TEMOIGNAGES - Coronavirus : "On jette les fleurs qu'on cultive depuis des mois", les horticulteurs en pleine crise

D'ordinaire, les horticulteurs alsaciens réalisent 50 à 80% de leur chiffre d'affaires de mars à juin. La crise du coronavirus les touche donc au plus mauvais moment. Ils doivent jeter leurs fleurs de printemps, et préparer leur production estivale sans savoir s'ils pourront l'écouler.

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Dans ses serres pleines de fleurs printanières, Thierry Schmitt, horticulteur à Niederroedern (Bas-Rhin), a le cœur serré. Faute de débouchés, toute sa production de primevères, de jonquilles, de pâquerettes et d'arrangements floraux, d'une valeur de près de 100.000 euros, doit être jetée.    

Pas un seul euro ne rentre actuellement, ni par le biais des jardineries, ni par la vente au détail. Plus rien ne fonctionne.
- Thierry Schmitt, horticulteur

Mi-mars, juste avant le confinement, il a encore pu livrer trois camions de ses fleurs en Allemagne. Il a aussi déposé plusieurs cagettes dans la boutique d'un producteur de volailles, "juste pour faire plaisir aux clients". Mais l'initiative n'a pas continué, car le plaisir de choisir l'un de ces pots mis gratuitement à leur disposition risquait de faire oublier à certains les distances de sécurité réglementaires.     
  
 

Un travail contre nature

Entretemps, Thierry Schmitt a déjà vidé une serre de 3.000 m2. Parmi ses quinze salariés qui continuent à venir travailler de leur plein gré, plusieurs étaient en larmes à l'idée de devoir ainsi détruire le fruit de leur travail. Et jeter ces dizaines de milliers de fleurs occasionne encore des frais supplémentaires, car il faut d'abord les dépoter avant de les mettre sur le compost.
 

Au moment de perdre toutes ses fleurs printanières, il a également du faire face à un choix cornélien : poursuivre, ou non, la production des fleurs et plantes d'été, sans savoir aujourd'hui s'il pourra les écouler. Il avoue avoir "tourné en rond" ces derniers jours, en pesant le pour et le contre, avant de se décider finalement à continuer.
 

Un pari risqué 

Cette décision engage des centaines de milliers d'euros supplémentaires en salaires, en frais de chauffage des serres, en engrais… sans aucune certitude d'un quelconque retour sur investissement. En effet, absolument personne ne peut lui dire si, fin avril début mai, il pourra rouvrir son magasin, ni si les clients seront autorisés à revenir.

Mais des centaines de milliers de fleurs d'été sont déjà en train de croître, bichonnées depuis des semaines. "80% de la marchandise est déjà rempotée", précise Thierry Schmitt, mais elle nécessite encore énormément de soins. Ces trois prochaines semaines, il faut reprendre des centaines de milliers de plantes en main pour les desserrer. "Ce qui ne serait pas un problème, s'il y avait la moindre garantie de pouvoir les vendre, le moment venu"… c'est-à-dire dès fin avril ou début mai.
 


Spécialisé en production de fleurs coupées, Jean-Marc Schneider de Wintershouse s'en sort un peu mieux grâce à une activité annexe de maraîchage. Pour l'instant, il peut continuer à livrer quelques bouquets de fleurs, tulipes et pâquerettes, un petit 10% de sa production, au supermarché fermier Hop'la en même temps que ses courges, ses noix, ses farines et son huile. Mais sur son site de production, où 98% de son chiffre d'affaires provient des fleurs, la boutique est bien sûr fermée depuis une semaine.    

Or, d'ici quelques jours, ses 100.000 tulipes seront en pleine floraison. Les 20.000 euros investis en octobre dernier dans l'achat de bulbes ne serviront qu'à égayer ses serres et les champs alentour.
 

Exceptionnellement, pour tenter de récupérer au moins une partie de sa mise l'année prochaine, Jean-Marc Schneider laissera les bulbes en terre après la floraison – ce qu'il évite d'ordinaire, afin de garantir une qualité irréprochable à ses tulipes. "On va tenter le coup", soupire-t-il. Une fois que les campagnols se seront régalés, il en restera peut-être la moitié pour l'an prochain. En espérant qu'avec ses bulbes "recyclés", la qualité des fleurs restera malgré tout au rendez-vous en 2021.

Et en attendant, d'ici peu, il prévoit de planter ses bulbes de dahlias et de glaïeuls et semer ses tournesols. "On prépare l'été, la vie continue… Du moins, on l'espère."


Le sentiment de jouer à la roulette russe

Ce pari sur l'avenir, malgré une totale incertitude, est celui de l'ensemble des 17 horticulteurs membres du groupement Fleurs et Plantes d'Alsace. Dans un communiqué publié ce mardi 24 mars, le groupement fait un état des lieux de la situation catastrophique de ses membres, qui représentent 80% de la production horticole alsacienne.

De Hochstatt (Bas-Rhin) à Cernay (Haut-Rhin) en passant par Brumath (Bas-Rhin), Geudertheim (Bas-Rhin) ou Sand (Bas-Rhin), des millions de plantes de printemps sont en train d'être jetées. Grandes comme petites, toutes les structures horticoles sont touchées de plein fouet par la crise du Covid-19. Mais toutes font le choix de continuer à planter, rempoter et cultiver malgré tout, afin de préparer la saison estivale. Avec l'espoir que d'ici quelques semaines, leurs clients pourront revenir, leurs magasins rouvrir, et les grossistes, les jardineries et les communes leur repasser des commandes.  

On estime à 5 millions le nombre de plants de tomates, salades, choux, courges, courgettes, oignons, pommes de terre, fraisiers, framboisiers qui ne seront pas plantés si la situation perdure
Dominique Krafft, porte-parole du groupement Fleurs et Plantes d'Alsace


Dans son communiqué, le groupement rappelle aussi que les horticulteurs locaux fournissent tous les jardiniers amateurs d'Alsace en plants de légumes pour leurs potagers. Ainsi, si les plants de géraniums actuellement en préparation ne pourront pas être vendus fin avril ou début mai, l'esthétique des villages alsaciens risque d'en pâtir cet été. Mais il y a plus grave.

Les jardins alsaciens privés de tomates ?

Le groupement a calculé qu'à raison de 750.000 plants de tomates habituellement vendus par les jardineries locales, qui produisent chacun de 2 à 3 kilos de tomates, les jardiniers amateurs d'Alsace récoltent près de… 2 millions de kilos de tomates chaque été. Cette année, s'ils ne peuvent pas se procurer leurs plants, cela fera "autant de légumes à trouver ailleurs", soit l'équivalent du chargement d'une centaine de camions de 20 tonnes. "La non mise en culture des jardins potagers représente une réalité économique dont on ne prend pas toujours la mesure", estime le groupement.  


Une isssue, la vente en ligne ?

Pour soutenir la filière horticole extrêmement fragilisée par cette crise du coronavirus, le groupement souhaiterait développer des outils de vente en ligne, encore peu usités par les horticulteurs d'Alsace. Techniquement, il semblerait tout à fait envisageable de réceptionner par internet des commandes de colis "spécial balcon" "spécial jardinière" ou "spécial jardin", et d'aller les livrer aux clients. Mais pour l'instant, les horticulteurs alsaciens ignorent même si ce type de livraison est autorisé, ou non.

Si, d'ici quelques semaines, les ventes ne peuvent pas reprendre, "les entreprises horticoles alsaciennes pourront-elles se relever de cette situation ?"  s'interroge le groupement, avant de conclure : "Rien n'est moins sûr".

Par ailleurs, pour aider d'autres agriculteurs touchés, eux, par le manque de main d'oeuvre, le ministre de l'Agriculture lance un appel à la solidarité, demandant aux Français "qui n'ont plus d'activité" à aider les agriculteurs en allant leur prêter main forte "dans les champs". 
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