TÉMOIGNAGES - Victimes de violences gynécologiques : "J'étais un bout de corps sur lequel on pratiquait"

Les violences gynécologiques sont des actes ou propos d'un(e) professionnel(le) de la santé liés aux organes sexuels d'une patiente pour lesquels elle n'a pas consenti. L'opinion publique s'empare de ce sujet à Strasbourg. France 3 Alsace a lancé un appel à témoignages. Ils sont édifiants. 

L'association Osez le féminisme 67 organise, le mardi 12 novembre 2019, un caféministe (contraction de café et féministe) au bar La Perestroïka (2 rue Thiergarten à Strasbourg).  Le thème : les violences gynécologiques et obstétricales. Elles sont définies par la lanceuse d'alerte féministe Marie-Hélène Lahaye comme "tout comportement, propos [...] commis par le personnel de santé, qui n’est pas justifié médicalement et/ou qui est effectué sans le consentement libre et éclairé de la femme".

Une réalité qui est devenue plus connue du public en 2014, avec le lancement du hashtag #PayeTonUtérus sur Twitter (voir tweet d'exemple plus bas). À cette occasion, le "point du mari" et d'autres actes scandaleux ont été médiatisés : ce "point" consiste à recoudre "plus serré" le vagin d'une femme après accouchement pour augmenter le plaisir du mari (et au passage la douleur de l'épouse). 
 


Jointe par téléphone, la porte-parole de l'association Ursula Le Menn explique au sujet des violences gynécologiques : "Les choses ont avancé au niveau collectif : l'ordre des médecins a accepté de faire son autocritique. Mais individuellement, certains médecins ne jouent pas le jeu." Elle rappelle notamment la comparaison malheureuse entre femmes et juments lors du congrès national des gynécologues.
 


Osez le féminisme recueille ces témoignages via Messenger ou à l'adresse osezlefeminismebasrhin@gmail.com. La page Paye ton gynéco également, à l'échelle nationale. Les caféministes sont pour tous les publics, "y compris masculins afin qu'ils soient sensibilisés, écoutent, réfléchissent", précise Ursula Le Menn. Déni de consentement, manque d'explications, jugement de valeurs : les violences gynécologiques restent toujours d'actualité, au regard des nombreux témoignages recueillis par France 3 Alsace sur ce sujet après un appel sur Facebook.
 

Des palpations ou insertions jamais annoncées

À l'âge de 14 ans, Alizée (le prénom a été changé) avait de "terribles douleurs" dans le bas-ventre lors de ses règles. Elle a donc consulté un "vieux monsieur aigri" gynécologue : "Tout d’abord, sans même m’expliquer ce qu’il va faire, il m’ausculte de façon très expéditive. Puis, il palpe ma poitrine de façon brutalement, soi-disant pour vérifier qu’il n’y a pas de grosseur à ce niveau-là." Et ce n'est pas fini, car, par-dessus le marché : "J’ai appris plus tard qu’on ne palpait jamais les jeunes filles à cet âge-là. Par la suite, il m'a fait des blagues souvent limites, voire très gênantes et salaces."

La gynécologue de Liza n'annonçait pas la couleur non plus : "Elle m'a tout simplement introduit le spéculum sans m'informer de ce qu'elle allait faire, ni me dire quand. J'ai senti un truc entrer, par surprise. Compte tenu du fait que j'allais chez ce type de médecin, je savais bien que je passerais par cette étape. Cependant, j'aurais bien plus apprécié que la gynéco me prévienne, par principe. Je garde un mauvais souvenir de cette séance."
 

Quand on n'est pas prête, ça peut faire mal
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Amélie, jeune victime 


Quant à Amélie (le prénom a été changé) : "Ça devait être une simple consultation avec un toucher." Sauf que : "Il m’a enfoncé la sonde [d'échographie] sans prévenir." Elle ne connaissait que l'échographie abdominale, qui se fait en surface, sur le ventre. Elle allait découvrir l'échographie endo-vaginale : "J'ai été très surprise quand, en pleine consultation, d'un coup, sans mon consentement ou même me prévenir, il m'a fait cette échographie à l'intérieur. Sans avoir été préparée, cela fait un choc : quand on n'est pas prête, comme pour un rapport, ça peut faire mal." 

Le gynécologue d'Amélie ne s'arrête pas là : "Il m'a prescrit une prise de sang à cause de mes règles douloureuses et du fait qu'il me trouvait très affaiblie. Mon médecin a reçu les résultats et a découvert, très étonné, que c'était pour détecter des traces de cellules cancéreuses. Il suspectait une tumeur sans même m'en avoir informée !"
 

La violence est aussi verbale

Élise (le prénom a été changé) se souviendra longtemps de son "assez violente" première consultation : "J'ai 18 ans, et je vais chez cette gynéco, assez âgée, et d'emblée super désagréable et sèche... Elle me fait un examen sans aucune douceur. J'ai peur, j'ai mal." Mais il n'y a pas que les gestes qui blessent : "Pendant l'examen, elle me fait soudain très mal en examinant une irritation que j'ai à ce moment-là. Je crie, et elle lève les yeux au ciel en disant : 'Oh ça va, hein !!' Ensuite, je lui parle de mes difficultés à avoir des rapports à cause de fortes douleurs. Et elle répond : 'Vous avez qu'à serrer les dents, non mais quelle chochotte celle-là !'" Élise a mis deux ans pour retourner chez une nouvelle gynécologue. "Douce et compétente", celle-ci...

Même propos problématiques avec Alizée : "La seule explication qu’il a trouvé à mes [fortes] douleurs, sans même faire d’analyses complémentaires, était que 'Monsieur devrait y aller moins fort !'" Elle se serait bien passée de ce commentaire. Et aurait préféré un véritable avis médical : elle découvrira cinq ans plus tard qu'elle souffre d'endométriose et que les règles très douloureuses, ce n'est pas du tout normal.
 

Ne faites pas la chochotte, prenez un Doliprane
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La gynécologue de Lyne


Lyne (le prénom a été changé) avait des règles encore plus douloureuses qu'Alizée : elle en faisait des malaises. Sa première consultation l'a traumatisée : "Elle est allée manger au resto au lieu de me prendre à l'heure. Ce n'est pas traumatisant ni violent, hein, juste un gros manque de respect. Mais vu que j'ai attendu près d'une heure en agonisant, ça annonçait déjà bien la couleur..." Effectivement, la suite permet de mieux comprendre : "J'avais très mal. Je luttais pour pas tomber dans les pommes. Elle a décidé que ma nervosité, c'était parce que je mentais : elle a donc essayé de me cuisiner."
 

"On n'avait pas parlé une seule fois de l'objet de ma visite. Elle a directement voulu me prescrire je ne sais pas quel contraceptif car : 'C'est ce que veulent toutes les filles de votre âge... Quoi que, vu comme vous êtes grosse, vous ne devriez pas spécialement en avoir besoin.'" Sympa. Mais ça ne s'arrête pas là, car Lyne mentionne enfin des douleurs : "'Ne faites pas la chochotte, vous prenez un Doliprane et ça passe !' Elle m'a fait une ordonnance vite fait en disant que je surjouais pour éviter d'aller en cours de sport." Elle ne retournera chez un (autre, bon) gynécologue que des années plus tard : "J'ai été choquée au point que j'ai laissé une endométriose dégénérer par peur de revoir un médecin."
 

C'est du terrorisme gynécologique
- Le second gynécologue (gentil) de Gwen


Gwen, elle, a eu droit à des propos quasi-injurieux quand elle suspectait une IST. Elle rapporte cet échange avec sa gynécologue :
  • 'Pour attraper ça, vous avez dû avoir beaucoup de partenaires !'
  • "Non, je me suis toujours protégée..."
  • 'Soit vous avez eu autant de rapports qu'une prostituée, soit votre copain vous trompe. Moi, je les connais les jeunes ! Vous êtes sûre de sa fidélité? Faites lui faire des examens : c'est louche.'
  • "..."
  • 'On va attendre les résultats pour voir si vous n'avez pas de cellules cancéreuses. C'est beau de s'amuser, mais j'en vois, des jeunes inconscients qui deviennent stériles avec ce genre de choses !'
  • "..."
  • 'Et votre mère ? Elle a fait quoi, votre mère? Elle ne vous a pas vaccinée contre le cancer du col de l'utérus ? Encore une inconsciente qui n'a rien compris...'

La jeune femme commente : "Et tout ça pendant qu'elle m'auscultait sans rien m'expliquer. Elle exécutait ses gestes comme un robot, avec des outils que je ne connaissais pas. J'avais mal, je saignais... Et je me sentais humiliée. J'avais dit la vérité. Je n'avais eu que deux partenaires et je ne comprenais pas pourquoi je devais devenir stérile. Je posais des questions qui restaient sans réponse car elle ne me croyait pas. Elle oubliait qu'elle avait en face d'elle un être humain."

"La violence résidait dans le déni complet de ce que je lui disais tout en exécutant ses gestes mécaniquement", conclue-t-elle. "J'étais un bout de corps sur lequel on pratiquait. Elle m'a méprisée et m'a fait une leçon de morale." Gwen est allée chez un autre gynécologue (un homme). Elle lui a tout raconté. Il lui a alors dit que c'était du "terrorisme gynécologue". Et il l'a rassurée : pas de cancer ni de stérilité, aucune signe d'infidélité, et explications sur des symptômes que tout le monde peut avoir.
 


Ce genre d'expériences a moins de risque de se produire en recourant à la carte des "soignant-e-s friendly" éditée sur le blog Gyn&co. Il s'agit de gynécologues et médecins qui respectent le consentement des femmes et évitant les comportements homophobes ou transphobes, grossophobes, etc. 
 
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