Strasbourg - Procès de Drago Malefoy, l'ennemi de Harry Potter : "c'est un sale gosse devenu un assassin"

L'École des jeunes orateurs de l'institut d'études politiques de Strasbourg a mené le procès de Drago Malefoy, l'un des méchants de la saga Harry Potter. Les assises du palais de justice strasbourgeois ont accueilli les plaidoiries. Récit d'un procès mêlant haine, règlements de comptes... et amour ?

Le palais justice de Strasbourg a accueilli un procès insolite, le mercredi 18 novembre 2019. C'est dans l'austère et solennelle cour d'assises, située au troisième étage du bâtiment de style impérial allemand, que se sont échangées les plaidoiries concernant le sort de Drago Malefoy, un sorcier qui n'a pas choisi le bon côté de l'histoire. 

Pour celles et ceux qui l'ignorent, Drago Malefoy est l'un des ennemis jurés de Harry Potter, dans la saga créée par l'autrice britannique (et alsacienne) J.K. Rowling. Les règles permettant le déroulement d'un procès classique ne s'appliquent donc pas à ce personnage, ainsi que le relève Gabriel Eckert, le directeur de l'institut d'études politiques (IEP) de Strasbourg : "Il est très inhabituel que l'on parle dos au tribunal [donc face au public; ndlr] : c'est sans doute l'une des marques du droit sorcier, que je découvre ce soir. Jusqu'ici, je connaissais plutôt le droit administratif..."
 
Face aux magistrats et témoins (sans oublier l'accusé, dans un coin), une salle comble. Il fallait réserver sa place, et elles sont parties comme des petits pains (ou plutôt comme des patacitrouilles, histoire de rester dans le thème). Pour les non-Potterheads (les fans de Harry Potter), Amèlie Redortier, la présidente de l'École des jeunes orateurs (EJO) de Sciences Po à l'origine de ce procès, va résumer l'affaire (voir paragraphes 3 et 4 de notre précédent article pour les détails).
 


La séance est présidée par l'avocate Lucie Laux du cabinet Créhange & Laux : "La fiction suscite le dialogue entre la culture et le droit, c'est toujours très enrichissant. On pourrait penser cette démarche fantaisiste, voire choquante. Mais elle peut permettre de comprendre la rhétorique et le droit. [...] La fiction peut dire la vérité, sans pour autant dire la réalité." Avant le début de l'audience, elle déclarait en privé à France 3 Alsace "être heureuse de voir l'une de [ses] maisons accueillir ce très beau projet". De chaque côté de la présidente, l'assesseuse Marie Kordeva (qui enseigne le droit à l'IEP de Strasbourg) et l'assesseur Maxime Cléret (ancien président de l'EJO).
 
Le (vrai) président du tribunal de grande instance, Thierry Ghéra, a droit à quelques mots : "Bienvenue dans ce temple du droit, même si j'ignore si c'est comme dans Harry Potter !" En réalité, non : il manque le fauteuil garni de chaînes qui s'enroulent par magie autour des poignets de l'accusé. Mais on ne le fera pas remarquer... Camille Franquet, qui incarnait Cersei Lannister dans le précédent procès de l'EJO, tire quatre personnes au sort dans le public pour le jury. Sa présence ici aujourd'hui et le fait qu'elle ait été condamnée à une peine clémente semblent promouvoir la réinsertion... 
 

Pour rappel, Drago Malefoy est jugé pour les chefs d'accusation suivants :

  • injures racistes
  • harcèlement moral
  • triple tentative d'assassinat
  • complicité de meurtre
  • torture physique et psychologique
  • utilisation de sortilèges impardonnables
  • complicité de crimes de haine


L'accusation à la barre

Minerva McGonagall (Sophie Meyer), ancienne enseignante de métamorphose de Drago Malefoy, est la première à être appelée à la barre. Elle le décrit comme "toujours agressif, dédaigneux, ou rabaisseur; passé du harcèlement à la persécution". L'enseignante lance, cinglante : "Il a eu le choix entre le juste et l'injuste, entre la morale et la facilité. Et quand on cède à la facilité, le vice devient une seconde nature ! J'ai moi-même pris sa défense, lui ai tendu la main. Mais il n'entendra toujours que la voix du mal."
 

Accusée par la défense d'avoir plus favorisé Harry Potter que Drago Malefoy, elle rétorque : "Je suis juste. J'ai puni quand il le fallait, et récompensé quand c'était nécessaire." Elle prend ensuite à partie son ancienne collègue, Dolorès Ombrage, témoin de la défense : "Je ne suis pas madame Ombrage, je ne fais pas de favoritisme !"
 

Il n'entendra toujours que la voix du mal
- Minerva McGonagall, ancienne enseignante de Drago Malefoy


Vient ensuite le célèbre Harry Potter (Baptiste Védrines), qui ne mâche pas ses mots : "Je vois un bourreau en liberté : punissez-le !" "C'était un sale gosse en entrant à Poudlard, et c'est un assassin qui en est ressorti." La défense lui rappelle qu'il n'est guère mieux puisqu'il a attaqué Malefoy avec un maléfice qui a failli le vider de son sang (on rappellera que Malefoy a attaqué le premier avec le sortilège (impardonnable) de la torture).

Potter perd alors ses moyens : "Mais regardez ce corps de lâche ! Vous croyez que je suis content d'être là ?! Espèce d'enflure !" Le sorcier à lunettes semble confondre rhétorique et injures, mais la présidente de la salle ne ramène pas le calme dans la salle pour autant... 
 

C'est au tour de Hermione Granger (Mélanie Ravier) de s'avancer. Elle dénonce violences, moqueries, et racisme qui ont noirçi sa scolarité : "Plutôt qu'apprendre, j'ai dû me battre. Plus que rire, on m'a fait saigner. Et j'ai vu mourir mes proches, un à un, à cause de Drago ! Un garçon qui, âgé seulement de 11 ans, employait déjà contre moi l'insulte suprême : sang de bourbe !"
 

Plutôt qu'apprendre mes leçons à l'école, j'ai dû apprendre à me battre contre Drago
- Hermione Granger, victime des brimades de Drago Malefoy


Elle rappelle aussi ses abus de pouvoirs au sein de la brigade inquisitoriale mise en place par Dolorès Ombrage : "Sous les yeux de Drago, elle a menacé Harry de le torturer à l'aide du sortilège impardonnable du Doloris. Et il n'a pas bougé, il n'a rien dit !" Trois témoins, deux attaques contre Ombrage. C'est à se demander qui est jugé aujourd'hui : Ombrage, ou Malefoy ?

Hermione Granger devient alors vindicative et se met à hurler : "Je connais le Doloris. J'ai été séquestrée et torturée avec le Doloris par la tante de Drago, dans le manoir des Malefoy ! Sous les yeux impassibles de Drago !" Après la tirade qui a ému la salle, la défense ne trouve alors rien de mieux à demander à la sorcière... que l'état de ses relations avec Ron Weasley. Sur le point de vue juridique, c'est pour le moins étonnant.
 

Prends ça, Malefoy !

Et quand on parle du loup : Ron Weasley (Alexandre Vallette) fait son entrée. Il annonce la couleur : "Mon témoignage concerne l'être le plus infâme et abject de cette Terre." Et énumère tout le malheur que Malefoy lui a causé : dénigrement, insultes, menaces de mort envers des proches, assistance à Ombrage (encore elle !) pour torturer des élèves, et même empoisonnement ou séquestration... Il préconise donc de le mettre "en cage".
 

La défense à la rescousse 

Après avoir été souvent citée (c'est le moins qu'on puisse dire), la voici en personne : Dolorès Ombrage (Anne Jezequel) est appelée à témoigner. On pourrait la reconnaître entre mille, avec son cardigan rose et son ton haut-perché. "La famille Malefoy est une grande famille de sorciers", commence-t-elle. Elle tresse des louanges au père de Drago, Lucius ("un homme exigeant inspirant le respect"), comme si cela pouvait dédouaner Drago. C'est à se demander si c'est le procès du fils, ou du père ?
 
La créatrice de la brigade inquisitoriale à Poudlard blâme Harry Potter ("tous les regards étaient portés sur lui"). Elle déclare aussi que tout ce qu'a fait Drago, c'était intégrer sa brigade pour "restaurer l'ordre dans cette école où il y avait beaucoup d'activités dissidentes". L'accusation rétorque : "Quelle indignité ! Je vous rappelle que Lucius Malefoy a été envoyé à Azkaban : comment une telle plaidoirie pourrait aider son fils ?!" Ombrage se contente de répondre : "Ce n'était qu'un enfant." Avant de retourner s'asseoir sans y avoir été invitée.
 

Au tour de Mimi Geignarde (Ambre Lagraulet), une fantôme de Poudlard avec qui Drago Malefoy avait tissé des liens. Elle parle d'abord de Voldemort, alias Tom Jedusor : "Il n'avait aucune émotion, il était insensible comme un tueur en série. Comment décrire ses sentiments alors qu'il n'en avait aucun ?" Alors de le comparer : "Drago était plein de remords, il ne pouvait pas faire peser ça sur ses épaules."

Comme Ombrage, elle charge Harry Potter : "Harry l'accusait d'avoir ouvert la Chambre des secrets, d'être un assassin !" Elle hurle : "Drago n'était pas un tueur ! Il m'a tout avoué car il ne pouvait pas supporter d'être un meurtrier. Alors même que Voldemort allait tuer toute sa famille s'il échouait."
 

L'accusation critique la pertinence du témoignage de Mimi Geignarde "car c'est un fantôme qui espionne les garçons dans la salle de bains". L'intéressée la regarde avec fureur.
 

Mimi la coquine...

Narcissa Malfoy (Charlotte Goillot), la mère de l'accusée, suit le même argument que Mimi Geignarde. Elle rappelle que Voldemort faisait pression sur Drago en le menaçant d'assassiner sa famille. Tout ça à cause des valeurs qu'elle lui avait inculquées avec son mari Lucius : "Tout est de ma faute. J'entends vos torts : j'ai jeté mon fils dans les griffes du Seigneur des ténèbres. [...] Mais quand Voldemort ordonne, on obéit."
 
Elle demande à ce qu'on se mette "à la place de son fils". Un adolescent qui avait "une pression sur les épaules", un enfant pour qui "il n'était pas aisé d'être à la hauteur de l'héritage familial". Elle achève, la voix basse et pleine de regrets : "Lucius était très strict. Il n'aurait pas dû..." 
 

Arrive alors Drago (Mackenzie Waugh) pour se défendre (avec un accent anglais, en prime) : "C'était une mission impossible. Voldemort voulait que je souffre. C'était pour qu'il démontre son pouvoir à mon père. On m'a volé mes rêves et mon enfance." Il rappelle que Dumbledore, qu'il devait assassiner (et dont il a été complice du meurtre) "savait que ce n'était pas [son] caractère et qu'il [l'a] regardé avec compassion".
 

On m'a volé mes rêves et mon enfance
- Drago Malefoy, l'accusé


Il demande cette même compassion car il prétend "avoir fait exprès d'échouer tout en faisant semblant d'essayer de réussir" à faire ce que Voldemort lui demandait. Maladroitement, il ajoute : "J'ai été soulagé d'apprendre que je n'avais pas réussi à empoisonner Dumbledore, que c'était Weasley qui l'avait été !" Les témoins de l'accusation, Weasley compris, remuent sur leur banc pour faire part de leur indignation. 
 
 

Au tour des plaidoiries 

La fin du procès approche. L’accusation et la défense croisent le fer de leurs arguments au cours des plaidoiries. Impossible de tout restituer, mais on peut citer ces quelques extraits.

 
  • Iris Moffa et Axel Puente discréditent les témoins ayant soutenu Drago Malefoy :

"Quel crédit leur accorder alors que ces sont ces personnes qui ont transmis à Malefoy ses vices et sa haine ?"

 
  • Romain Placé, enseignant à l’IEP, rappelle que les droits de Drago Malefoy ont été respectés et en profite pour écorner Dolorès Ombrage (ça faisait longtemps) :

"Je souligne le respect des droits fondamentaux de l’accusé, via l’impartialité des débats qui ont été menés. On le comprend, après le procès de Harry Potter au cours duquel Dolorès Ombrage ne s’était pas montrée très neutre…"
 
  • Valentine Barnakian et Émile Formery tentent d’atténuer la responsabilité de Drago Malefoy :

"Drago n’est pas responsable de son éducation. Il a vécu des crises qui l’ont poussé à agir démesurément. Il a des séquelles psychologiques, il ne peut pas être déclaré coupable."

 
  • Frédérique Berrod, enseignante à l’IEP, blâme aussi une influence néfaste :

"Drago est coupable, pas par actes ou par omission. Mais par son ADN. Il a subi la pression de sa famille, de la maison Serpentard, de ses professeurs. Il n’est qu’une victime de la peur que fait régner le Seigneur des ténèbres. […] Il n’a jamais eu le choix. Son sort repose entre vos mains."
 

Drago Malefoy en a bavé...

Malefoy est appelé à la barre avant le délibéré... et renverse l'issue du procès en confessant son amour pour Hermione Granger : "Mon monde s'est écroulé quand j'ai découvert que la fille la plus belle et la plus brillante de l'école était quelqu'un qu'on avait toujours voulu me faire détester. Je ne pouvais plus que faire semblant." 
 


Que la justice soit faite

Finalement, la décision est rendue. Drago Malefoy est reconnu coupable de tous ses chefs d'accusation. Mais il échappe à la prison, la présidente Lucie Laux préférant une confiscation de baguette magique pendant un an, un stage d'altruisme, et un suivi psychosocial. Elle nous déclare après le procès : "Il faut que la justice apporte un équilibre là où il y a eu déséquilibre. Drago n'a pas choisi sa voie : il n'était qu'un outil entre les mains d'adultes.

La juriste poursuit : "La prison n'aurait rien changé : il faut permettre à Drago de se réinsérer au lieu de susciter sa vengeance et de déclencher une Troisième Guerre des sorciers." On n'est pas si loin de réelles affaires judiciaires impliquant des mineurs...

Le film du procès, tourné et monté par le média des quartiers strasbourgeois Sp3ak3r, sera disponible début janvier 2020. Un cocktail a suivi le procès : les boissons rappelaient des potions magiques, des chocogrenouilles étaient disposées sur les tables, et il y avait même des baguettes magiques faites en pâte à bretzel. Le tout accompagné de musique classique jouée par le club-orchestre du bureau des arts de Sciences Po Strasbourg.
 

Livret du procès de Drago Malefoy à Strasbourg by Vincent Ballester on Scribd

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