À Strasbourg, au lendemain de la journée internationale des droits des femmes, l'association de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans la rue, Ru'elles, a décidé ce samedi 9 mars d'investir l'espace public avec des mots. Des mots écrits à la craie sur les pavés, témoignages poignants, chiffres ou messages d'espoir.
Les pavés gris en ce morne samedi se couvrent de couleurs. Les passants s'arrêtent, "tiens, c'est quoi ? C'est joli." Les mots à la craie ne sont pourtant pas beaux, ils dépeignent pour la plupart des faits de violences sexistes ou sexuelles, des chiffres, mortels, de la colère, de la souffrance. Ils sont là pour qu'on s'arrête quelques instants sur les violences subies par les femmes. Pari gagné.
Violée à douze ans
Sophie s'arrête comme figée. Les yeux humides, elle va chercher une craie dans la boîte mise à disposition au milieu de cette artère passante strasbourgeoise. Rageusement, malgré son chandail rose bonbon, elle trace "Punition sévère pour ces FDP. Tu brises mon innocence. Tu devrais pourrir en prison". Message à caractère personnel. Mais pas seulement. "Oui, moi, j'ai été violée à l'âge de douze ans par le mari de ma sœur, pendant les grandes vacances, ça a duré trois mois. J'en ai 50 et je ne m'en suis jamais vraiment remise. Cette agression a conditionné mes relations avec les hommes, a brisé ma confiance en moi. Alors oui, je suis en colère pour moi, pour toutes les femmes qui ont subi des violences. Tu vois les hommes coupables de tels agissements, ils prennent moins que les dealers, c'est dégueulasse."
Djamila qui assiste à la scène acquiesce. "Moi j'ai envie d'écrire plein de noms mais j'ose pas. Depardieu, Morandini, Miller ... En France, on dirait que les hommes, violeurs, harceleurs, les dégueulasses sont protégés. Que les femmes ne comptent pas. On vit dans une société machiste, injuste, où les femmes sont toujours toujours considérées comme secondaires."
86% des femmes disent avoir été harcelées dans la rue
Plus le temps passe, plus les mots avancent et prennent possession de la rue. "Ouvrez les yeux", "Respect", "RIP Lola". Au-delà d'interpeler les passants, c'est aussi le but. Que les femmes se réapproprient la rue. Si les violences sexistes et sexuelles ont lieu à 90% des cas dans l'espace privé, les rues restent encore des lieux d'insécurité pour beaucoup de femmes. En France, 40% d'entre elles ont renoncé à fréquenter certains espaces publics suite à des manifestations de sexisme dont elles ont été victimes. 86% ont déjà été harcelées dans la rue.
Tiphany Hue, membre de l'association Ru'elles, organisatrice de l'évènement, précise. "Le phénomène est difficile à quantifier, mais il est généralisé. On ne peut plus laisser passer ça. Ça va prendre la forme d'insultes, de mains aux fesses, d'agressions physiques, de personnes qui vous suivent dans la rue. Plus globalement, là, aujourd'hui, on veut sensibiliser les passants à toutes les formes de violences envers les femmes. Les chiffres sont encore alarmants."
Zaza s'accroupit à son tour. Elle écrit gros, très gros. En majuscules. "Respect. Toutes ensemble, on est plus fortes." Elle aussi est visiblement remontée. "Ben oui quoi c'est vrai, y en a marre là. Tous ces scandales qui sortent, ça s'enchaîne, ça n'en finit plus. Ces femmes violées, agressées, sous emprise, battues. Rarement entendues. Il faut qu'on se réveille les filles là, le combat n'est pas fini. Il ne sera jamais terminé, je crois."
Et tandis que Zaza s'énerve, certains piétinent ces mots graves. Ils en rient même. Le combat n'est pas terminé non. Et en parlant de combat, Ru'elles propose le 15 mars prochain des cours d'auto-défense verbale et corporelle à destination des femmes. Rendez-vous à la médiathèque Simone Veil.