Exceptionnellement, nous avons pénétré les endroits les plus restreints de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine : jusqu'à la piscine de refroidissement des combustibles radioactifs et dans la salle de commande du réacteur.

Avant même que je pénètre au cœur de la centrale nucléaire, franchir la porte d'entrée est déjà une aventure : vérifications d'identité, des antécédents judiciaires, franchissement d'un contrôle de sécurité aussi poussé que dans un aéroport ...

Une fois de l'autre côté des barrières, c'est une ruche qui bourdonne. Déjà par ce bruit de fond électrique semblable à celui des caténaires des trains.
Mais aussi par les centaines d'employés qui se croisent. Ce jeudi, ils sont environ 600, mais peuvent facilement être le double.

C'est une ville dans la ville, avec ses routes, ses immeubles et même sa propre police : le peleton spécialisé de protection de la gendarmerie (PSPG). Il faut dire que le site est sensible. En plus du risque nucléaire, il y a une question stratégique : la centrale fournit 40% de l'électricité de la région, et même 7% de la production nationale.
L'électricité qui sort des lignes électriques ne s'arrête d'ailleurs pas à la France. Elle peut être redistribuée dans toute l'Europe.

Heureusement que je n'ai pas peur d'enchaîner les kilomètres de marche : pour accéder au coeur de la centrale, les couloirs et les escaliers s'enchaînent dans un labyrinthe où aucune fenêtre ne donne sur l'extérieur.  En chemin, on passe dans la salle des machines de l'un des deux réacteurs du site. Le hangar a presque des airs de dessins animés avec ses couleurs multicolores qui distinguent les zones sur lesquels circuler des zones dangereuses.

la centrale fournit 40% de l'électricité de la région et même 7% de la production nationale

Il fait soudainement plus chaud et humide. Et pour cause, nous sommes à côté d'une énorme cocotte-minute qui génère de la vapeur pour faire tourner une turbine. L'une d'elles est d'ailleurs entreposée dans le hangar. Et elle donne le vertige : cet enchevêtrement de pales et de pièces métalliques fournit à lui seule l'électricité de millions de personnes.

Le centre névralgique de la centrale : la salle de commande

Après encore quelques escaliers et couloirs, la salle de commande s'offre à nous. C'est d'ici que le réacteur est piloté. L'endroit est donc hautement sensible et réglementé. Tout comme le nombre de personnes à l'intérieur. Un énorme feu rouge et vert indique si on peut y accéder. Même la directrice de la centrale nucléaire doit s'y plier et patienter pour entrer.

A l'intérieur, c'est une zone sacralisée : le calme doit y régner en permanence afin d'être en mesure de détecter la moindre anomalie. Et de l'attention, il en faut : les murs sont recouverts d'écrans, d'indicateurs, d'aiguilles, de données qui défilent.

Avec les centaines de commandes qui les entourent, les agents peuvent ouvrir une vanne ou encore démarrer une pompe. L'un des agents est uniquement dédié à l'observation : il ne fait aucune action, mais s'assure du bon déroulement des opérations.

La curiosité me démange : y a-t-il un gros bouton rouge pour arrêter le réacteur en cas d'urgence comme dans les films ? Un employé met fin au suspens : il y a bien un bouton, il est bien rouge, mais il est très discret. Il soulève le couvercle qui le protège pour me le montrer, puis le referme moins d'une seconde après. Je le comprends : en appuyant sur ce simple bouton, je pourrais causer pas mal de problèmes ...

Y a-t-il un gros bouton rouge pour arrêter le réacteur en cas d'urgence comme dans les films ?

Mon attention est attirée vers autre chose de rouge : un chiffre énorme qui défile : 1340 mégawatts. C'est la valeur de la puissance électrique qui est délivrée sur le réseau. Cela représente l'équivalent de la consommation de 1,3 million de foyers. Le deuxième réacteur en délivre autant. Ce jour-là, ils tournent à 100% de leur capacité.

L'un des plus gros défis de la centrale, c'est de produire assez d'énergie pour répondre à la demande en temps réel. Ni trop, ni pas assez. Sous peine de créer une surcharge sur le réseau ou une sous-alimentation. Dans les deux cas, le risque c'est qu'il fasse tout noir.

Parmi les écrans de la salle de commande : l'un est braqué sur un paramètre vital de la centrale : le thermomètre de la piscine de combustible radioactif. C'est la prochaine étape de notre visite.

Dosimètre et chaussettes EDF

Comme toute piscine, il y a d'abord un vestiaire. Au détail près qu'il n'y a pas de cabines pour se changer. Là encore, la sécurité y est pour quelque chose. C'est donc en sous-vêtements que notre équipe parcours les derniers couloirs.

Nous arrivons face à une petite barrière au sol d'une vingtaine de centimètres de haut. A partir de là, nous sommes en zone contrôlée. C'est-à-dire que ça devient sérieux question radioactivité.

Rien n'entre et ne sort aussi simplement de cette zone. A commencer par les vêtements : nous enlevons nos chaussons en papier, un à un, avant de franchir la petite cloison. Avant même de reposer le pied à terre côté zone contrôlée, on me demande d'enfiler une chaussette estampillée "EDF" (dans un style vintage qui aurait de la valeur sur le marché de la mode). A partir de là, tous les vêtements que j'enfile ne sortiront pas de cette zone et serons décontaminés suivant un protocole bien précis.

Après avoir revêtu une combinaison, des chaussures blanches, une charlotte, et deux couches de gants, on m'équipe d'un dosimètre, appareil qui enregistrera le dose de radioactivité à laquelle je serai exposé.

Après avoir revêtu une combinaison, des chaussures blanches, une charlotte, et deux couches de gants, on m'équipe d'un dosimètre, appareil qui enregistre la dose de radioactivité à laquelle je vais être exposé. Je commence alors à me demander si c'était vraiment une bonne idée de vouloir faire ce reportage.
Mais on me rassure très vite : la radioactivité à laquelle je serai exposée est très faible. En comparaison, lors d'une radio chez le dentiste on est exposé à 10 fois plus de radiations.

La piscine impénétrable

Sur le chemin, nous passons devant une porte qui indique "bâtiment réacteur". C'est le cœur de la centrale, la zone la plus sensible : là où a lieu la réaction nucléaire. Mais impossible d'aller plus loin, le bâtiment est inaccessible quand le réacteur est en fonctionnement.
Nous nous dirigeons donc vers le hangar qui abrite la piscine de refroidissement des combustibles usagés (le bâtiment combustible, ou BK pour les initiés). Avant d'y rentrer, il faut déposer tout objet qui n'a pas d'utilité immédiate et qui risquerait de finir au fond de l'eau, entre deux combustibles radioactifs.
Pour le reste, tout doit être sécurisé. Même mon stylo, qui me sert à prendre des notes, est accroché à moi.

Une fois la dernière porte franchie, la piscine se dévoile dans une immense salle où le plafond s'étend très haut, au-dessus de nous.
A une vingtaine de mètres de profondeur dans le bassin, on distingue les assemblages de combustibles usagés, longs de quatre mètres, qui attendent de refroidir. A l'intérieur de chaque assemblage, 264 "crayons" de combustible, avec à l'intérieur des pastilles, composées elles-mêmes d'uranium réduit en poudre noire et cuite.
Ces assemblages restent environ 3 ans à refroidir dans cette eau à 25 degrés qui contient de l'acide borique. Le bore agit pour empêcher un éventuel redémarrage d'une réaction nucléaire. Après 3 ans, les assemblages sont évacués par train en Normandie, dans l'usine de retraitement de la Hague où sont entreposés les déchets les plus radioactifs, avant l'ouverture du site de stockage de Bure.

A l'intérieur de chaque assemblage, 264 "crayons" de combustible, avec à l'intérieur des pastilles, composées elles-mêmes d'uranium réduit en poudre noire et cuite.

A leur arrivée à Nogent-Sur-Seine, les assemblages de combustibles, composés d'uranium, ne sont pas radioactifs. Ils sont d'ailleurs manipulés à la main par des agents pour vérifier leur état. Une fois introduits dans le réacteur nucléaire lors d'un arrêt de tranche, qui a lieu tous les 18 mois, ils ne seront plus jamais approchés par des humains, et ce, pendant des centaines de milliers d'années. C'est un robot qui se chargera de les extraire, les placer dans la piscine avant de les évacuer.

Contempler cette eau d'un bleu hypnotisant a quelque chose d'effrayant et de fascinant. Effrayant, car à seulement une vingtaine de mètres, cette matière radioactive pourrait tous nous irradier et nous tuer sans même la toucher. Fascinant, car derrière cette barrière d'eau, la matière radioactive a l'air inoffensive. Et pourtant elle est capable de produire de l'électricité pour des millions de personnes.
L'uranium permet de produire de l'électricité tout simplement parce qu'il chauffe. Et s'il chauffe, c'est grâce aux neutrons qui sont bombardés dessus pour créer une réaction de fission nucléaire.
Les générations futures connaîtront peut-être des réacteurs nucléaires qui fonctionnent sur le principe inverse : la fusion nucléaire, dont un projet est en cours de développement en France.

En chauffant, l'uranium élève la température de l'eau qui entoure le réacteur à 320 degrés. Grâce à plusieurs circuits d'eau, de la vapeur est créée pour faire tourner une turbine, et au bout de la chaîne de l'électricité est produite. Elle alimente directement vos plaques de cuisson, votre sèche-cheveux ou votre voiture électrique, le tout sans produire de gaz à effet de serre.
En effet, les panaches blancs qui s'échappent des tours aéroréfrigérantes des centrales nucléaires sont composées de vapeur d'eau. Les centrales nucléaires ne participent donc pas au réchauffement climatique.

Contrôles après contrôles

Une fois sorti du bâtiment combustible, le plus long reste à venir. Il faut s'assurer que nous n'avons pas subi de contamination radioactive. Le premier des quatre contrôles a lieu directement à la sortie de la salle. On utilise une sorte de combiné de téléphone qu'il faut passer lentement devant chaque partie de notre corps, par dessus les protections. Si l'aiguille s'affole, il faut s'inquiéter. Mais ce premier contrôle se passe sans encombre.

Une fois sorti du bâtiment combustible, le plus long reste a venir

Après s'être déshabillé dans les vestiaires, on doit répéter le même processus devant notre peau. Mais le pire reste a venir : pour accéder à la porte de sortie, il faut qu'une cabine automatisée accepte de nous laisser sortir. Me voilà donc, à moitié nu, collé contre une paroi froide en métal, en attendant que la voie féminine de l'appareil valide le fait que je ne sois pas radioactif. Et là encore, c'est un succès.

Au final, l'appareil que je portais au niveau de mon cœur a enregistré 0,001 millisievert  pendant ma visite. On est loin des 4,5 millisievert que reçoit naturellement chaque Français à l'année.
L'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire estime qu'à partir de 1000 millisievert , il existe un risque direct et immédiat pour la santé.

Notre matériel de tournage passé également dans une machine pour mesurer leur radiactivité

Notre matériel de tournage est passé également dans une machine pour mesurer sa radioactivité. Là encore rien à signaler. Dans le cas contraire, il aurait été considéré comme déchet radioactif. Selon le taux de radioactivité, il aurait rejoint un site d'enfouissement, tel que celui de l'Aube.

Après plusieurs heures sans voir la lumière du jour, j'atteins enfin la sortie du bâtiment où le quatrième et dernier contrôle de radioactivité m'attend. Verdict : je ne suis définitivement pas radioactif, mais j'ai mal aux pieds.

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