Deux soignants, en première ligne face à l’épidémie de coronavirus en Champagne-Ardenne ont accepté de témoigner sous couvert d’anonymat. Conditions de travail difficiles, manque de personnel et de matériel. Ils redoutent de ne pouvoir faire face. Témoignages.
« J’ai été testé positif au Covid-19 et j’ai donc basculé de soignant à patient et dans un coin de ma tête, je me dis que désormais j’ai un risque potentiel d’y passer », se confie Marc (son prénom a été modifié). Il travaille au plus près des malades et des cas potentiels. « On nous a envoyés à la guerre, sans moyen ! Ils étaient au courant, ils le savaient, c’est pour ça que je parle aujourd’hui, on nous a menti », s’insurge-t-il.Petit à petit, la parole se libère. Depuis le début de l’épidémie de coronavirus en France, le personnel soignant est en première ligne pour combattre sa propagation. Mais des voix s’élèvent pour dénoncer un contexte de travail difficile. Chaque jour, beaucoup d’entre eux vont travailler « la peur au ventre ».
Ils redoutent, au-delà de contracter le virus, de ne pouvoir soigner tout le monde si la propagation s’intensifie. Deux soignants ont décidé de braver leur devoir de réserve pour nous raconter ce quotidien éprouvant. « On a peur de contracter le virus, explique cet autre soignant en réanimation. Au début de l’épidémie on portait des combinaisons. Maintenant, on nous donne des sur-blouses et on nous explique que c’est suffisant pour se protéger. Mais c’est faux », ajoute-t-il.
Le nerf de la guerre : le manque d'équipement
Le manque de masques, d’équipements, il est là le nerf de la guerre pour les médecins, les infirmiers, les ambulanciers… L'Etat a annoncé cette semaine avoir commandé 250 millions de masques mais cela pourrait ne pas suffire selon la Confédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF).A Reims, Charleville-Mézières et même Mulhouse, des lits de réanimation ont été ouverts et les actes médicaux non essentiels ont été reportés. Une mesure positive pour Marc mais loin d’être suffisante : « C’est bien beau de créer des lits de réanimation mais vous allez mettre qui devant ces lits ? Des infirmières qui viennent des services de chirurgie ? Il y a des actes que ce personnel est incapable de réaliser », peste le soignant. « Tous les jours, on se bat pour prendre en charge correctement nos patients et ce n’est pas possible. C’est un cercle vicieux, les soignants sont épuisés, nous explique Philippe (son prénom a été modifié).
«On se retrouve face à un précipice avec des choix à faire et ils sont loin d’être évidents. Il y a des gens qui vont décéder à cause de l’orgueil d’un gouvernement qui a pris cette épidémie trop à la légère. Mais, vous savez, la crise du milieu hospitalier ne date pas d’hier. Cela fait des mois que l’on est en grève mais personne ne nous écoute et maintenant, on se retrouve au pied du mur ».
On est en train de tomber un par un, on travaille à flux tendu. Comment on va faire ?
Il y a un an, des infirmières du CHU de Reims témoignaient déjà de ces conditions de travail difficiles. Sous couvert d’anonymat, elles racontaient des services sous tension et dépassés.
Un crise qui ne date pas d'hier
« Cela fait 6 mois que nous sommes en grève, que l’on réclame des moyens supplémentaires mais, régulièrement, des lits sont fermés dans tous les services, explique Philippe. C’est un appel au secours et personne ne nous a jamais entendus, ni les gouvernements successifs, ni la population. Nous avions prévenu qu’en cas de pandémie on ne serait pas capables de faire face et malheureusement, le jour est arrivé. »« On se serre les coudes. Les soignants, c’est une grande famille. On a de l’empathie pour nos patients mais on en n’attend plus de notre direction, vous vous rendez compte ? J’ai été testé positif (au Covid-19 ndlr) et aucun de mes directeurs n’a pensé à prendre de mes nouvelles, même ça, ils ne sont pas capables d’y penser », relève Marc, désormais confinés à son domicile.
Il y a encore deux mois de ça, on nous disait que la France était capable de contenir cette épidémie et d’y faire face mais c’est la fuite en avant, on n’est pas prêts. Et on dit le contraire pour éviter de faire peur à la population mais nous, on voit ce qui se passe de l’intérieur.
Depuis le début de la crise sanitaire en France et de la mise en place du confinement qui touche toute la population, plusieurs médecins réclament un durcissement de ces mesures pour endiguer la propagation de l’épidémie. Ils souhaitent un confinement total. Hier, dimanche 22 mars, le Conseil d’Etat a mis en place un état d’urgence sanitaire mais rejeté l’idée d’un confinement total.
« C’est complètement incohérent. On demande à la population de se confiner mais on ne peut même pas appliquer ces mesures dans le milieu hospitalier au risque de contaminer les soignants. Un soignant malade, c’est un soignant absent et donc une chance de survie en moins pour un patient », s’énerve Philippe.
Vers un manque de lits en Champagne-Ardenne ?
A Reims, le CHU a ouvert de nouveaux lits pour accueillir les patients atteints du coronavirus toujours de plus en plus nombreux. La polyclinique Courlancy de Bezannes en a même accueillis pour éviter la surcharge de l’hôpital public mais pour les deux soignants que nous avons interrogé « on va droit vers un manque de lits en réanimation sur la Champagne-Ardenne ».On a cru quoi ? Que le virus allait s’arrêter à la frontière comme le nuage de Tchernobyl ?
« Si l’afflux augmente, ce sera de la médecine de guerre et il faudra faire des choix » s’inquiète l’un d’eux. « Il faut crier la vérité et raconter ce qu’il se passe vraiment. J’espère que cela aidera la population française à en prendre conscience. Puis on demandera à nos élus, à nos responsables et nos directeurs d’établissements pour qui nous ne sommes que des matricules de rendre des comptes. Ils auront des comptes à nous rendre. » déplore Marc.
« Ce qui se passe dans les autres pays, cela va arriver chez nous. La France voit arriver cette crise après d’autres mais les mesures de confinement sont arrivées trop tard. On a cru quoi ? Que le virus allait s’arrêter à la frontière comme le nuage de Tchernobyl ?», ironise Marc. « Non, ce qui se passe en Italie va arriver chez nous. On est sur les mêmes courbes. »