Outre les messageries coquines, le Minitel était connu pour ses tarifications à la minute qui s'envolaient très vite. De quoi donner des sueurs froides à la lecture des factures téléphoniques salées. Une manne financière pour l'Etat, la presse et les éditeurs de services. Pour tout comprendre du fonctionnement économique du Minitel, laissez-vous guider par la websérie "Minitel : retour vers le 3615" présentée par Fannyfique.
L'épopée du Minitel est autant technologique, sociétale, qu'économique. Impossible de parler de cette industrie française sans penser aux sommes astronomiques qu'elle a engrangées et fait dépenser aux utilisateurs. Fannyfique vous explique tout dans ce troisième épisode de la websérie "Retour vers le 3615".
Une tarification à la minute
"Pouah, ça coûtait une blinde !" : telle est la réaction qui ressort systématiquement dès que je parle du Minitel à quelqu'un. Je me souviens, petite, chez des amis de mes parents, on me laissait pianoter sur le clavier du Minitel pour écrire des mots qui se transposaient sur un écran tout en m'interdisant formellement de me connecter à quoi que ce soit sous peine d'entrainer la ruine de toute une famille. Oui, rien que ça. Bon j'exagère un peu, mais ces deux anecdotes sont assez révélatrices du fait que la question de l'argent est centrale et omniprésente dans l'utilisation du Minitel.
Ci-dessous le deuxième épisode de notre websérie "Minitel : retour vers le 3615".
Retrouvez les cinq épisodes de la playlist.
Quand le Minitel débarque dans les foyers français, la presse s'inquiète. Le Minitel est la propriété de l'Etat qui propose des services telles que les petites annonces, des informations, la météo, des résultats sportifs, etc. Le système est donc centralisé, et "L’hégémonie de l’Etat quant à la diffusion et la centralisation de l’information via la télématique sont vivement critiquées". Les organes de presse craignent leur disparition à cause de ce nouveau média d'information qui entre en concurrence directe avec leurs activités : "Ce que redoute la presse, c’est l’effondrement de ses recettes en provenance des annonces et de la publicité dont le Minitel pourrait s’emparer. Pour se faire entendre, elle fait valoir l’importance du pluralisme et de la liberté d’expression au sein de la démocratie."
Pour répondre au tollé que provoque l'arrivée du Minitel au sein des organes de presse, la DGT (Direction générale des télécommunications) met en place le Kiosque (code 3615) en février 1984. Il s'agit d'une sorte de portail unique qui permet d'accéder à de multiples services payants. Le 3615 est surtaxé ce qui permet de rémunérer à la fois l'Etat, les éditeurs de presse et les fournisseurs de services. L'ouverture d'un 3615 est uniquement réservé à la presse puisqu'il faut "être inscrit à la commission paritaire des publications et agences de presse : la CPPAP. Autrement dit, pour devenir un opérateur officiel du Minitel, il faut être un journal". Par exemple, pour se connecter aux services de FR3 (le France 3 de l'ère néolithique), il fallait taper le code "3615FR3". Un code qui donne d'ailleurs lieu en 1994 au lapsus désormais culte de Vincent Perrot qui, alors qu'il présente une émission en direct à la télévision, appelle à voter par Minitel en utilisant "3615 Gode FR3". Fou rire garanti pour Patrice Laffont et Philipp Lavil qui étaient invités ce jour-là.
Le nouveau système du Kiosque rassure les médias et leur assure une source de revenus importante, notamment par l'intermédiaire des messageries qui génèrent un trafic colossal. Bien évidemment, des petits malins veulent leur part du gâteau et réussissent à passer outre la barrière du 3615 en créant leur propres messageries sans être réellement rattachés à un groupe de presse. Anecdote rigolote : les services du 3615 appartenaient aux organes de presse, ce qui signifie que les hôtesses / animatrices qui faisaient monter le rythme cardiaque des minitélistes sur le Minitel rose étaient titulaires d'une carte de presse et donc reconnues sous le statut de journalistes.
Pour l'utilisateur aussi, le Kiosque constitue une avancée intéressante. Le système est plus compréhensible et plus facile d'accès. Par conséquent, le Minitel se révèle plus attractif et le nombre de minitélistes explose. Dans le même temps, le nombre de services augmente aussi : "145 services sont actifs en janvier 1984, plus de 2000 au début de l’année 1986, 5.000 en 1987 et 23.000 au milieu des années 1990". La marque de fabrique du Minitel, c'est que pour accéder à ces services, il faut payer à la minute, donc plus le compteur tourne, plus la facture de téléphone s'alourdit, et plus l'Etat, les éditeurs de presse et les fournisseurs de service sont contents. Les utilisateurs, moins.
Surtout dans les cas où les pages sont lentes à s'afficher (il faut parfois plusieurs minutes pour accéder à la page requise). Certains, accro à cette nouvelle technologie, voient même leur facture augmenter de quelques dizaines de milliers d'euros. Aoutch. Seules les trois premières minutes de connexion à l'annuaire restent gratuites. Ce qui est plutôt ironique quand on sait que "Des résultats confidentiels issus des expérimentations «fuitent» fort à propos durant une bonne partie de l’année 1981 : un rapport confidentiel de la DGT est transmis à Ouest-France qui révèle que durant l’expérience de Saint-Malo, il fallait aux utilisateurs trois fois plus de temps pour trouver un numéro de téléphone dans l’annuaire électronique que dans l’annuaire papier".
Un minitel « payant » face à un internet « gratuit »
Le Minitel a pâtit de son image de média onéreux, ce qui a été accentué par l'arrivée d'Internet, qui paraissait abordable en comparaison. Mais dans les faits, ce n'est pas si simple.
Pour commencer, l'objet Minitel est distribué gratuitement "car France Télécom voit difficilement le public acheter un matériel sans savoir exactement quels services y sont disponibles". Suite au coût colossal engendré par l'installation de millions de lignes téléphoniques, l'Etat espère un retour sur investissement en poussant les Français à consommer les services du Minitel, et pour favoriser son implantation, quoi de mieux que la gratuité du terminal. Cette stratégie française est inédite et constitue une véritable atout qui "aura un rôle primordial dans le décollage des usages du Minitel en France".
Après la première version, les Minitels ne sont plus gratuits, il faut les acheter ou les louer, ce qui met un gros coup de frein à son développement sur le territoire. C'est là qu'il perd l'un de ses avantages majeurs: tout comme pour accéder à Internet (qui nécessite un ordinateur et un modem), il faut désormais payer l'équipement et non plus uniquement l'utilisation des services. Mais dans un premier temps, c'est la gratuité du terminal pour l'usager qui lui permet de rencontrer son public. Sur le Minitel, pas besoin d'abonnement, il n'y a donc pas d'engagement, contrairement à Internet. Les services sont facturés à la minute et la note transparait sur la facture de téléphone. Le Minitel mise sur une rémunération quai immédiate tandis qu'Internet mise sur une rentabilité à plus long terme. Finalement, Fannyfique résume parfaitement la situation : "le Minitel A L’AIR d’être cher, parce que tout est payant dès le départ. Alors qu’Internet A L’AIR d’être gratuit, jusqu’à ce que tout le monde l’utilise et qu’on n’ait plus qu’un seul site, ou presque, pour réserver une chambre, faire un covoiturage ou acheter un repas."
L'illusion de la gratuité d'Internet qui nuit au Minitel réside aussi dans l'utilisation des données des utilisateurs. "Si c’est gratuit, c’est toi le produit." Internet peut sembler gratuit, mais la valeur qui se monnaye sont les données récoltées à propos de l'internaute. Le produit ... c'est nous ! Pas cool. Sur le Minitel c'est tout l'inverse : d'emblée tous les services sont payants mais les données des utilisateurs sont protégées, il n'en reste aucune trace, aucun serveur ne les stocke ni ne les revend. Sur le Minitel, le produit c'est le service, pas le client.
Un Minitel difficile à exporter
"Tout le monde nous l'a envié, personne ne nous l'a acheté", un triste constat qui illustre parfaitement le destin du Minitel à l'internationale. Dans les années 1980, lorsque le Minitel est déployé, l'Hexagone est le leader mondial en matière de télécommunications et l'engin est très envié à tel point que "la France décide de le déployer dans plusieurs pays comme la Belgique, le Canada, l’Allemagne, puis aux Etats-Unis dans la baie de San Francisco…" Malheureusement, "l'Etat français se montre trop dirigiste et France Télécom se focalise sur ses propres réseaux et infrastructures et cherche à mettre en place à l’étranger un schéma identique au sien, faisant fi de la culture et des infrastructures propres à chaque pays." Le succès n'est pas au rendez-vous. Le Minitel restera une exception purement française.
Le Minitel a marqué la presse étrangère qui lui a notamment consacré des articles lorsqu'il s'est éteint le 30 juin 2012. Si le boîtier n'a pas su s'exporter, les autres pays voyaient le Minitel "avec émerveillement et admiration" selon la BBC. Malheureusement, le Minitel était vraisemblablement une invention trop française pour prendre son essor à l'internationale, puisque politiquement, "le système est né avec l'idée de faire de la France un pays indépendant, technologiquement parlant'". Difficile donc pour un tel concept de prendre racine ailleurs que dans le pays pour lequel il a spécialement été conçu.