INSOLITE. Il collectionne les photos mortuaires : "cela n'a rien de morbide"

Fasciné par les objets post-mortem, Hervé Bohnert chine depuis trente ans. Avis de décès, photographies mortuaires, cartes de visite, une infime partie de sa collection est exposée jusqu'au 2 octobre à la Trézorerie de Strasbourg.

"Immortels : collectionner la mort, 1850-1950" : l'exposition proposée par La Trézorerie, une jeune galerie strasbourgeoise dédiée aux collectionneurs, ne peut pas laisser de marbre. Derrière le rideau de velours pourpre se dévoile une infime partie des objets post-mortem qu'Hervé Bohnert entasse chez lui depuis 30 ans.

Boulanger la nuit, artiste le jour et collectionneur compulsif ad vitam aeternam, Hervé Bohnert a la douceur des discrets. On le sent presque gêné d'intéresser les autres par cette collection peu ordinaire. 

Sous les yeux des visiteurs défilent des annonces de décès par dizaines, des photographies post mortem, des albums de famille, quelques masques mortuaires et des cadres dans lesquelles sont tressées des nattes de cheveux. Dérangeants pour certains, étranges pour d'autres, ces objets racontent tout à la fois la mort et la vie. 

De la poubelle aux salles d'exposition

"Il y a trente ans, j'ai trouvé une première photographie mortuaire en faisant un vide grenier. J'ai trouvé cela esthétique. A l'époque, on en trouvait plein. Tout le monde s'en débarrassait. Moi, cela me fascinait et m'attirait sans que je sache vraiment pourquoi", raconte timidement Hervé Bohnert, "c'est fou de se dire que tout cela allait terminer à la poubelle!"

Beaucoup n'y voit que le côté morbide. Le collectionneur strasbourgeois, lui, n'y voit que de la vie : "Pour moi, ces objets vivent encore. Ils sont chargés. Pour moi, ils ont tous une âme. Regardez ce crâne par exemple, vous ne trouvez pas qu'il dégage quelque chose?"

Pour Hervé Bohnert, artiste autodidacte, ce sont aussi des sources d'inspiration inépuisables pour ses sculptures et ses dessins. Le Strasbourgeois avait exposé certaines de ses œuvres lors d'une exposition intitulée "Cauchemars du passé" au Musée alsacien en 2016.

La mode de la photographie mortuaire

Tout commence en 1839 avec la commercialisation du daguerréotype, un procédé révolutionnaire mis au point par Louis Daguerre. Grâce à la lumière, une image apparait sur une plaque placée dans la "camera obscura". Le temps de pose étant de 20 minutes, le sujet est maintenu immobile à l’aide d’un support. Une fois l’image fixée, la plaque est mise sous verre et encapsulée. Pour la première fois, on peut conserver une trace tangible de la réalité.

Le succès de la boîte magique est fulgurant. De nombreux ateliers proposent alors des portraits "après décès". Pour les familles endeuillées, ce souvenir est d'autant plus précieux que pour les défunts les plus jeunes, ce dernier portrait est aussi le premier.

A l'époque, la mortalité infantile fait des ravages. Un quart des enfants meurent avant l'âge de cinq ans. Allongés avec soin dans leur landau, les bébés sont photographiés les yeux clos renvoyant aux vivants l’image paisible et apaisante d’un long repos.

"Au delà de la mort, toutes ces photos racontent aussi une société dans son époque. Celle où la mort avait une place", estime Hervé Bohnert, "les défunts étaient entourés de leur famille. Cette image était la dernière qu'ils laissaient à leurs proches. Il fallait qu'ils soient beaux, bien habillés, fleuris parfois". 

Cette tradition du photographe post-mortem se perpétue jusqu’à la fin du 19e siècle. Elle décline avec l’arrivée des appareils bon marché destinés aux amateurs. La confrontation avec le corps mort se raréfie peu à peu. A partir de 1950, la mort est mise à distance et la photo après décès devient taboue. S’il est choquant aujourd’hui de prendre un selfie à un enterrement, cela n’était pas le cas en 1850.

Et Dieu dans tout ça?

"S'il n'existait pas, il n'y aurait pas tout ça!", s'exclame Hervé Bohnert. Mais l'homme doute quand même un peu: "Dieu, c'est à la fois le meilleur et le pire". A 55 ans, il pense bien sûr à la suite et à l'avenir de tous ces objets. Que deviendront-ils? "J'en ferai peut-être une donation ou un leg".

Ce qui est sûr, c'est que sa collection a pris de la valeur : ce qui était jeté à la poubelle se vend aujourd'hui très bien. Certaines cartes se négocient à plus de 50 euros. Comptez 120 euros pour un cadre mémoriel tressé de cheveux. Il a même vendu un collier de deuil à 320 euros. 

Quand à la mort, et la sienne en particulier, il y songe bien sûr. Il reconnait n'avoir aucune envie de souffrir. A regarder tous ces morts dans les yeux, il se dit que la mort est un grand sommeil. Un retour au calme.

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