Il fait très doux pour un mois d'octobre. Si les êtres humains peuvent s'en satisfaire en sortant sans mettre de pull, il peut en être autrement pour la faune et ses cycles naturels. Réponse avec la Ligue de protection des oiseaux (LPO) de Champagne-Ardenne.
Cela ne vous aura pas échappé, ce mois d'octobre 2022 est plutôt inhabituel. Il fait fort doux, voire chaud. Au point que certains arbres rebourgeonnent.
Des gens peuvent apprécier de bénéficier de températures clémentes lorsqu'ils sortent. Mais pour les personnes amies des animaux, régis par des cycles naturels très délicats, il peut y avoir des inquiétudes.
C'est le cas d'Aurélien Deschatres Il s'agit d'un responsable d'équipe à la Ligue de protection des oiseaux (LPO) de Champagne-Ardenne, interrogé par France 3 Champagne-Ardenne.
Les oiseaux migrateurs migreront bien
Quel est l'impact de ces températures sur la faune ?
"Forcément, ça a un impact. Il faudrait faire des études précises, ce qui n'est pas le cas... Mais c'est sûr qu'en tout cas, ce qu'on observe déjà, c'est que la migration a quand même lieu. Si l'on prend les espèces comme la grue, qui migre en ce moment, cette migration se passe de façon normale. On pourrait se demander rapidement : mais s'il fait chaud, pourquoi elles viennent ?"
"En fait, la migration n'est pas déclenchée que par les conditions météo. Elle est déclenchée par d'autres paramètres qui ne changent pas, comme la nourriture ou la durée du jour [ils raccourcissent même s'il ne fait pas froid; ndlr]. Par exemple, [la] Scandinavie où nichent les grues, même si j'ignore si la vague de chaleur s'y propage comme chez nous. Les jours sont devenus trop courts pour qu'elles puissent s'y nourrir efficacement. Elles migrent chez nous [par exemple au lac du Der; ndlr], même si les températures ne sont pas froides."
"Il y a donc des insectes, peut-être des plantes qui fleurissent, bref : des choses à manger. C'est sûr que ça peut jouer sur les migrations, mais à la marge. Pour le moment, cela simplifie la vie des animaux puisqu'ils ont de la nourriture, et ils ont moins besoin de lutter contre le froid. [Donc] c'est plutôt bénéfique pour certaines espèces."
Avez-vous un exemple, outre les grues ?
"En Champagne, on observe des espèces de papillons qui, souvent en cette saison, ont déjà disparu. Puisqu'ils disparaissent avec l'arrivée de l'automne, et les températures plus fraîches. Là, ces espèces qui se maintiennent un peu, [on voit que] leur période de présence est décalée vers l'automne. Les premières gelées finiront par les faire disparaître. Ils passent l'hiver sous une autre forme : en chenille, en oeuf... Et réapparaissent au printemps suivant."
"Les étourneaux, eux, ont déjà formé leurs dortoirs d'hiver [donc gare à votre voiture; ndlr]. On nous a déjà appelé à ce sujet il y a plusieurs semaines. Les couples d'étourneaux élèvent leurs jeunes à la belle saison, et dès que l'automne arrive, tous les jeunes et les adultes se regroupent. Ça fait des grands paquets d'étourneaux. Ces dortoirs hivernaux se sont formés en ville malgré les températures, même si le temps est correct. Cela n'entraîne donc pas des modifications significatives."
C'est la flore qui est contente
Qu'en est-il des amours des animaux ?
"C'est vrai que cette période dure un peu... Qu'on ait des douceurs comme ça en octobre, ça arrive. Là, ce qui est remarquable, c'est la durée. C'est vraiment très long. Mais ce n'est pas suffisant pour que les animaux reprennent une reproduction. Ils ne se réunissent pas à cette époque-là. C'est sûr qu'on entend les oiseaux chanter, mais ils ne vont pas faire leur nid. Ça ne perturbe pas les cycles naturels des espèces à ce point-là."
Qu'avez-vous remarqué d'autre ?
"Je pense que les modifications les plus significatives se font au niveau de la végétation. C'est vrai qu'on voit certains arbustes refleurir, le prunelier par exemple. Ce qui est très inhabituel. Dans le monde agricole, on a aussi vu des fraises, des choses comme ça, qui arrivent à reformer des fruits en cette saison. C'est remarquable."
"Dans le secteur du lac du Der, j'ai vu que des agriculteurs viennent de faucher les prairies. Ils profitent de cette repousse automnale. Ils en profitent vu qu'ils ont eu des temps difficiles avec les sécheresses. Ils récupèrent ainsi bien peu de fourrage, ça ne va pas suffire à compenser, mais c'est déjà pas mal. Ça s'appelle du regain."
Au-delà du soleil, des inquiétudes
Que pensez-vous de cette situation particulière ?
"Après, si on prend la chose avec le réchauffement climatique, ça nous inquiète en tant que naturalistes. Forcément, ça fait des perturbations, et elles se multiplient. Un coup c'est la sécheresse, après c'est les orages très violents qui détruisent des nichées, ou des coups de chaleur qui poussent les jeunes à quitter les nids alors qu'ils ne sont pas du tout en âge de le faire... Il y a énormément de perturbations sur la faune liées au changement climatique. Et il est clair que même s'il peut apporter quelques côtés positifs pour nous - agréables économies de chauffage - ou la faune - conditions plus favorables localement - il faut voir le côté négatif."
"Il ne vaut mieux pas jouer avec le climat, car ça va avoir des impacts très importants, plutôt négatifs, sur la biodiversité. Comment allons nous adapter ? C'est une première question importante. Mais si la biodiversité ne sait pas s'adapter à ces modifications rapides, même plus rapides que ce que les modèles prévoyaient, alors cela devient inquiétant... Une étude vient de sortir : l'état du climat tel qu'il est en 2022 en Europe était pourtant prévu dans des projections à beaucoup plus long terme. Est-ce que la biodiversité va pouvoir s'adapter ? Certaines espèces, probablement. Mais d'autres, non."