Strasbourg : comment les animaux pratiquent eux aussi la distanciation sociale pour éviter d'être malades

Pas si bêtes les bêtes. Trois chercheurs viennent de publier les premières conclusions de leur étude concernant les animaux face à la maladie. Résultat : ces derniers pratiquent, eux aussi, la distanciation sociale. L'un de ces trois scientifiques travaille au CNRS et à l'université de Strasbourg.

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Pas si bêtes, les animaux. Voir peut-être plus intelligents que nous, les hommes. Belle leçon d'humilité. Depuis sept ans, trois chercheurs étudient le comportement social de cinq espèces animales différentes à l'aune de la maladie et des contraintes qu'elle induit sur le groupe. Comment les animaux protègent-ils le collectif ? Par la distanciation sociale et par des voix de communications alternatives. Rencontre avec Cédric Sueur, éthologue à l'institut pluridisciplinaire Hubert Curien (CNRS-Université de Strasbourg) et co-auteur de l’article publié dans la revue scientifique américaine Trends in Ecology and Evolution.

Un travail de fourmi

C'est l'animal idéal pour analyser la diffusion d'une maladie : la fourmi. Cette dernière a un haut degré de sociabilité. Sa communauté obéit à des règles structurelles rigoureuses et concentriques."Une reine au milieu, 5% de fourageuses chargées du ravitaillement et toutes les autres qui transmettent la nourriture par le bouche à bouche" explique Cédric Sueur. Une organisation complexe mais pas figée. Le collectif sait faire face à la maladie. Il s'adapte. 
 
Pour comprendre cette adaptation innée et redoutablement efficace, les chercheurs ont inoculé un parasite, un champignon, à quelques fourmis. Rapidement, l'ensemble de la communauté adopte des gestes barrières : quarantaine et distanciation physique. "Nous nous sommes aperçus que les fourmis atteintes par le champignon se sont isolées. En plus de ça, les autres, celles qui n'étaient pas infectées ont arrêté de se contacter les unes des autres via leurs antennes pour échanger de l'information ou via leur bouche pour échanger de la nourriture. C'est ça qui intéressant, afin de protéger la colonie et la reine plus spécifiquement. Les autres individus vont former un cercle barrière et empêcher la propagation de la maladie." 
 

Afin de protéger la colonie et la reine plus spécifiquement, les autres individus vont former un cercle barrière et empêcher la propagation de la maladie 

Cédric Sueur, CNRS/Université de Strasbourg



Une stratégie redoutablement efficace. "Oui ça fonctionne, les fourmis infectées meurent de leur côté au bout de quelques jours et la colonie survit." 
 

Une immunité sociale innée

Les mécanismes d'immunité sociale ont été étudiés chez plusieurs espèces. Insectes, moucherons, souris, homards, macaques. Face à la pression évolutive, toutes les espèces s'adaptent et adoptent des gestes barrière. Plus ou moins radicaux. Chez les macaques par exemple, l'individu malade sera moins toiletté par les autres, il pourra même être tué pour éviter la propagation.

"Nous essayons de comprendre comment une espèce sociale réagit à une pression évolutive. Comment à travers des millions d'années d'évolution on arrive à des mécanismes qui nous permettent de répondre à une menace extérieure." Des comportements théorisés, modélisés pour tenter d'établir des règles potentiellement universelles. 
 

Pour le moment, nous l'avons dit, seules cinq espèces ont été étudiées. Il en faudrait une vingtaine pour asseoir une théorie scientifique. Mais déjà une conclusion s'impose. La fourmi a mieux géré le champignon que l'humain la Covid19. Explications.

"Au début de la crise, nous avons isolé les personnes âgées en Ehpad rajoutant de la souffrance à la souffrance. Cette stratégie s'est vite avérée une catastrophe. Les fourmis, elles, ne s'isolent pas complètement. Elles ont trouvé des solutions alternatives  pour équilibrer l'équation distanciation et connexion sociale. Elles ont communiqué par phéromones. Elles ont gardé le lien."
 
Bien évidemment, l'homme ne peut communiquer avec ses phéromones. Mais les fourmis nous montrent l'importance de garder du lien en période de crise. "L'information est capitale pour n'importe quelle organisation sociale. Pendant la Covid, nous avons eu tendance à faire passer le sanitaire devant l'information." L'isolement peut tuer parfois lui aussi. La mise en place (tardive) de tablettes dans les Ehpad a ainsi largement contribué à l'amélioration des conditions de vie des personnes âgées durant la crise. 
 

L'homme réfléchit trop. Ses comportements culturels prennent parfois le pas sur les comportements innés

Cédric Sueur, CNRS/Université de Strasbourg

Tous ces mécanismes, innés chez les animaux, ne sont plus naturels pour l'homme. "L'homme réfléchit trop. Ses comportements culturels prennent parfois le pas sur les comportements innés." Parfois en dépit du bon sens. "Prenez la poignée de main. C'est culturel et c'est un facteur de propagation du virus." Il a été extrêmement pénible d'y renoncer. Trouver un équilibre entre interactions sociales et distanciation n'est pas si facile à trouver. A moins d'observer ce qui se trouve sous notre nez. Les fourmis. La nature.
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