TEMOIGNAGE - Victime d’abus sexuels durant son enfance : "A 48 ans, je veux pouvoir commencer à vivre"

Entre l'âge de 10 et 12 ans, Stéphanie* a été victime d'attouchements par un proche de la famille. Victime aussi de l’incrédulité des siens. Trente-sept ans après les faits, les blessures de cette Bas-Rhinoise n’ont pas cicatrisé. Voici son témoignage.

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"A chaque fois que j’en parle, j’ai l’impression de revivre ce qu’il m’a fait. Je retrouve ces sentiments de honte et de peur ". Stéphanie*, née et habitant toujours dans le Bas-Rhin, avait 10 ans quand son agresseur a abusé d’elle la première fois. C’était dans un camping. L'homme de trente ans son aîné, un ami de la famille. "Il m'a attirée dans sa caravane en me promettant des friandises. Il m’a fait m’assoir sur ses genoux. Et j’ai senti sa main glisser dans ma culotte." Tétanisée. La petite fille ne bouge pas. Pas un son ne sort de sa bouche. Il lui dira: "Ceci est notre secret. Tes parents ne t’aiment pas. Mais moi je t’aime."
 

"J’avais honte et tellement peur"

Des attouchements sexuels qui se sont répétés durant trois ans. Toujours pendant les vacances au camping. C’est après une nouvelle nuit de crises d’angoisse et de larmes que Stéphanie finira par tout révéler à ses parents. "C’est impossible. Il est gentil, serviable. Il est comme un membre de la famille" entendra-t-elle dire à propos de son agresseur. Impossible? Et pourtant, les statistiques parlent d'elles-même. Dans 90% des cas de violences sexuelles sur mineur, les victimes connaissent leur agresseur.
 

Un enfant ne doit jamais faire face à son agresseur sauf au tribunal

Une confrontation est organisée par la mère sur le lieu de travail de l'agresseur. L'homme niera. "Moi, j'étais paralysée. J’avais honte et tellement peur", nous raconte Stéphanie. Murée dans le silence. Incapable de dénoncer les sévices qu’elle a subi. "On ne confronte jamais une jeune victime à son agresseur", explique Olivier Egelé, le président de Stop aux violences sexuelles Alsace. Et de continuer "la victime se retrouve en état de sidération, comme lors des agressions. Paralysée physiquement et psychologiquement. C’est un nouveau choc pour la petite fille. Et c’est d’autant plus dur, que c’est sa propre mère qui lui impose cette confrontation. Aujourd’hui, les enquêteurs dans ce genre de situation sont formés. Un enfant ne fait jamais face à son agresseur sauf au tribunal. Et c’est l’unique fois."
 

"Elle a tout inventé, elle ment"

Une menteuse. Elle aurait tout inventé pour "attirer l’attention". Ce sont les paroles de sa famille qui lui colleront à la peau toute sa vie. Stéphanie, victime d’abus sexuels, mais aussi de l’incrédulité des siens. La petite fille va s’enfermer sur elle-même et développer des tocs. A 14 ans, l'adolescente s’arrache les cheveux. Elle est trichotillomane. A 15 ans, elle est anorexique. "Des troubles très courants dans les cas de violences sexuelles. La victime est dans une phase d’autodestruction, dans une énergie meurtrière. Certaines victimes vont la retourner contre elles", nous détaille Olivier Egelé.
 

Comment cette jeune fille peut-elle faire confiance aux adultes ? Ils ont tous failli
 

La rupture. Les relations avec sa famille se détériorent. Stéphanie prend ses distances avec ses parents et demande à intégrer un internat."Mes parents étaient censés me protéger. Ils ne m’ont jamais cru. Peut-être étaient-ils dans le déni? Incapables de voir l'innomable?". Quelques années plus tard, les parents de Stéphanie se séparent.
 

"Ma mère s’est mariée avec mon agresseur"

J’avais 17 ans quand ma mère m’a annoncé qu’elle a refait sa vie. Et qu’elle allait se marier... Avec celui qui m’avait anéanti. Avec mon agresseur." C’est le coup de grâce. Cette annonce est vécue comme une trahison ultime. Pour le président de l’association Stop violences sexuelles, "c’est la double peine. Non seulement, elle n’a jamais eu le soutien de sa mère, mais en plus, elle fait entrer son agresseur dans le cercle familial proche. C’est terrible. Comment cette jeune fille peut-elle faire confiance aux adultes ? Ils ont tous failli".


"Il a changé"

A 18 ans, elle retourne quelques jours au domicile maternel. "Tu sais, il a changé, il n’est plus comme avant, me disait ma mère. J’ai accepté. Je n’avais plus 10 ans. Je n’avais plus peur" raconte Stéphanie. Les relations sont glaciales avec celui qui est devenu son beau-père. "Un matin, alors que ma mère est partie travailler, je me suis réveillée. Il était tout nu, sur moi." En se débattant, Stéphanie a pu s’extraire des griffes de son beau-père. Prête à déposer plainte. "Le gendarme m’a dit qu’ils devront poursuivre ma mère pour non dénonciation de violences sexuelles. Je n’ai pas pu. Je ne pouvais pas lui faire ça. J’ai renoncé." Une nouvelle fois, Stéphanie est tenue au silence.


Et puis le silence

Un silence dans lequel les victimes d’agressions sexuelles se terrent durant des années. Des dizaines d’années. "Libérer la parole. C’est le plus difficile pour les victimes, explique Olivier Egelé. Et pourtant c’est le point de départ d’un processus de réparation. Certaines mettront dix, vingt, trente ans, parfois encore plus. Je me souviens d’une dame de 80 ans qui nous a appelé. Victime d’abus sexuels durant son enfance. Elle a gardé ce secret toute sa vie." Des vies brisées. Celle de Stéphanie a oscillé entre périodes heureuses - la naissance de ses deux enfants - et de profondes dépressions. "Depuis mon enfance, j’ai toujours un mal-être intérieur. Une instabilité. J’ai changé 37 fois de travail." 
 

Je ne veux plus survivre. Je veux commencer à vivre à 48 ans


Etre reconnue en tant que victime

A l’âge de 48 ans, Stéphanie a décidé de raconter son histoire. Elle a écrit au procureur de la République de son secteur. Elle a écrit à France 3 Alsace. Soutenue depuis le début par ses enfants et ses proches à qui elle a raconté son histoire, elle aimerait que son récit permette à d'autres de se libérer "il faut que les victimes puissent s'exprimer et que leur parole soit accueillie avec bienveillance" nous explique-t-elle.

"Dans la démarche de Stéphanie, on sent qu’elle a besoin d’être reconnue en tant que victime. Ce qui n’a pas été fait par sa famille étant petite. Ce qui ne sera peut-être pas fait par la justice, certains faits semblent prescrits", analyse Olivier Egelé. Trente-sept ans après les faits, son témoignage sonne comme un début de thérapie. Etape suivante, un dépôt de plainte si le retour du procureur de la République est positif. Stéphanie s'attache désormais à sa reconstruction, elle a pris contact avec l'antenne régionale de l'association Stop aux Violences sexuelles et de conclure "j’ai trop souffert en silence. Je ne veux plus survivre. Je veux commencer à vivre à 48 ans".

Quelques semaines après la publication de cet article. Nous venons d'apprendre que le parquet a donné suite au courrier de Stéphanie. Une enquête est actuellement en cours. 

* Le prénom a été modifié

En Alsace, une association pour se reconstruire
La plateforme régionale de l'association Stop violences sexuelles Alsace a vu le jour début 2017 avec pour objectif d'élever le niveau de conscience et de connaissance sur la problématique des violences sexuelles quelqu'elles soient. C'est un lieu d'écoute des victimes, d'orientation de ces dernières mais aussi de formation auprès des professionnels.

Prévention et formation
En deux ans, près de 300 personnes ont été formées en Alsace pour faire face à ce sujet. Des professionnels qui accompagnent au quotidien des victimes. Avocats, sages-femmes, assistantes sociales, médecins, gendarmes, policiers,...

Une prévention en périnatalité a également été déployée avec le partenariat des HUS de Strasbourg, le GHSO de Sélestat et la clinique Sainte-Anne à Strasbourg. Plus d'une centaine de sages-femmes formées pour détecter d'éventuels antécédents de violences sexuelles auprès des futurs mamans.
Prochain grand projet : la prévention en milieu scolaire. 17 personnes vont pouvoir intervenir dans les écoles, collèges et lycées. "Un enfant informé sait mieux se protéger" martelle Olivier Egelé, le président de l'assocation. "N'oublions pas, en Europe, 1 enfant sur 5 est victime de violences sexuelles"

L'escrime pour se reconstruire

C'est un concept développé au niveau national depuis 7 ans et qui devrait démarrer en Alsace en septembre 2019. Des ateliers d'escrime pour travailler sur la reconstruction des victimes. "350 personnes ont ainsi pu être prises en charge depuis 7 ans avec des résultats excellents certains allant jusqu'à la guérison totale", explique l'association. Une prise en charge pluridisciplinaire des dimensions psychiques et corporelles. Et de rappeler, "car souvent dans les cas de violences sexuelles il faut soigner le psychique, mais aussi le corps. Car le corps se souvient des traumatismes".


Stop aux violences sexuelles Alsace 
85 rue de Sélestat à Obernai
email : svs.alsace@gmail.com
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