Le confinement vu par Christine Ferber, la fée des confitures: "Je voulais l'accompagner, caresser sa main, impossible"

Les confitures et chocolats de Christine Ferber sont plébiscités partout, Paris, Tokyo, en ligne. Mais son port d’attache reste l’Alsace, où elle est confinée pendant l'épidémie. Sa maman est décédée début mars, mais impossible de l'accompagner jusqu’au bout. 

 

Christine Ferber fait partie des personnalités alsaciennes, connues bien au-delà des frontières de la région. Ses confitures et chocolats ont du succès à Paris, en Europe, à Tokyo, à New York et dans sa boutique en ligne. Ce sont de grands chefs et noms de la pâtisserie, des enseignes réputées, de nombreuses épiceries qui revendent ses productions, en France et en Europe. A Taïwan, elle livre directement un propriétaire de boutiques, à New-York, c'est un grand chef qui met les produits de Christine en lumière, dans son épicerie fine. 

Son port d’attache reste cependant l'Alsace, où elle se trouve pendant cette période de confinement. Pour elle et sa famille, comme pour beaucoup de personnes en ce moment, la situation est encore plus douloureuse, car elle a perdu un être cher, sa maman. Quand les mots d'ordre sont "distance de sécurité, gestes barrières, pas d'embrassade", un deuil est d'autant plus difficile à supporter. "Notre maman est décédée le dimanche 8 mars au petit matin. Maman avait 85 ans et s’affaiblissait de semaine en semaine, nous sommes très tristes. Nous allions, depuis de nombreuses années, passer toutes les fins d’après-midi auprès d’elle, et lui donnions son dîner. Mais depuis le jeudi précédent, ils avaient fermé la résidence où elle vivait, par prévention, en raison du coronavirus, et nous ne pouvions plus la voir, ni lui parler. Elle est partie seule, peut-être en pensant être abandonnée, alors que nous souhaitions surtout la soutenir jusqu’aux derniers moments, avant son départ pour l’autre vie. Nous sommes très tristes. Elle avait toujours tant d’angoisses et je souhaitais plus que tout l’accompagner jusqu’au bout, lui caresser les bras et lui tenir la main. Je n’ai pu le faire..."
 
Christine fait partie d'une fratrie : "Nous sommes tous les trois très liés, très proches. On travaille ensemble tous les jours. Nous avons racheté les parts de notre papa, à égalité. Mon frère Bruno travaille avec moi depuis 1999, il a onze ans de moins que moi, il est traiteur et depuis le confinement il livre les repas à domicile, ma soeur Elisabeth a deux ans de moins que moi et travaille à mes côtés depuis 1989. D'ailleurs mon père rêvait que ses trois enfants travaillent ensemble et ça s'est fait." 

"A quatorze ans je me sentais déjà pâtissière et je pensais que je n'avais plus rien à apprendre. Je réfléchissais au métier que je pourrais exercer par la suite pour voyager. Mon père m'a dit qu'en étant pâtissière, je pourrais voyager. J'ai fais ma formation à Bruxelles, puis j'ai passé un an à Paris et je suis revenue à la maison. Depuis je suis dans l'entreprise familiale. J'avais dit à ma soeur à l'époque que je ferai les plus beaux gâteaux du monde et qu'ainsi les voyages viendraient à moi. C'est ce qui s'est passé. On me sollicite à travers le monde pour des expositions, des conseils, à New-Dehli en Inde, par exemple, et plusieurs villes au Japon." 

 

 

En quelques jours, toute l'activité s'est arrêtée

"Le samedi avant l'annonce du confinement, j'ai été livrée de 1800 kg de fruits exotiques bio. Pendant toute la première semaine de confinement, nous avons donc tous travaillé à la pré-cuisson de ces agrumes. Nous avons tout découpé en petits cubes ou en rondelles. Il y avait des cédrats, des oranges, des citrons, du kumquat, des mandarines et quand nous avions terminé au bout de cette semaine, tous les restaurants et grands hôtels et les épiceries qui nous passent commande d'habitude, avaient fermé et l'export s'était arrêté aussi. La vente des confitures en boutiques s'est arrêtée."

"Nous livrions de nombreux grands hôtels et restaurants et des épiceries fines, qui sont tous fermés désormais ."
-Christine Ferber, créatrice de confitures et de chocolats

"A la fin de cette semaine de travail des confitures, nous avions mis une partie des fruits en pots, et une partie en macération au réfrigérateur, après une précuisson. Nous avions sauvé les presque deux tonnes de fruits, mais comme tout était fermé, il a fallu mettre une dizaine de personnes en chômage partiel. Pour maintenir un peu d'activités, nous avons décidé de faire de la vente par correspondance et nous avons décidé de proposer des repas du jour, que nous livrons à présent à domicile."

Mais Christine Ferber est aussi maître chocolatier. En 2015, elle a fait construire une chocolaterie à l'entrée du village. Pour séparer la confection des confitures et des chocolats. "Une chocolaterie était nécessaire, car pour travailler le chocolat, il faut des températures particulières, une ambiance avec un taux d'humidité précis. Comme ça, toutes les conditions sont réunies." explique-t-elle. "Nous y travaillons nos moulages, fabriquons nos ganaches et élaborons nos recettes. Mais cette année la production de Pâques s'est élevée à peine à 30% de la production habituelle."


"J'ai commencé la production, des lièvres, œufs et poules en chocolat, trois semaines avant Pâques. C'est un peu juste, mais j'aime être dans l'instant et c'est aussi une question de fraîcheur de nos chocolats. Le choix de mettre ce chocolat en œuvre si tardivement fut une chance, car de nombreux collègues, ayant fermé leurs boutiques, refondent déjà une partie de leurs chocolats. Nous espérions pouvoir gâter nos clients lors de la semaine de Pâques et ils nous ont passé de nombreuses commandes Nous n'avons jamais manqué de courage ni d'espoir ; nous avons rendu des gens heureux et sommes heureux pour cela. Dans notre activité de commerce de campagne, nous avons de tout temps, été habitués à rendre service."
 

Rester ouvert pour garder un peu de vie dans le village

Aujourd'hui, dans son village natale de Niedermorschwihr (Haut-Rhin), la boutique de Christine Ferber "Au relais des Trois-Epis"est le seul commerce de toute la commune. Elle fait d’ailleurs boulangerie-pâtisserie-traiteur et épicerie. La légende veut que Brad Pitt, himself, (en personne) serait venu acheter des confitures chez la fée Christine. Mais pas pendant ce confinement bien sûr. "En ce moment nous maintenons la boutique ouverte, pour rendre service et par respect à notre clientèle. Etant un commerce de proximité, nous avons choisi de laisser notre maison ouverte, mais nous travaillons au ralenti. Nous faisons 15% de notre chiffre d'affaires habituel. Nous avons fait ce choix pour maintenir la vie dans notre maison et dans le village. Nous avons tout de même dû mettre dix personnes au chômage partiel."
 

La boutique, comme revenue dans le passé, a changé de rythme 

"A cause du confinement, les habitants du village sont revenus chez nous, plus autant pour les confitures, mais pour l'épicérie que nous avons toujours conservée. Elle ne représente plus que 2% de notre activité en temps normal, mais là, tout à coup, les gens reviennent pour ça. Ils viennent acheter des produits de première nécessité, du shampoing, du papier toilette, de la farine, des oeufs, du lait, du sucre. Tout le monde cuisine et mange de nouveau à la maison. Ça m'a ramenée de nombreuses années en arrière, dans l'épicerie-boulangerie-mercerie de mes parents. Une époque où on laissait du temps au temps. Cette semaine-là, nous avons compris que nous aurions de la demande pour des menus du jour. Alors, nous nous y sommes mis. Les commandes ont afflué. Nous avons commencé à livrer des menus avec entrée, plat et dessert."
 
 
"Ce confinement a des conséquences innattendues. Quand les gens viennent, ils ne sont plus pressés. Le rythme a changé, il est plus lent, plus doux. Ceux qui peuvent sortir de chez eux sont heureux de venir, car c'est le seule sortie du jour. Nous revoyons des personnes qui n'allaient plus qu'en grande surface. Des inconnus même et des personnes qui font des courses pour leurs voisins. Aujourd'hui, on fait de nouveau attention aux autres."

"André Vesper, un ami horticulteur qui a dû fermer son entreprise, nous apporte tous les vendredis 60 à 70 bouquets de fleurs. La production est là, mais il ne peut pas vendre. Alors il offre les fleurs. Les gens peuvent se servir, mais nous avons fabriqué nous-mêmes une tirelire en carton, où nous invitons les clients à mettre une pièce. Et à la fin de chaque semaine, nous lui remettons le contenu. "

 
 

Son dernier grand voyage, c'était à Tokyo, au salon du chocolat 

Celle que l’on surnomme la "fée des confitures" est connue jusqu'au Japon, où elle se rend régulièrement, invitée dans différentes grandes villes du pays. Son dernier voyage à Tokyo date de février 2020. "Ce salon du chocolat a eu lieu entre le 20 janvier et début février. Là-bas on ne se rendait compte de rien, mais en Chine ça commençait à vasciller au niveau du commerce. Nous, on se tenait encore tous près les uns des autres, on se serrait la main. J'aurais pu attrapper ce virus, on était pas averti de sa dangerosité à ce moment-là. Nous avons été alarmés après être rentrés, vers la mi-février quand on a commencé à en parler en Italie. Depuis que nous sommes nous-même tellement touchés en Alsace, nous offrons, chaque semaine, des gâteaux à ceux qui nous sauvent, au péril de leur vie, dans les hôpitaux." 

 
 

Les conseils « culture » de Christine pour mieux vivre le confinement :


-Un livre :  Soie de Alessandro Barrico. 

-Un film : Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet 

-Une série/émission télévisée : Thalassa 

-Un disque /une musique : Les quatres saisons de Antonio Vivaldi 

-Un compte à suivre sur les réseaux sociaux : Je n'ai pas de compte Facebook, ni Twitter, mais je consulte les blogs et comptes de cuisiniers et journalistes gastronomiques. C'est très interessant de voir leurs publications. 


Pour nous, pour vous, ce texte de Christine Ferber

"Le rythme de ma vie s’est ralenti comme au temps de mon enfance, lorsque mes parents exploitaient simplement la petite épicerie-boulangerie de mon village. C’était alors un commerce de service, de proximité et, déjà, de création à travers la passion de mon père.

À l’époque, peu de gens avaient une voiture, on ne voyageait pas beaucoup. Être chez soi était un art de vivre. Les gens travaillaient leur jardin au fil des saisons, brisaient des noix et jouaient aux cartes en hiver, confectionnaient des confitures et des conserves en été…

Ils passaient du temps assis sur un banc de pierre devant leur maison et observaient le monde autour d’eux. Les grands-mères conversaient, tricotaient.

Souvent, maman me rappelait les moments où elle déposait le landau devant la maison du voisin pour que je puisse profiter du doux soleil de l’après-midi.

La vie s’écoulait à un rythme plus simple. Le temps avait alors une autre valeur, on s’accordait plus d’attention et on se contentait de peu.

Au travers de ce confinement indispensable pour protéger nos vies, je retrouve ce village au repos.

J’apprécie le silence de la nature, je vois une lumière plus vive sur nos coteaux de vignes. Par moment, dans la rue, je n’entends plus que le chant des oiseaux.

La nature retrouve une forme de liberté. Les cerfs et les chevreuils s’approchent de plus en plus de nos maisons…

Chaque matin à 5h30, j’ai le plaisir de retourner dans mes ateliers de fabrication. Dans la douceur du petit matin, je respire le parfum des glycines et des lilas.

Je retrouve bon nombre de mes employés. Nous avons la chance, pour le moment, d’être tous en bonne santé, de pouvoir composer dans un monde de gourmandises, de pouvoir créer et offrir.

Je rentre un peu plus tôt chaque soir. Les couleurs des fleurs de mon petit jardin me ressourcent. Là, je rêve et je remercie tous ceux aujourd’hui qui œuvrent pour sauver nos vies.

Au-delà de la nostalgie, ces moments de vie me donnent l’espoir d’un retour à des valeurs plus simples de partage, de solidarité et de générosité."  
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