La ministre de la culture, Rachida Dati, a suggéré que l'entrée à Notre-Dame de Paris devienne payante pour les touristes, ouvrant le débat sur la gratuité de l'accès aux édifices religieux en France. En Alsace, régie par le droit local, aucune somme ne peut être exigée, sauf dans des cas bien précis.
Rachida Dati va-t-elle s’attirer le courroux divin ? La proposition de la ministre de la culture, formulée dans une interview parue ce jeudi 24 octobre dans le Figaro, de rendre payante à hauteur de cinq euros l’entrée de Notre-Dame de Paris, suscite en tout cas l’émoi des fidèles et de l’Église jusqu’en Alsace.
La mesure qu'elle propose rapporterait 75 millions d’euros par an et concernerait "les visites touristiques", et non pas les "fidèles", qui viennent exclusivement pour l’office. Cela permettrait de financer en partie les cinq ans travaux de reconstruction colossaux de l’édifice, censé rouvrir le 7 décembre.
Si rien n’est acté, l’idée pourrait-elle infuser jusque dans nos contrées ? Sur le parvis bondé de la cathédrale, la plus visitée de France depuis l’incendie de Notre-Dame de Paris en 2019 avec 4 millions de badauds par an, une telle évocation est presque vécue comme un sacrilège.
Droit général et droit local, les violons sont accordés
"On passerait d'un édifice religieux à un monument historique, ça me pose problème, répond une Strasbourgeoise. Et que fait-on des gens qui n'ont pas les moyens et qui veulent venir prier lorsqu'ils en ressentent le besoin ?" Son amie bretonne se range à ses côtés : "Si on doit payer, ça signifie qu'on sélectionnera les sites et que certains seront délaissés par le public."
Contacté par téléphone, le diocèse de Strasbourg est du même avis et "s’aligne" sur celui de Paris. Ce dernier prône avec force, dans un communiqué publié ce jeudi 24 octobre, "la gratuité du droit d’entrée dans les églises et les cathédrales", en précisant que "les pèlerins et les visiteurs n’ont jamais été distingués".
La cathédrale Notre-Dame de Paris rappelle l'engagement de l'Église catholique en France pour la gratuité des entrées dans les églises et les cathédrales.
— Cathédrale Notre-Dame de Paris (@notredameparis) October 24, 2024
Retrouvez le communiqué de presse : https://t.co/zyNNh1sJQY#NotreDame #notredamedeparis
Une gratuité prévue par l’article 17 de la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 qui considère que "la visite des édifices et l’exposition des objets mobiliers classés seront publiques". Ce texte ne fait pas foi en Alsace-Moselle, où c’est le droit local qui prime et, en l’occurrence, l’article 65 du décret de décembre 1809 concernant les fabriques des églises.
Des édifices payants en Angleterre et en Italie, exemple à ne pas suivre ?
"Cette disposition dit peu ou prou la même chose que le droit général, à savoir qu’aucune taxe ne peut être requise pour l’entrée dans un lieu de culte, explique Francis Messner, spécialiste du droit des religions. En revanche, il est possible de mettre en place une redevance dans certains cas bien précis."
"L’organisateur de manifestations culturelles ou un responsable d’expositions peut, même dans un édifice affecté à l’exercice public du culte, percevoir des droits. Cela peut se justifier pour la visite d’objets religieux dans le cadre, par exemple, de l'installation d’un musée", précise-t-il.
Chez nos voisins européens, beaucoup ont fait le choix, en dehors des horaires dédiés aux offices, de rendre les entrées payantes. C'est le cas de l'abbaye de Westminster à Londres ou encore de la basilique Saint-Marc à Venise. "J'avais donné de l'argent à une dame qui vivait dans la rue pour qu'elle puisse entrer dans Westminster, ça m'avait choqué qu'elle ne puisse pas y accéder librement. Il ne faut pas oublier la dimension spirituelle de ces lieux", témoigne encore la Strasbourgeoise croisée sous la rosace.
Difficile de séparer les touristes et les fidèles
En pratique, il est compliqué d'établir une différence nette entre le cultuel et le culturel, entre les touristes et les fidèles… Dans la cathédrale de Strasbourg, les visites se poursuivent lors de la célébration des offices qui rythment la journée. "C’est très ténu, estime Francis Messner, directeur de recherche au CNRS. Les fidèles sont au centre de la nef et les touristes gravitent autour, en prenant des photos. Difficile de faire un tri entre ceux qui prient et ceux qui ne sont pas croyants."
Stéphane Bern, engagé dans la défense du patrimoine et qui soutient la démarche de Rachida Dati, plaide par exemple pour la création d'entrées séparées à destination des personnes se rendant à la messe et des autres. Cela existe déjà en partie dans la capitale alsacienne : les visiteurs de l’horloge astronomique y accèdent via la porte Saint-Michel de la cathédrale, du côté de la place du château, et non pas par le narthex, l’entrée principale.
L’animateur ajoute, dans un entretien à Midi Libre, être "préoccupé" par l’état du patrimoine religieux, en particulier dans les territoires ruraux. Alors que les cathédrales sont propriété de l’Etat et que les églises appartiennent aux communes, 500 édifices sont déjà fermés et 5 000 sont menacés, faute d'entretien. Après le débat ouvert par Rachida Dati, à chaque camp de trouver ses prêcheurs, dans un contexte où les flux touristiques prennent le pas sur la dévotion de fidèles de moins en moins nombreux.