Marco Rizzo est conducteur de bus à Strasbourg depuis douze ans. Hier soir, pour la première fois de sa carrière, il a eu peur. Pour lui et pour ses voyageurs. Le bus qu'il conduisait s'est fait caillaisser dans le quartier de la Meinau. Il nous raconte.
Que les choses soient bien claires. A 52 ans, Marco Rizzo n'est pas du genre impressionnable. Contrôleur puis conducteur de bus pour la CTS (Compagnie des transports strasbourgeois), il en a connu des incivilités et des rudesses mais des jets de pierres jamais. Jamais jusqu'à hier soir où le bus qu'il conduisait a été la cible de jets d'oeufs et de pierres. Brisant une vitre et son moral.
"J'ai eu un choc"
" Je ne suis pas du genre à faire la fillette ni à me mettre souvent en arrêt maladie mais là je ne me sens vraiment pas bien." Hier, alors qu'il est affecté sur la ligne 57 Geispolsheim-Kibitzenau, il reçoit un appel du central prévenant les conducteurs de bus que "des jets d'oeufs sur les véhicules" avaient été signalés par un collègue. Sur le coup, il n'y prête pas vraiment attention. Les jets d'oeufs à Halloween sont devenus hélas une pratique courante "Si ça avait été chaud, la direction aurait suspendu les trajets me suis-je dit ..."Oui mais voilà, vers 19h30 alors qu'il s'approche de la place de l'Ile de France, il reçoit un autre appel "demandant à tous les chauffeurs des lignes 57 et 67 de ne pas rentrer dans le quartier de la Meinau." Pas de chance, il y est déjà. Ensuite tout s'enchaîne très vite. " Une quinzaine de jeunes ont commencé à lancer des oeufs et des pierres sur le bus. Je les ai bien vus, ils ont pris leur élan. Une vitre a explosé à l'arrière, j'ai accéléré un peu et immobilisé le véhicule deux arrêts plus loin, à l'abri."
"J'ai eu peur oui. Ca a été un choc. Je transportais une quinzaine de personnes. Lancer des oeufs c'est déjà moyen mais des pierres c'est autre chose. La vitre a explosé, heureusement qu'il n'y avait personne assis à l'arrière ou qu'ils n'ont pas visé l'avant. Il y aurait pu avoir des blessés ..."Ils ont pris leur élan. Une vitre a explosé à l'arrière.
-Marco Rizzo, conducteur de bus-
" Ce sont des jeunes que je transporte tous les jours"
Au-delà de la peur, c'est aussi une grande tristesse qui submerge aujourd'hui Marco. Celle d'abord d'avoir été abandonné par sa direction. "J'ai déposé les passagers jusqu'à un arrêt de tram pour pas qu'ils soient embêtés et je suis rentré au dépôt. Mon chef d'équipe a appelé le Samu qui m'a envoyé le médecin. J'étais pas bien, j'avais la migraine, des vertiges ... il m'a mis en accident du travail jusqu'à lundi. Mais je sais déjà que lundi, je prolongerai, je ne suis pas en état de rempiler."
Je n'ai eu aucune nouvelle de la CTS, je trouve ça incroyable
-Marco Rizzo, conducteur de bus-
Depuis hier soir, silence radio de sa hiérarchie : "Je n'ai eu aucune nouvelle de la CTS, je trouve ça incroyable. Ils doivent tous être en vacances ou en week-end .. pas même un petit mot pour me demander comment ça va ... Sans compter qu'ils auraient pu dès 17h, éviter cet incident, je suis dépité."
Triste aussi car Marco a reconnu certains jeunes qui ont caillassé son bus. "J'en ai reconnu deux, trois que je transporte dans mon bus. Ils m'ont reconnu eux aussi et pourtant ils n'ont pas hésité. On est visé parce qu'on est transport public, on est une cible privilégiée. Ca m'a fait beaucoup de peine."
Et ensuite ?
Marco ira porter plainte demain samedi 2 novembre au commissariat de Strasbourg. "Il y a des caméras dans ce quartier, ce sera facile de reconnaître les jeunes." Pour le geste plus que par rancoeur. "On ne peut pas dire que ce genre d'agressions se produise plus souvent qu'avant. Ca arrive oui, des jets de pierre, pas régulièrement mais ça arrive. Souvent le conducteur continue son activité, la direction nous demande de reprendre, ce que je trouve anormal. On a pas à subir ce genre de choses. Quand ça vous tombe dessus, c'est sûr que c'est dur ... "
Ca arrive oui, des jets de pierre. Souvent le conducteur continue son activité, la direction nous demande de reprendre.
-Marco Rizzo, conducteur de bus-
Et puis bien sûr il faudra reprendre le volant "On n'a pas le choix, il faut rebondir. Je vais reprendre le travail y a pas de soucis. Il me faut juste quelques jours pour me reprendre, remettre les idées en place."
La CTS que nous avons contacté répond, par la voix de son directeur Jean-Philippe Lally, explique être dans une impasse : "La difficulté pour nous là-dessus, c'est qu'on est pas la police : on ne peut rien faire sur l'espace public, on n'a pas d'autorité quelle qu'elle soit. La seule chose qu'on peut faire c'est, en lien avec les services de police, décider dès lors qu'il y ait des attroupements inquiétants, immédiatement mettre en place des dispositifs de déviation des lignes pour éloigner nos personnels et nos clients."
Ironie de l'histoire, c'est hier également, que Marco a été nommé officiellement représentant syndical CFTC " une belle inauguration" conclut Marco. Son mandat s'annonce d'ores et déjà bien chargé."Il nous faut plus de sécurité dans nos bus. Chaque fois qu'il y a un incident, la direction nous dit qu'elle va faire quelque chose puis sur la durée plus rien. C'est juste par moments. Nous ce qu'on voudrait c'est plus de suivi, les conducteurs sont livrés à eux-mêmes, surtout quand on va loin comme Plobsheim. J'ai voulu témoigner car ça suffit tout ce qui se passe. Les conducteurs n'osent plus rien dire aujourd'hui, ils ont peur des sanctions de la direction." Désormais, il peuvent compter sur Marco.