TEMOIGNAGE. Crash du Mont Sainte-Odile : 30 ans après, l'un des journalistes qui a découvert l'avion se souvient

Le 20 janvier 1992, à 19h20, un A320 d’Air Inter s’écrasait sur le Mont Sainte-Odile (Bas-Rhin), faisant 87 morts. Ce sont deux journalistes qui ont découvert l’épave de l’avion et les rescapés. L’un d’eux, Jean-Pierre Stucki, nous raconte ses souvenirs de cette nuit-là.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

"Je reçois l’alerte d’un contact que j’ai dans les forces de l’ordre. Il me dit « l’avion Lyon-Strasbourg a disparu et s’est probablement crashé dans les environs de Strasbourg ». Il est alors 20h20, soit une heure exactement après l’accident".

30 ans après le drame, les souvenirs de Jean-Pierre Stucki sont encore très précis. Journaliste, il était alors le correspondant de TF1 en Alsace. "Dès que j’ai l’info, le 20h de TF1 est encore en cours. J’alerte immédiatement la rédaction, qui décide de ne pas tout de suite annoncer le crash, parce qu’on n’en sait encore trop peu, et par égard pour les familles des victimes."

Moins d’une heure plus tard, Jean-Pierre Stucki et son collègue Eric Schings sont en route pour rejoindre la zone de l’accident. "On ne savait pas où était précisément l’avion, on savait juste qu’il était dans le secteur du mont Sainte-Odile". Direction la gendarmerie de Barr pour glaner des précisions. "Je vois bien qu’il y a beaucoup de monde et d’activité sur place, mais on nous met dehors."

Les deux journalistes cherchent malgré tout à se rapprocher du lieu de l’accident. Ils se guident grâce aux rares personnes qu’ils croisent. "Un garde-forestier nous indique la direction d’un « très gros bruit » entendu à l’heure présumée du crash. Plus loin, trois villageois nous disent avoir senti de la fumée dans un chemin."

On a marché une vingtaine de minutes, guidés par l'odeur de kérosène.

Jean-Pierre Stucki

Journaliste

Pendant une vingtaine de minutes, ils arpentent la forêt, dans le noir, dans le froid et le brouillard de cette nuit enneigée de janvier. "Guidés par l’odeur du kérosène, on arrive devant l’avion, par l’avant. Autour d’un petit feu sont rassemblés quelques survivants qui attendent les secours." Ils sont neuf, dont deux gravement blessés, qui mourront pendant leur transport à l'hôpital.

Il est 23h40. Les secours n’arriveront que 20 minutes plus tard. Un laps de temps pendant lequel Jean-Pierre et Eric restent seuls avec les rescapés. "On n’est plus journaliste à ce moment-là. On était devant la carcasse de l’avion. Il y avait le feu. Mais j’ai fermé mes œillères. C’est l’aide aux survivants qui a pris le pas." Jean-Pierre Stucki a avec lui un téléphone [les portables sont encore rares à cette époque]. Il donne sa veste à l’enfant rescapé [le jeune Romain Ducloz a alors 8 ans]. Il alerte les secours, la préfecture et son bureau pour qu’il prévienne aussi de son côté les secours.  

En tant que journaliste, on n’est pas préparé à arriver sur le lieu d’une telle catastrophe tout seul, avant les secours. On agit par automatisme.

Jean-Pierre Stucki

Journaliste

Le journal de la nuit de TF1 va bientôt démarrer. "La rédaction m’appelle, enregistre une courte discussion que j’ai avec mon rédacteur en chef. L’échange a dû durer une minute. Je l’ai conclu en disant « je dois te laisser, il faut que j’aille faire quelque chose pour les gens qui sont là ». La conversation a été diffusée telle quelle dans le journal."

A la caméra, son collègue Eric Schings ne filme que deux minutes d’images. Ce qui est extrêmement peu pour un journaliste face à un tel événement. "On a aussi décidé de ne pas faire d’interviews des rescapés ce soir-là. Ils nous auraient sans doute répondu mais on n’a pas voulu. On aurait pu faire un direct sur place pour le journal. Mais on ne l’a pas fait."

A minuit, plus de 4h30 après le crash, les premiers secours arrivent. L’équipe de tournage les éclairent grâce à la petite lumière de la caméra. Puis elle se voit priée de quitter les lieux. "Nous n’avions de toutes façons ni l’un ni l’autre envie de rester là-haut. En redescendant, on a dû faire une halte parce qu’on n’était pas bien." La sidération a mis du temps à s’atténuer. Jean-Pierre Stucki a attendu plusieurs jours avant de remonter sur les lieux. Il avait besoin d’attendre que la zone soit évacuée.

Les survivants s’attendaient à voir arriver les secours. A la place, ils ont vu débarquer une caméra de télé. C’était très violent pour eux.

Jean-Pierre Stucki

Journaliste

"Les vautours arrivent avant les secours". Jean-Pierre Stucki se souvient de cette phrase prononcée par l’un des survivants ce soir-là. "Je n’ai pas eu l’impression d’être un vautour ce soir-là. Parce que nous avons eu une approche humaine."

Le journaliste avait 34 ans à l’époque et convient que l’événement a marqué à jamais sa carrière. "C’était un gros scoop. Je suis devenu l’un des spécialistes de cette affaire. Mais je n’ai pas l’impression de l’avoir volé, assume-t-il. Il n’a été possible que parce que d’autres n’ont pas correctement fait leur travail ce soir-là. Nous n’aurions pas dû être là avant les secours."

Dès le lendemain de la catastrophe, la polémique éclatait autour de la lenteur et de la désorganisation des secours. Des dysfonctionnements auxquels Jean-Pierre Stucki a consacré un an d’enquête compilée dans « La nuit du mensonge », cosignée avec le journaliste, Francis Guthleben (Albin Michel)

Une enquête qui rappelle aussi le contexte du crash (voir ci-dessous l'édition spéciale de France 3 du 21 janvier 1992). L’A320 est alors le fleuron d’Airbus, de l’industrie aéronautique européenne. Or un avion du même modèle s’était déjà – en Alsace d’ailleurs – écrasé sur l’aérodrome de Mulhouse-Habsheim lors d’un vol de présentation pendant un meeting aérien, en juin 1988.

Autour du crash du Mont Sainte-Odile, les enjeux sont donc colossaux. "Ils étaient tellement stressés par la récupération des boîtes noires, la transparence de l’enquête, et ils étaient tellement persuadés qu’il n’y avait pas de survivants, analyse Jean-Pierre Stucki. Ils ont mis la priorité sur autre chose que la recherche de l’épave et d’éventuels blessés." 

Un film documentaire en 2023

30 ans après, Jean-Pierre Stucki participera aux cérémonies de commémoration de la catastrophe. Et il viendra avec une caméra. Il entame l’écriture d’un film documentaire pour France 3, consacré à la catastrophe aérienne. "Il est important de voir les suites, les conséquences, les leçons qui ont été tirées. Et il y en a ! En matière de conception des avions, d’organisation des secours de place des victimes dans l’enquête judicaire". Un travail qui le replongera encore dans les souvenirs de cette nuit "complètement folle" gravée dans sa mémoire.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité