Le marché de Noël de Strasbourg interdit la vente de champagne, "c'est une décision imbécile"

Le comité organisant le célèbre marché de Noël de Strasbourg (Bas-Rhin) a fait grand bruit, le lundi 10 octobre, en décidant d'y interdire la vente de toute une gamme de souvenirs et de produits gastronomiques. Le champagne est concerné, au grand dam du milieu de la bouteille vert émeraude.

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Crémant ou champagne, il faut choisir. Du moins pour le comité Strasbourg capitale de Noël (Bas-Rhin), qui a décidé que le vin effervescent alsacien sera le seul à pouvoir être vendu sur les étals des chalets du marché de Noël strasbourgeois.

Stupeur et incompréhension  dans le milieu du champagne. Et même colère, en ce qui concerne Maxime Toubart, gérant de la maison éponyme à Le Breuil (Marne), président du Syndicat général des vignerons de la Champagne (CGVC), et co-président du Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC, ou Comité Champagne). Il pense auprès de France 3 Champagne-Ardenne que "c'est petit, que les consommateurs de Strasbourg sont les premiers pénalisés; que c'est une décision imbécile, très bête."

La crainte d'un "repli sur soi"

"C'est dommage. Parce que si chacun se referme sur soi-même, on risque de tous le faire. Et ce n'est pas bon pour la diversité. Les marchés de Noël permettent d'avoir une diversité de produits, que ce soit de Champagne ou d'autres régions. À travers un produit, on a une région, on a un territoire. " Il souligne d'ailleurs que le marché de Noël de Reims (Marne) propose du crémant d'Alsace.  

Les marchés de Noël permettent d'avoir une diversité de produits.

Maxime Toubart, co-président du Comité Champagne

Il n'a pas les chiffres précis pour les ventes de champagne au Christkindelsmärik (nom traditionnel du marché de Noël strasbourgeois), mais songe que ce n'est pas négligeable, "parce que c'est un marché important. Il y a beaucoup de touristes. En plus, Noël, c'est un moment important pour les ventes de champagne. Et encore en plus, on est de la même région. Imaginez l'ambiance dans la grande région. Je trouve que c'est très maladroit."

"On est en colère. Et il est évident qu'on réfléchit à ce qu'on va faire. Signifier notre incompréhension. Et entrer en contact pour expliquer qu'on n'est pas d'accord." Il garde espoir que cette "décision scandaleuse" soit amendée. 

L'"indispensable" des fêtes de fin d'année

Sans surprise, même son de cloche pour David Chatillon. Il préside l'Union des maisons de champagne (UMC). "J'en suis absolument désolé pour les visiteurs du marché de Noël de Strasbourg, qui n'auront pas l'occasion de boire du champagne : boisson de la fête par excellence." Quasi-indispensable.

Il s'inscrit en faux contre cette décision. "Jamais on ne demandera une telle interdiction à l'égard des vins d'Alsace sur les marchés de Noël en Champagne." David Chatillon est également l'autre co-président du Comité Champagne, lequel est logiquement basé à Épernay (Marne), capitale du champagne (localisation sur la carte ci-dessous).


Du côté de la maison de champagne Coche, basée sur le hameau de Chavenay, à Dormans (Marne), on ne comprend pas non plus. "On ne participe pas au marché de Noël de Strasbourg. Mais je trouve que ce n'est pas normal. La façon dont c'est présenté, on a des sous-entendus pas très corrects."

Il est vrai que le prestigieux champagne se retrouve frappé d'interdit au même titre qu'un ensemble particulièrement hétéroclite composé de tartiflette, de parapluies et ponchos, et même d'"articles de Noël pour chiens et chats". Par contre, cendriers et tapis de souris sont autorisés "sous réserve qu'ils répondent aux critères de l'esprit de Noël". Notre estimé collègue Flavien Gagnepain, journaliste à France 3 Alsace, a publié la liste complète ici.

"Il n'y a que notre région qui fait du champagne", ajoute-t-on chez la maison Coche. "Est-ce pour privilégier les produits locaux ?" Certes, c'est l'une des raisons avancées. "Le champagne n'est pas un produit local, mais ça reste un produit artisanal, régional. Ils sont quand même avec nous au niveau de la région. C'est quand même une grosse surprise, et bizarre : le champagne, c'est festif, et renommé pour les fêtes de fin d'année." 

Le pari alsacien de l'"authenticité" et de la "concertation"

Sommé de s'expliquer, Guillaume Libsig, adjoint (EELV) de la maire de Strasbourg en charge de l'évènementiel et de la vie associative, a tenté de déminer le terrain. "Soyons d'accord, c'est au sein des exposants de Strasbourg capitale de Noël. Il s'agit d'une opération qui, au fil des années, s'est fait reprocher d'être un supermarché à ciel ouvert et un parc d'attractions. Un endroit où il n'y a pas les valeurs de Noël ou les marqueurs du terroir traditionnel alsacien." 

"Nous, on a donc l'obligation de mettre en place un travail sur l'authenticité. On est sur une volonté de développement des produits locaux 100% Alsace. À titre personnel, j'aime les deux, je consomme et me réjouis qu'on puisse acheter du champagne partout toute l'année. Dans tous les commerces de Strasbourg, le champagne coule à flot, il n'y a aucun souci avec ça, bien au contraire. Par contre, dans les chalets de Strasbourg capitale de Noël, pour qu'on soit cohérent avec les attentes du public pour cette notion d'authenticité, il nous faut axer vraiment sur les produits du terroir alsacien avant tout. On est donc crémant pendant quatre semaines, plutôt que champagne." (lire aussi sa publication Facebook ci-dessous)


En voulant "réaffirmer cette identité authentique" qu'elle juge nécessaire, la mairie écologiste actuelle se place dans les pas de la précédente, qui avait déjà déclenché une polémique en interdisant les churros, "parce que ça n'a rien à voir avec Noël. Quand les touristes arrivent et voient des produits qu'ils peuvent trouver partout toute l'année, il y a une déception, un sentiment de rejet. L'évènement, en perte de fréquentation, était questionné." Pour y remédier, l'adjoint évoque "deux calendriers. On a le calendrier annuel de réalisation de chaque édition. Et on a le calendrier de transformation globale. Là, on sait que le marché ouvre dans six semaines, que les stocks des commerçants sont faits et qu'ils doivent bosser."

"On veut remettre la notion d'authenticité au coeur des débats, et cette liste, qui vient d'être partagée avec les commerçants, y participe. Elle va nous permettre d'aller à leur rencontre pendant l'édition 2022 : pour discuter du bien-fondé, de la cohérence de la présence de certains produits ou non dans la capitale des marchés traditionnels alsaciens. Ensuite, la décision de la commission sera rendue définitive au premier trimestre 2023 suite à ces discussions. Si on ne l'avait pas fait, on aurait encore pris un ou deux ans dans les dents : maintenant, il faut qu'on avance."

La question du territoire du Grand Est est intéressante : quelle est la frontière de l'authentique ? On sait que la grande région est attachée à ses marchés de Noël.

Guillaume Libsig, adjoint de la maire de Strasbourg

Guillaume Libsig n'omet pas de préciser que la liste tant décriée a été élaborée en concertation avec  "une commission qui est mixte : il y a la CCI [chambre de commerce et d'industrie; ndlr] et la CMA [chambre des métiers d'Alsace; ndlr], les exposants, les hôteliers-restaurateurs, les Vitrines de Strasbourg... Il y a cinq élus, mais dix personnes ne sont pas de la [mairie] de Strasbourg et décident avec nous." Le champagne semble donc bien parti pour rester proscrit, "même si la question du territoire du Grand Est est intéressante : quelle est la frontière de l'authentique ? On sait que la grande région est attachée à ses marchés de Noël." Il faudra sans doute attendre début 2023 pour savoir si son bannissement est irrévocable et définitif.

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