Cette semaine est marquée par l'un des événements de l'année au lac du Der : l'arrivée des grues cendrées. Ce samedi, le premier comptage de ces oiseaux migrateurs a été effectué. Pour tout savoir des enjeux de cette opération, nous avons posé cinq questions à la Ligue de protection des oiseaux.
Chaque année, elles nous donnent rendez-vous. Un rendez-vous dont la date demeure incertaine jusqu'au dernier moment. Sans doute est-ce là que réside le charme des grues cendrées. Quand vient l'automne, elles déployent majestueusement leurs ailes au-dessus du lac du Der et charrient un tas d'interrogations : cette fois-ci, combien seront-elles ? Est-ce beaucoup ? Est-ce trop peu ? Pourquoi certaines restent-elles ? Et où vont donc les autres ? Autant de questions auxquelles la Ligue de protection des oiseaux (LPO) de Champagne-Ardenne est chargée de répondre. Le premier comptage de l'automne est un temps fort pour l'association. Il vient confirmer, à travers des chiffres, la grande migration, et marque le début l'hivernage. Pour comprendre les enjeux de cette opération, nous avons posé cinq questions à Aurélien Deschatres, responsable de mission auprès des grues cendrées.
Pourquoi effectuer un comptage des grues cendrées ?
Les chiffres que nous recueillons sont importants à plusieurs titres. D'abord, le comptage nous permet d'avoir un suivi de l'espèce, de mieux connaître son évolution. Nous savons aujourd'hui qu'environ 400 000 grues cendrées traversent le territoire français durant l'hiver. Leur nombre augmente depuis 1967, date à laquelle ces oiseaux sont devenus une espèce protégée. Depuis, ils ne peuvent plus être chassés. Ensuite, les statistiques sont mises à la disposition du public, qui en est très friand ! Sur notre site internet, la page actualisée au jour le jour est très visitée par les passionnés, les photographes et les touristes, qui scrutent le nombre de grues cendrées pour savoir si cela vaut le coup de venir au lac du Der.
Quels sont les chiffres de cette année et comment les interpréter ?
Ce samedi matin, nous avons compté 46 230 grues cendrées sur le lac. C'est un record pour un 12 octobre. D'habitude, ces proportions sont enregistrées vers le 20 octobre. Cette précocité s'explique par les températures printanières et l'ensoleillement : elles ne voyagent que par beau temps. Comme il fait doux, elles se disent : "On y va !" Elles passent par l'Allemagne et nos amis allemands nous avaient prévenus qu'elles affluaient déjà.
"Ils ne migrent pas pour trouver de la chaleur, mais de la lumière !"
En fait, ces oiseaux viennent de Scandinavie, et contrairement à ce que les gens pensent, ils ne migrent pas pour trouver de la chaleur, mais de la lumière ! Les grues cendrées s'alimentent exclusivement le jour : elles doivent trouver 400 grammes de nourriture au quotidien, des baies, des racines, des jeunes pousses, mais aussi des mollusques ou des vers de terre. Or, quand l'automne arrive, les journées trop courtes dans le Nord de l'Europe. C'est un cliché de penser qu'elles fuient le froid.
Comment procédez-vous au comptage ?
Entre octobre et mars, une équipe d'une dizaine de bénévoles de la LPO Champagne-Ardenne se rend au lac tous les dimanches. Exceptionnellement, le comptage a débuté ce samedi matin. Pour couvrir les 4 800 hectares du site, ils sont positionnés à plusieurs kilomètres les uns des autres : chaque personne est postée sur un point de comptage et se voit attribuer une portion de ciel (en général, on détermine une portion grâce à des éléments du paysage, comme des lignes d'arbres). À l'aube, les grues s'envolent pour aller se nourrir. Ce samedi matin, le soleil s'est levé vers 7h20 et le ciel était clair. Elles passent au-dessus des bénévoles et vont toutes dans le même sens, ce qui facilite la précision du dénombrement et permet de ne pas relever plusieurs fois un même oiseau. Quand chaque portion est comptabilisée, on fait l'addition.
Pourquoi certaines grues cendrées restent au lac du Der alors que d'autres partent vers le sud ?
En raison de la nourriture, tout simplement. Si elles demeuraient toutes au même endroit, il n'y aurait pas à manger pour tout le monde. La population s'étale. Sur les 400 000 grues cendrées qui traversent la France, environ 20 000 choisissent le lac du Der pour hiverner plusieurs mois d'affilée. Les autres se rendent dans le centre du pays, en Aquitaine et en Espagne.
"Les petits, plus tard, reprennent les habitudes de leurs parents"
D'ailleurs, on observe que les petits, plus tard, reprennent les habitudes de leurs parents. Un peu comme chez nous, les humains : quand notre famille nous habitue à un camping ou à un lieu de vacances précis pour l'été, on y revient toujours. Eh bien, pour les grues, c'est la même chose. Les plus vieux apprennent la route aux plus jeunes, et ces derniers reproduisent le comportement. Nous avons pu le constater car beaucoup d'oiseaux sont bagués et suivis.
Quels dangers pèsent aujourd'hui sur l'espèce ?
Le nombre de jeunes grues cendrées diminue. Ce phénomène nous inquiète. Cette année, les oiseaux âgés de moins de quatre ans constituent moins de 5% de la population. Ces volatiles vivent une grande partie de l'année dans le Nord de l'Europe. Or, cette zone est régulièrement touchée par des périodes de sécheresse. Les nids, notamment dans les marais, sont moins entourés d'eau, donc moins à l'abri des prédateurs. Les œufs et les poussins, vulnérables, sont attaqués plus facilement par les renards polaires, par exemple. Les sangliers aussi saccagent parfois les nids. À long terme, si cette tendance se confirme, cela entraînerait un déclin de l'espèce.