Le confinement vu par Pierre Mann, cinéaste animalier : "On fait tout ce qu'on ne fait pas quand on est en voyage"

Pierre Mann est probablement un des cinéastes animaliers qui a tourné le plus grand nombre de bobines de films sur les fauves, les ours blancs ou noirs, les singes et les peuples menacés du monde. Habitué à être absent la moitié de l'année, il fait maintenant ce qu'il ne fait pas le reste du temps.

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En mars, Pierre Mann, devait partir en Afrique orientale avec son épouse Sabine Trensz, photographe. Ensemble, ils parcourent la planète depuis des décennies. Pendant quatre à cinq mois dans l'année, l'un filme, l'autre photographie les espèces fragiles ou menacées ou mal connues. Depuis une semaine, ils sont confinés à Strasbourg, et comme tous les habitants du Grand Est, ils s'adaptent.
 

"De retour du Groenland, de l'Alaska et de New York, on fait des choses qu'on ne fait pas le reste du temps, on n’a pas le temps de s’ennuyer"-Pierre Mann, cinéaste animalier

 

À quoi ressemblent vos journées de confiné ?

"On en profite pour faire ce qu'on ne fait pas le reste du temps. C'est très terre à terre, mais là par exemple je nettoie la terrasse, on fait le ménage dans la cave. On sort quand même notre chien, autour du pâté de maison, et on lit beaucoup d'ouvrages liés à nos préoccupations, qui concernent la planète.
L'autre jour, depuis la terrasse, j'ai vu du monde dans la rue et plusieurs gamins faisant encore du skate. Je crois qu'ils n'ont pas pris la mesure du risque que présente ce virus. C'est aussi sur ce balcon, que nous sortons applaudir, tous les soirs, les personnels soignants et hospitaliers. Notre fille est infirmière, elle a été testée positive, mais elle est jeune et solide, on espère que ça ira bien pour elle. Nous avons une énorme admiration pour ces personnes qui se dévouent pour les autres et ça nous rend d'autant plus prudents dans notre manière de vivre au quotidien." 

 

"On dort un peu plus longtemps que d’habitude" dit Pierre dans un sourire, que je capte à travers le téléphone

 

Pour vous qui êtes un explorateur et qui voyagez beaucoup, que vous inspire cette période ?

A vrai dire, et c'est triste à dire, mais je m'y attendais. Souvent lors de nos voyages -nous connaissons bien les marchés asiatiques notamment- le manque d’hygiène nous a choqué ; sur des étals, de la viande exposée à l'air, pas de chaîne de froid... C'est terrible, mais ce n’est pas étonnant. 
J'ai aussi fait plusieurs films sur l'arctique et l'antarctique, là aussi, on voit ce qui se profile. Les scientifiques du GIEC avertissent. On sait qu’avec le réchauffement climatique, le permafrost va libérer des gaz mortels, mais aussi des virus connus ou inconnus. Ils sont restés captifs pendant des millions d’années dans cette partie de la planète qui ne dégelait jamais, mais là ils vont être libérés, puisqu'il est en train de fondre. On pourrait imaginer que la glace les a tués, mais non. Ils peuvent tomber en léthargie et "se réveiller" au dégel. Des rennes et des hommes ont été victimes du virus de l'anthrax libéré par la font du permafrost en Sibérie, en 2016.
 


Quelles sont les conséquences du confinement sur vos projets en cours ?


Justement, j'ai dû annuler mon voyage prévu en Afrique -on devait partir en mars- alors je travaille sur le commentaire de mon prochain film intitulé : "Antarctique un continent à la dérive". Le mixage son ne peut pas être fait actuellement, ni l'étalonnage. Quelqu'un travaille sur la musique ailleurs, confiné aussi et moi je me consacre au texte du commentaire. Le reste est mis en attente. Ce film doit sortir en fin d'année et je ne vais pas juste montrer la beauté de cette région du globe, mais je veux tenir un rôle de lanceur d'alerte. Les pôles sont en première ligne du réchauffement climatique. J'ai fait beaucoup d'expédition en arctique aussi et on se rend compte à chaque fois, que le réchauffement est beaucoup plus grave que ce qu'on pense communément. Ce sont 430 milliards de tonnes de glace qui fondent en moyenne, chaque année. Parfois plus. Les glaciers sont en plein vêlage-de gros blocs se détachent et tombent-on voit de plus en plus d’icebergs. Spectacle à la fois magnifique et troublant, car ils annoncent la montée des eaux, partout dans le monde.


"On suit les infos sur France 3 Grand Est et les grands débats organisés un peu partout"
 

Vous restez en contact avec l'extérieur, à travers les réseaux sociaux? 

Comme beaucoup de personnes, je regarde des publications sur facebook. Il y a des gens qui m’écrivent pour me parler de mes travaux. Je suis sollicité par des plus jeunes qui voudraient entrer dans la profession, mais ça ne date pas du confinement. A part ça, je garde mes distances, je reste vigilant par rapport aux réseaux sociaux. Je suis choqué par certaines interventions excessives, souvent plus critiques que constructives. On y donne trop souvent libre cours à ses petites haines, sans parler des fake news, alors pour ces raisons je ne suis pas plus que ça sur les réseaux.
 
 

Ses conseils "culture " pour mieux vivre le confinement :


Un livre :  SAPIENS, une brève histoire de l’humanité de Yuval Noah Harari chez Albin Michel

Un film : Sur la route de Madison, de Clint Eastwood
 
Une série télévisée : Ushuaia
 
Une musique : La Tosca de Puccini

Un compte ou un site sur internet : www.pierremann.com

 

Pierre Mann a écrit ce texte pour nous, pour vous


"Comme tous les Français, je suis confiné dans mon appartement et vous me demandez de définir ce que je ressens face à cette situation et à cette pandémie.
Notre Président et bon nombre de médecins les qualifient de « guerre ». A mon sens, c’est une métaphore. Bien sûr, il y a et il y aura beaucoup de morts, il y a déjà beaucoup de victimes à déplorer, car nous n’en sommes qu’au début. Mais une guerre, non ! Nous ne vivons pas dans l’angoisse d’un bombardement, d’une invasion de troupes ennemies, d’un rationnement. Enfant, j’ai vécu les affres de la guerre, mais je ne m’étendrai pas là-dessus. Pas aujourd’hui. Pour autant, je ne minimise pas ce qui nous arrive actuellement. C’est une vraie catastrophe, la pire depuis la deuxième guerre mondiale.

« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient atteints », dit La Fontaine. Quel visionnaire ! L’épidémie que nous subissons affecte toutes les catégories sociales. Très impliqué dans la lutte contre le dérèglement climatique et des conséquences sur notre manière de vivre et notre santé, je ne suis pas étonné, tout en étant convaincu que de telles catastrophes ne surviendraient que dans les deux ou trois décennies. On prétend que l’origine du mal seraient les pangolins et les chauves-souris. Cela reste à prouver. Si cela se vérifie, nous devrons plutôt mettre en cause les braconniers des pangolins et des chauves-souris ! J’ai vu, avec dégoût, les conditions d’hygiène, et à quoi ressemblent les marchés chinois ! Des cadavres d’animaux sauvages, de chiens et de chats exposés au grand air.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient atteints
, dit La Fontaine.

De toutes les pandémies que le monde a connues, leur origine a toujours été la même...Après l’épidémie du coronavirus, d’autres surviendront, c’est écrit ! Nous abusons des « bienfaits » de la technologie, sans nous préoccuper de notre inconséquence. Nous sommes responsables de la surchauffe de notre planète. Nous détruisons nos forêts primaires, pour y planter du soja génétiquement modifié, destiné à nos élevages intensifs. Les glaces de nos pôles fondent à une allure folle -j’en reviens il y a un mois -. Chaque année, 430 milliards de tonnes d’eau douce s’écoulent dans l’océan. Je vous l'ai dit au téléphone, depuis des millions d’années, le permafrost ou pergélisol maintenait des températures au sol en-dessous de 0°. En Sibérie et dans les régions arctiques il est en train de fondre et libère dans l’atmosphère une importante quantité de gaz à effet de serre, mais également des virus oubliés ou inconnus.

Alors, qu’est-ce que je ressens, confiné dans mon appartement bien chauffé, un frigo bien rempli, la présence et la complicité de ma femme Sabine, mon amie ? Un grand moment de chaleur humaine, des moments propices pour des échanges. Je travaille sur mon prochain documentaire dédié à l’Antarctique et je me surprends même, miracle, à exécuter quelques tâches ménagères. Chaque jour, nous prenons des nouvelles de Sarah, notre fille, infirmière testée positive au CODIV 19. Et le soir, à vingt heures, sur ma terrasse, je me joins aux voisins pour applaudir nos héros, les membres du corps médical. Ce confinement est également propice à la réflexion. Je pense que nous sommes la dernière génération à vivre dans l’opulence, la santé et la consommation sans frein.

Je crois que dans vingt ans, le monde n’aura plus rien à voir avec ce que nous vivons aujourd’hui.
Pierre Mann





 
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