25 jeunes non-voyants ou mal voyants se sont prêtés au jeu de représenter leur quotidien à l'aide d'un appareil photo. De ce projet résultent 60 photos exposées jusqu'au 29 octobre à la médiathèque Malraux à Strasbourg.
Voir le monde d'un autre œil, c'est ce que propose actuellement la médiathèque Malraux à Strasbourg avec une exposition nommée "Eyes - avec les yeux de personne d'autre". Pas moins de 60 photographies, réalisées par des personnes non-voyantes ou mal voyantes, qui retracent leur quotidien d'une manière inédite. Elles seront accessibles gratuitement jusqu'au 29 octobre.
Le projet a rassemblé 25 jeunes atteints de déficiences visuelles, dont une dizaine accueillie au sein des établissements de l'association Adèle de Glaubitz, qui accompagne les personnes handicapées, âgées dépendantes et des enfants en difficulté sociale. Il s'est tenu de janvier à juin 2022.
Dans la capitale alsacienne, 10 jeunes se sont réunis chaque semaine pour débriefer avec Éric Vazzoler, le photographe à l'initiative du projet, et apprendre à manier un appareil photo. "Certains étaient plus investis que d'autres mais ce sont de personnes qui ont souvent des handicaps ou troubles associés. Ce n'est donc pas simple pour eux de pratiquer la photographie au quotidien"; explique-t-il.
Trois villes européennes participantes
Pensée avant même la pandémie de Covid-19, la genèse de cette exposition remonte à 2006 en Pologne. Éric Vazzoler veut y mener un atelier photo avec un public qu'il ne connait pas, à savoir les non-voyants. "J'ai fait un atelier avec eux et c'était une belle expérience. C'est resté dans un coin de ma tête et j'ai ensuite voulu monter un projet à plus grande ampleur", explique-t-il, "J'aime bien l'idée que la photo ne se fasse pas qu'avec les yeux".
Je vis à Strasbourg, je travaille à Stuttgart et je connais bien Lodz, alors c'était l'occasion de faire un atelier à grande échelle
Éric Vazzoler, photographe professionel
Les ateliers se sont déroulés à Stuttgart en Allemagne et ses deux villes jumelées à savoir Strasbourg en Alsace, mais aussi Lodz en Pologne. "Je vis à Strasbourg, je travaille à Stuttgart et je connais bien Lodz. C'était l'occasion de faire un atelier à grande échelle et de le présenter dans trois pays différents", assure le photographe.
Les liens entretenus entre ces capitales régionales a aussi profité au budget du projet : "Dans le cadre des 60 ans du jumelage entre la capitale régionale allemande et française, j'ai pu avoir un financement me permettant de faire ce qui me tenait à cœur", explique-t-il. En plus de ces trois villes, d'autres acteurs ont aussi participé financièrement comme la région Grand-Est et l'Office franco-allemand pour la Jeunesse.
La photographie comme pied d'égalité
Photographe depuis 36 ans, Éric a toujours voulu être au plus près des jeunes : "Mon sujet préféré reste la jeunesse, j'ai envie de leur faire partager ma passion. Quel que soit leur profil, je m'engage pour qu'il puisse pratiquer la photo", explique-t-il. En effet, son premier atelier à destination de cette catégorie de la population s'est déroulé avec des enfants autistes au Kirghizstan. Il œuvre aussi cette année dans la région du Donbass, avec la guerre en Ukraine qui a éclaté.
Son projet, qui reste surprenant sur le papier, met en lumière un quotidien méconnu par une bonne partie de la population. "Les non-voyants nous font regarder le monde autour de nous autrement. Les codes classiques de la photographie rendent les images parfois banales et ennuyantes, là c'est le contraire", indique le photographe professionnel.
Pour l'épauler, mais aussi lui apporter une expertise, le photographe non-voyant Evgen Bavcar a pris part à cette aventure. Né en Slovénie en 1946, il est progressivement devenu aveugle à l'âge de 12 ans. Ce handicap ne l'a pas empêché de vouloir "être égal aux autres", mais au contraire l'a motivé à se lancer dans la photographie.
Un apprentissage de la photo en équipe
Cette volonté d'être égal à l'autre s'est aussi infusée lors des 13 sessions de l'atelier d'Éric organisées à Strasbourg. Van Thaï Bui, mal voyant, a participé au projet. Il affirme avoir pris part à l'initiative "pour montrer qu'on peut aussi, en tant que mal voyant, faire de la photographie". Ce dernier a même entraîné son amie Mathilde.
En réunissant des non et mal voyants, l'atelier était interactif selon Éric Vazzoler : "Les mal voyants décrivaient aux non-voyants ce qu'ils avaient pris en photo". Océane, non-voyante, est de son côté devenue experte en la matière. Pour capturer une personne en image, elle lui touche l'épaule "pour savoir comment prendre la photo et à quelle distance".
Chaque semaine, en ramenant leurs images, le photographe professionnel a appris à mieux connaître ces participants à l'atelier : "Les images exposées sont les leurs. Elles sont faites la semaine, sans moi et représentent leur quotidien", explique-t-il.
Aussi surprenante qu'émouvante, l'exposition "Eyes - avec les yeux de personne d'autre" a d'abord été présentée à Lodz, en Pologne lors du festival Fotofestiwal 2022 à la galerie Nasza. Après Strasbourg, elle prendra ses marques à Stuttgart pour une durée et un lieu qui restent encore à définir.