parler à tous les hommes ?" De quoi faire bondir la présidente de la cour d’assises spéciale Corinne Goetzmann : "C’est votre vision de la place de la femme dans la société en 2024 ?"
Sur l’Etat islamique, il soutient ce qu’il avait déjà dit. "Ce ne sont pas des musulmans pour moi. Un musulman ne tue pas un autre musulman, ni un chrétien qui ne lui a rien fait. Je sais que Chérif se penchait vers Daech, mais je ne me rappelle pas du reste. Mon fils était un ignorant, il errait, il n’était pas dans la réalité. Il disait que Daech, c’était quelqu’un de bien", continue-t-il.
Le 11 décembre au matin, l’appartement de Chérif Chekatt a été perquisitionné par les gendarmes pour une autre affaire. Après avoir reçu leur visite chez lui, Ange Chekatt avait prévenu son fils. "Ces chiens sont en train de te chercher. Surtout, ne viens pas ici. Ils m’ont demandé où tu es, j’ai dit que je ne savais pas", lui confie-t-il en arabe au téléphone.
Le soir même, Chérif Chekatt tuera cinq personnes dans le centre-ville de Strasbourg. "Quand j’ai vu à la télévision que le terroriste devait être interpellé le matin, j’ai tout de suite su que c’était Chérif et je suis allé au commissariat. Vous croyez que ça me fait plaisir, ce qu’il s’est passé ? Je suis contre cet attentat", répète-t-il.
"Ça veut dire quoi être radicalisé ?", avait demandé le père de l’assaillant pendant l’enquête. « C’est une idéologie. C’est croire que Daech est quelqu’un de bien alors qu’ils tuent des femmes, des enfants, des innocents. Ils tuent tout le monde. Ils peuvent être mécréants, ils peuvent ne pas croire, mais tu n’as pas à le tuer », tente-t-il de préciser pendant le procès, tout en restant évasif sur la connaissance des liens de son fils avec l’Etat islamique. Jamais, il ne reconnaît que son fils était radicalisé, alors que nombre de ses proches l’ont indiqué aux enquêteurs.
L’avocat général reproche à Ange Chekatt de porter des propos proches de quelqu’un qui prône la vision de l’Etat islamique. "Pour vous il y a des victimes innocentes et d’autres non innocentes. Je pense aux forces de l’ordre, aux ‘chiens’ comme vous dites. On a le droit de les tuer pour vous ?" "Un militaire, s’il vous tire dessus, vous avez le droit de lui tirer dessus. Mais pas un policier", répond le témoin.
Charlie Hebdo… Je ne préfère pas rentrer dans ce débat
Ange Chekatt
S’ensuit une discussion autour de l’islam et de la définition de mécréant. "Un mécréant, c’est quelqu’un qui ne croit pas. S’il ne fait rien, on n’a pas le droit de le tuer. Par contre, s’il vous attaque, oui". "Charlie Hebdo méritait cet attentat en 2015 ?", termine par lui demander l’avocat général. "Ah Charlie Hebdo… Je ne préfère pas rentrer dans ce débat", lui répond son interlocuteur.